lundi 5 décembre 2011 - par Philippe Vassé

Mirage 2000 de Taïwan : à côté, une affaire étrange...

Dans un précédent article, le public français, ses élus, ses dirigeants politiques et tous les citoyens avaient été informés que Taïwan avait déjà déposé auprès de la Cour d'Arbitrage International une demande contre la France (plus précisément visant la DCNI).

Cette demande, appelée «  affaire BOA » (ou dossier n° 2) est relative à des commissions interdites et des rétro-commissions illégales dans le contrat de fourniture de pièces détachées pour....les célèbres frégates Lafayette ! Une audience préliminaire doit se tenir sur ce dossier en avril 2012.

Rappelons que le dossier original (n° 1) a coûté à l'Etat français, donc aux contribuables, la somme de 630 millions d'euros.

Plus récemment encore, le même public français était informé que Taïwan avait décidé de déposer auprès de la Cour Internationale un dossier n° 3, cette fois relatif à des commissions interdites par contrat et des rétro-commissions illégales dans le dossier des Mirage 2000 fournis par la France à Taïwan suite à un contrat signé en 1992.

Il semble intéressant d'informer politiques et citoyens d'une affaire qui, sans lien direct apparent avec la plainte n° 3, liée au contrat des Mirage 2000, pourrait cependant avoir sur cette dernière quelques conséquences.

Une bien étrange affaire qui touche la haute hiérarchie de l'Armée de l'Air en 1996

L'affaire qui nous intéresse ici car elle pourrait avoir de très lourdes conséquences à divers niveaux démarre en 1996, une date à retenir par rapport aux contrats avec la France en faveur de l'Armée de l'Air de Taïwan.

Une petite fille de 5 ans est violée et tuée à Taïpei, au quartier général de l'Armée de l'Air.

Quelques jours après, le 8 septembre 1996, un soldat de 20 ans à cette époque, membre de l'Armée de l'Air, Chiang Kuo Ching, est accusé par un autre militaire, puis par des officiers de sa hiérarchie d'en être l'auteur. En octobre 1996, soumis à de violentes tortures qui brisent ce jeune homme, celui-ci, pour arrêter ses bourreaux, finit par signer des aveux alors qu'il écrit à sa famille et ses amis qu'il a été trahi et est innocent.

Jugé pour le crime en question par un Tribunal militaire, il est exécuté le 13 août 1997 d'une balle dans la nuque après avoir été endormi par une piqûre, malgré qu'aucune preuve matérielle n'ait été fournie soutenant sa culpabilité annoncée. Chiang avait juste 21 ans !

Ses parents et amis refusent ce verdict et vont se battre avec courage et dignité, appuyés par les juristes de la Fondation pour des réformes judiciaires de Taïwan, pour faire éclater la vérité.

Le dossier est réouvert en 2010 suite à cet acharnement de la famille et des amis.

Cette fois, c'est le Procureur de Taipei qui reprend le dossier à zéro, le même que pour le dossier des frégates Lafayette !

Utilisant le fichier des empreintes digitales et de l'ADN des membres de l'Armée de l'Air de l'époque avec un cheveu trouvé sur la petite fille comme élément central matériel, les enquêteurs civils arrêtent en JANVIER 2011 le véritable coupable de ce crime abominable, confondu par son ADN et diverses autres traces physiques, Hsu Jung Chou, lequel a depuis reconnu, cette fois sans torture et avec des faits vérifiés par la police scientifique, le crime.

Le 14 septembre 2011, le Tribunal Militaire annule le jugement de 1997 et blanchit totalement le jeune soldat exécuté à tort par une hiérarchie militaire qui a enfreint, pour assurer sa mort, toutes les lois et procédures en cours à l'époque

Mais, l'affaire ne s'arrête pas là.....

 

Les responsables-coupables doivent payer de leurs poches leur faute criminelle

Dès le verdict de blanchiment complet de Chiang rendu, la famille, les amis et la Fondation pour les réformes judiciaires de Taïwan exigent que les auteurs de cette mortelle erreur, issue de tortures et de mensonges, soient identifiés et sanctionnés.

Si, au début, un organisme de l'Etat a essayé de fermer le dossier sur la demande d'identification des auteurs de ces tortures contre un jeune soldat innocent, tout en acceptant le principe du paiement d'une réparation financière, face au scandale public et à la colère des citoyens, la Justice finit par identifier les 8 coupables, l'ancien commandant en chef de l'Armée de l'Air de l'époque, Chen Chao Min et 7 officiers supérieurs de cette arme.

Le scandale est d'autant plus fort que Chen Chao Min a été Ministre de la Défense en 2008 et 2009, après avoir, de 1992 à 2002, grimpé toute la hiérarchie militaire de l'Armée de l'Air.

L'écho populaire est donc immense et l'opinion massivement, unanimement derrière la famille de Chiang contre les tortionnaires et criminels du jeune soldat innocent.

Alors que le procès des 8 s'ouvre, ceux-ci semblent vouloir demander à l'Etat, donc aux contribuables taïwanais, de payer pour leur crime la somme de 131, 85 millions de NT$, soit environ 3,3 millions d'euros.

http://taiwaninfo.nat.gov.tw/ct.asp?xItem=178951&CtNode=458&htx_TRCategory=&mp=4

 

Mais, le Ministère de la Défense de Taïwan s'y oppose et demande le gel conservatoire de tous leurs biens :

http://taiwaninfo.nat.gov.tw/ct.asp?xItem=181639&CtNode=458&htx_TRCategory=&mp=4

Les juges taïwanais refusent et réfutent l'analyse des accusés et condamnent les 8 anciens hauts gradés à la saisie de tous leurs biens et comptes bancaires afin de payer la somme allouée à la famille du soldat Chiang.

http://taiwaninfo.nat.gov.tw/ct.asp?xItem=181699&ctNode=467&mp=4

Un exemple pour d'autres pays, car, à Taïwan, les responsables et coupables sont les payeurs, pas les citoyens-contribuables.

 

Des questions qui en appellent beaucoup d'autres......

Au delà du succès de la famille et des amis de Chiang Kuo Ching dans cette affaire sanglante, de nombreuses questions se posent en filigrane de l'affaire, questions auxquelles la Justice n'a toujours pas répondu.

La première est celle-ci : pourquoi la hiérarchie de l'Armée de l'Air à Taipei a-t-elle été si acharnée à vouloir la mort dans le déshonneur du jeune soldat Chiang ?

Car, à l'évidence, les 8 officiers reconnus coupables de tortures savaient très bien que Chiang ne pouvait être matériellement coupable.

Il leur fallait des AVEUX pour détruite son honneur d'homme et de soldat et le faire ensuite condamner à mort.

Pourquoi le soldat accusé à tort et torturé écrit-il à sa famille qu'il a été trahi par ses camarades ?

A-t-on voulu faire taire un soldat qui pouvait représenter un danger pour les hiérarques du haut commandement de l'Armée de l'Air au moment même où arrivaient à Taïwan les Mirage 2000 français avec les premiers problèmes techniques mettant en danger la vie des pilotes taîwanais ?

Est-on en face d'une réédition, dans l'Armée de l'Air, du cas du capitaine Yin dans la marine en 1993 ? Le jeune soldat a-t-il vu ou entendu des choses qu'il ne devait ni voir, ni entendre ? En ce cas, une erreur de coupable, suite à un crime horrible, aurait été la bienvenue

Ou bien a-t-on voulu protéger le véritable assassin dès le début ? Si tel est le cas, pourquoi ? Et surtout pourquoi ces tortures, cette volonté de faire de Chiang « le coupable », pourquoi cette mobilisation d'officiers de haut rang contre un jeune homme doux, calme et innocent, terrorisé par le déchaînement de violences physiques et morales ?

Mais, par dessus les hypothèses que l'on peut avancer pour le moment sur les objectifs réels des 8 responsables-coupables d'un crime de sang au nom de l'Etat, avec un innocent assassiné, il n'en reste pas moins que la société taïwanaise s'interroge sur cette hiérarchie militaire des années 1990-2000, déjà maculée du sang du capitaine Yin et par une corruption latente.

L'innocence du soldat Chiang Kuo Ching a été reconnue, c'est une bonne et utile chose.

Les responsables-coupables paieront leur crime, cela est juste et nécessaire.

Maintenant, il serait nécessaire de savoir POURQUOI 8 officiers de haut rang ont voulu ensemble la MORT d'un jeune soldat innocent du crime dont il était accusé.

Si la réponse à cette question est apportée, alors, Chiang Kuo Ching ne sera pas mort POUR RIEN.

Car il l'a écrit : IL A ETE TRAHI......



7 réactions


  • Philippe Vassé Philippe Vassé 5 décembre 2011 11:27

    Bonjour,

    Je souhaitais compléter l’article avec deux liens en français venant de sources taîwanaises officielles sur le dossier des Mirage 2000 et le sentiment évident de mauvaise conscience du côté français (constructeur et Etat)

    Le premier lien retrace les donations généreuses, à titre gratuit, qui ont permis de remettre en état de vol l’intégralité des Mirage 2000 encore existants (c’était en mars 2010) :

    http://taiwaninfo.nat.gov.tw/ct.asp?xItem=96421&CtNode=458&htx_TRCategory=&mp=4

    En mai 2010, Taiwan envoie des signaux qui indiquent nettement que le contrat de près de 29 milliards de FF (gonflé de 6 milliards de FF) va être soumis pour des commissions interdites et des rétrocommissions illégales à la Cour Arbitrale Internationale de Commerce car des indices forts s’accumulaient alors :

    http://taiwaninfo.nat.gov.tw/ct.asp?xItem=102077&CtNode=458&htx_TRCategory=&mp=4

    Notons à ce sujet, et cela ramène aux questions de l’article, que les Mirage 2000 ont commencé à être livrés à Taïwan en 1997.....sachant que le contrat date de 1992 !

    Chacun tirera ses propres conclusions de ces dates et faits accolés.

    Bien cordialement aux lecteurs qui liront ce commentaire nécessaire pour éclairer mieux le sens profond de l’article.


  • borowic 6 décembre 2011 08:00

    Sait-on pourquoi la fillette est morte ?

    Dans le cas de Yin ching feng on tue celui par qui peut venir le danger
    Ici laisseriez vous entendre qu on tue une fillette innocente pour accuser celui par qui pourrait venir le danger ?
    N est ce pas un peu trop « far fetched » ?


  • Philippe Vassé Philippe Vassé 6 décembre 2011 08:51

    Cher Borowic,

    La fillette a été violée et tuée par son violeur, qui, comme dans tous les cas similaires, préfère tuer que prendre le risque que l’enfant puisse, vivant, le dénoncer, surtout sur une base militaire où les gens se connaissent bien, en règle générale.

    Le meurtre est purement crapuleux et relève du meurtre sexuel pur.

    Ce qui pose des questions essentielles est le pourquoi de l’acharnement à « FABRIQUER » un coupable qui, si les faits à l’époque, avaient été étudiés sans les aveux extorqués sous la torture, auraient prouvé son innocence.

    Donc, ce « pourquoi » est essentiel, car les faits ont lieu au moment où se préparent les réceptions des Mirage 2000, au centre de commandement de l’Armée de l’Air.

    Or, les aveux extorqués par la torture ont SEULS conduit le jeune soldat à la mort par exécution, sur décision d’un Tribunal qui n’avait donc que des « preuves falsifiées ». et falsifiées par des officiers de haut rang, supposés être intègres et objectifs ;

    Pourquoi donc le chef de l’Armée de l’Air et la hiérarchie au plus haut niveau se sont-ils impliqués personnellement dans la « Fabrication » d’un faux coupable et pourquoi Chiang a-t-il été choisi pour remplir ce rôle sanglant ?

    Ce sont là les questions de fond.

    La preuve la meilleure que la hiérarchie de Chiang a voulu et organisé sa « culpabilité » est apportée par le fait qu’une enquête normale, effectuée par des enquêteurs professionnels, aurait permis de vite démasquer le vrai coupable, une autre militaire. Ce fut le cas en 2010, et très vite, car on utilisa des moyens qui auraient pu être utilisés en 1997.

    Le Tribunal de Taipei a conclu à une action CONCERTEE visant à induire en erreur les Juges de 1997 et donc à provoquer l’exécution du jeune soldat.

    Mais, le jugement a curieusement oublié de chercher le pourquoi de cette action concertée.

    J’espère avoir éclairé votre appréciation des faits et permis une compréhension améliorée de ces derniers,

    Bien cordialement,

    Les quest


  • borowic 6 décembre 2011 09:36

    Je comprends mieux. J avais suivi l affaire de loin.

    Au cas ou vous ne l’ ayez pas visionnee voici le lien a mon film sur l affaire des fregates
    http://www.youtube.com/watch?v=eWrBRGQ19NE

    je vis a Taipei...


    • Philippe Vassé Philippe Vassé 6 décembre 2011 10:25

      Cher Borowic,

      J’avais en effet visionné les films que vous aviez postés sur les sites dédiés à cela. C’était un travail bien fait, soigné et précis, ce qui tranche souvent avec les travaux plus « officiels » qui s’intéressent à l’écume des choses plutôt qu’aux faits et chiffres. Je vous félicite donc pour votre initiative fructueuse.

      La série de Jean René Viallet- sur France 5- m’a déçu car le centre du sujet n’est pas les dossiers de fond, mais l’affaire Clearstream, autrement dit la queue sans importance de longues et tortueuses affaires antérieures. Mais, le journalisme à la française est ainsi fait qu’il prend la queue fumeuse de la comète pour la comète elle-même.

      Ceci dit, je vis entre Taipei et Taitung selon les moments et les saisons.

      Et j’aime Taïwan, ses habitants, ses artistes et sa nature.

      Peut-être nous croiserons-nous un jour bien que je ne fréquente que les Taïwanais, et très peu les Français établis ici.

      Bien cordialement et encore toutes mes félicitations pour vos travaux

      PS ; je fais connaître au public français tous les dessous des affaires Tango et Bravo via Agoravox depuis 2007, notamment grâce aux infos de « première main » de bons amis taïwanais qui luttent contre la corruption. J’ai ainsi pu sortir des noms de corrompus chinois et taïwanais (cela était assez simple), les enregistrements de Yin réparés par la NASA (très éloquents sur certains acteurs du dossier), et quelques petits points noirs que les médias français cherchent en général à ne pas connaître....


  • borowic 6 décembre 2011 14:54

    Cher Philippe Vasse

    J habite Taipei depuis 12 ans

    Vos interventions sur le dossier des fregates m ont ete utiles. J ai a mon tour un scoop pour vous. Dans la serie de morts autour de cette affaire j’en ai oublie un. C est un internaute qui me l’a appris il s agit tout simplement du mari d’Eva Joly mort par suicide quelques mois avant Jacques Morrisson. L’internaute est un temoin de l affaire. Voisin du defunt il a pu observe le jour des funerailles un service de CRS impressionnant et surtout le blackout dans la presse.
    Rappellez vous la phrase de Thierry Jean-Pierre : le fait qu Eva Joly n’ait pas pousse l enquete plus loin etait pour lui inexplicable.

    Interessant comme temoignage car il n existe rien sur internet qui relie le mari d Eva Joly a l affaire des Fregates.

    Si vous passez par Taipei n hesitez pas a me mettre un message sur [email protected]
    on pourrait aller prendre une biere...... smiley


    • Philippe Vassé Philippe Vassé 6 décembre 2011 15:29

      Cher Borowic,

      Une dame connue, qui a écrit des livres sur le sujet des frégates Lafayette, car elle en fut à son corps défendant une actrice célèbre, m’avait en effet parlé du suicide du mari de Mme Eva Joly.

      selon diverses sources qui se recoupaient, ce qui ne veut pas dire que les indications données soient sincères et exactes, le mari en question aurait été très dépressif et aurait souffert de problèmes psychologiques.

      Il est aussi vrai que, dans un livre dont la teneur n’a pas été été contredit par une seule personne jusqu’à ce jour, Roland Dumas serait arrivé un matin, sur convocation, dans le bureau de la magistrate (à l’époque) Eva Joly pour lui parler tout de go de son mari et s’enquérir de sa santé.....

      Selon l’auteuse de ce livre, Eva Joly en aurait été ébranlée moralement.

      Mais, cela ne semble pas expliquer que la magistrate ait ensuite, effectivement, changé sa stratégie et son orientation dans l’instruction qu’elle suivait avec Laurence Vichnievsky.

      Rappelons pour mémoire que les deux femmes ont quitté la magistrature et sont rentrées à EE-LV, formation politique proche du PS, où elles ont vite obtenu des mandats électoraux et des positions importantes. On notera aussi que Mme Vichnievsky n’a pas fait entendre sa voix dans les affaires sordides qui ont touché le PS en Provence Côte d’Azur où elle est conseillère régionale.

      Concernant Eva Joly, selon des journaux norvégiens, elle n’a pas laissé à tous les citoyens de son pays natal une impression de totale intégrité, suite à des articles parus dans la presse norvégienne, y compris proche du PS autochtone. Mais, une impression populaire reste un sentiment discutable par nature.

      Ceci dit, étant tous deux sur la capitale de Taïwan, nous pourrons nous voir autour d’une Taïwan Beer ou pour moi d’un pintotchien bien frais.

      Je prends note de l’adresse hinet. J’ai conservé de mon côté mes anciennes puisque nous avons à Taipei la Wifi gratuite.

      Très cordialement,


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