mardi 14 août 2012 - par Mohamed Takadoum

Maroc : vers la fin du mouvement de contestation du 20 février ?

Une dépêche de l’AFP datée du 12/08/2012 concernant le mouvement de contestation du 20 février annonce que l’«  appel à des manifestations nationales tourne court ». Un demi millier à Casablanca et moins de 200 à Rabat la capitale. Le mouvement du 20février créé dans le sillage « du printemps arabe » notamment après la révolution tunisienne pourtant structuré au départ réussissait à mobiliser des centaines de milliers de manifestants dans prés d’une centaine de villes marocaines s’est effrité et n’arrive plus à mobiliser depuis un certain temps déjà. Mais pourquoi donc en est-il arrivé là ?

Des analystes, journalistes ou autres rangeaient le mouvement de protestation au Maroc du 20 février au même titre que les mouvements Tunisien, Egyptien ou libyen. Or dans ces trois pays, ce sont des lames de fond comprenant toutes les couches de la population, qui se sont soulevés. 
 
Or, au Maroc s’il est vrai que le mouvement du 20février était constitué au départ de jeunes avides de démocratie de liberté et de changement, il a été vite récupéré par : la confrérie religieuse d'Al Adl Wal Ihssane (Justice et bienfaisance) et le mouvement d'extrême gauche « Annahjdimocrati ou la Voie démocratique ».
 
Ces deux mouvements bien qu'antinomiques et étant en guerre larvée sur les campus universitaires au Maroc et ce depuis des années, ont tous les deux pour principale préoccupation idéologique, la prise de pouvoir et ne s’en cachent pas.
 
En effet à travers leurs écrits puisés sur leur site respectif, les références idéologiques des deux mouvements vont bien au delà des slogans véhiculés concernant les réformes.
 
La confrérie religieuse d'Al Adl Wal Ihssane (Justice et bienfaisance).
 
http://www.aljamaa.com/fr/document/1110.shtml « Le premier pas à faire est de s'organiser au sein d'un mouvement islamique dont les membres sont désignés par l'appel coranique Ô croyants, et qui a pour tâche d'œuvrer pour le changement ». « Qui s'intéresse à la chose publique. En effet, le politique est partie intégrante de notre pensée et de notre action. Toutefois, nous tenons à préciser que l'action partisane, la constitution d'un parti politique et la ruée vers les élections et le pouvoir ne sont pas nos plus importantes préoccupations. ».
 
On peut s'interroger sur la" préoccupation" de ce mouvement. L'explication est donnée par Cheikh Yassine, le guide de la confrérie « nous voulons établir la primauté de Dieu sur la terre » http://www.yassine.net/ « Ceci commencera par l'éducation du croyant, puis l'édification d'une société islamique qui supplantera progressivement la société inique pour aboutir enfin à un Etat islamique ». http://www.aljamaa.com/fr/folder/12.shtml Il s'agit bel et bien de l'établissement d'une république islamique ni plus ni moins. L'avènement de l'état islamique passera donc par l'éducation et aboutira à la Kaouma (soulèvement, révolte) qui peut revêtir la forme de la révolution à l'iranienne http://www.yassine.net/ar/document/2598.shtml
 
Pour le mouvement Annahjdimocrati ou« la Voie démocratique ».
 http://www.annahjaddimocrati.org/fr/index.htm Il s'agit de :
 
« UN MOUVEMENT DE GAUCHE RADICALE, PLUS DE TRENTE ANS DE LUTTE ET DE FERMETE REVOLUTIONNAIRE.
 
- La voie démocratique est un mouvement démocratique radical à la perspective révolutionnaire ouvrant la voie à la société socialiste.
- La voie démocratique est une continuité du mouvement marxiste-léniniste marocain, surtout ILAL AMAM "En avant", et du mouvement de libération marocaine en général.
- La voie démocratique s'adresse essentiellement à la classe ouvrière, aux paysans pauvres et à l'ensemble des masses laborieuses, qu'il vise à encadrer en vue de construire l'instrument politique et organisationnel qui leur permettra de réaliser leur intérêt. ».
 
Sur le plan idéologique, http://www.annahjaddimocrati.org/fr/index.htm « La Voie Démocratique adopte le marxisme en tant que méthode d'analyse et théorie du changement révolutionnaire en évolution et enrichissement constants à la lumière de la pratique militante et du progrès scientifique. Elle considère que la construction du socialisme et du communisme ne se réalisera pas selon un modèle préétabli, mais grâce au mouvement réel qui détruit le capitalisme et édifie, à sa place, un mode d'organisation sociale où la production et les moyens de production sont sous le contrôle et la maîtrise des producteurs libres et au service de l'humanité toute entière ». 
 
Le duo constitué par ces deux mouvements ne pouvait plus continuer ; beaucoup de choses les séparent et les séparent des jeunes initiateurs du mouvement du 20févier. Au sein même des manifestations, des dissensions se faisaient jour. Le mouvement d’Al Adl Wal Ihssane constatant que la « Quaouma » ou soulèvement n’a pas eu lieu dans le pays après plusieurs mois de manifestation de rue a décidé en décembre 2011 de jeter l’éponge. Formant l’essentiel des manifestants, sa défection a constitué un coup dur pour le mouvement. En outre avec l’adoption de la nouvelle constitution et la formation du nouveau gouvernement dirigé par le PJD (islamiste) la mobilisation s’est effritée.
 
De son coté, le pouvoir a allié la carotte et le bâton pour répondre aux manifestations de rue qui bien que moins nombreuses continuaient. Après avoir annoncé une  réforme constitutionnelle susceptible de faire du premier ministre le chef de l’exécutif avec une séparation nette des pouvoir et l’indépendance de la justice notamment ; la constitution adoptée, si elle ne permet pas de passer à une vraie monarchie parlementaire réclamée par le mouvement du 20février, constitue une avancée notable.
 
Sur le plan sociale, tout en maintenant les subventions étatiques aux produits de base (farine, huile sucre et carburant) des accords ont été conclus avec les syndicats sur des augmentations de salaires dans la fonction publique ; l'augmentation du SMIG de 15% sur deux ans et son extension au secteur agricole etc... 
-régularisation en masse des fonctionnaires surtout ceux de l’enseignement et de la santé ;
- le rééchelonnement des dettes des agriculteurs ;
- l'embauche d’une partie des diplômés chômeurs de troisième cycle et des doctorants dans la fonction publique ;
- la réactivation et l'extension des attributions des organismes de veille économique et sociale : l'Instance de lutte contre la corruption, le Conseil Economique et Social et le Conseil de la concurrence etc… 
 
Parallèlement à ces mesures toutefois, des militants du mouvement du 20février ont été arrêtés et condamnés ces derniers mois à des peines de prison pour « avoir participé à des manifestations, non-autorisées selon les autorités ».
 
Toutefois, l’effacement du mouvement du 20février laisse place à une catégorisation des mouvements de protestation notamment contre la vie chère, la pauvreté et le chômage. Ainsi à Casablanca le 27 mai dernier des dizaines de milliers de personnes  - entre 20 000 et 50 000 selon l'opposition et 15 000 et 20 000 selon la police - . Cette manifestation, qui a surpris par son ampleur, est la plus importante contre le gouvernement dirigé depuis janvier dernier par un islamiste, Abdelilah Benkirane. Elle a été organisée à l'appel de deux syndicats de l'opposition parlementaire d’après l’AFP.
 
Les autres villes du pays ont connu et connaissent des manifestations souvent organisés par des syndicats, les associations des diplômés chômeurs ou des organisations des droits de l’homme. Des mouvements de révoltes spontanés sont aussi signalés ponctuellement par la presse marocaine mais sans lendemain la plupart du temps.



Réagir