mercredi 2 février 2011 - par Lydia Chabert-Dalix

Moi, Mourad, 39 ans diplômé de littérature arabe à Sidi Bouzid

Mourad vit depuis toujours à Sidi Bouzid. Le mur de sa maison est le même mur que celui de celle de Mohamed Bouazizi qui s’est immolé par le feu le 17 décembre dernier. Il a vu grandir Mohamed. Lorsqu’il sait qu’une journaliste est là, dans la cour de Mohamed il accourt, diplômes en main...

Il arrive en bleu de chauffe et refuse, dans un premier temps, de poser pour la photo "je ne veux pas ! Je ne suis ni lavé ni rasé !" J'explique à Mohamed que je ne recherche pas un modèle mais à m'approcher de la vérité, de leurs conditions de vie, ici, à Sidi Bouzid au coeur de la Tunisie. Mains noircies par son travail de mécanicien et ses petits boulots sur le grand marché, Mourad exhibe ses diplômes. Nous sommes loin de l'image des diplômés-cravatés relayées par la plupart des médias !

Mourad a obtenu une maîtrise de littérature arabe, puis à trois reprises il a réussi l'écrit du C.A.P.E.S ...jamais l'oral. Comme "par hasard" d'autres qui purent glisser - selon Mourad - quelques billets parvinrent à avoir l'oral ! "Je peux enseigner mais toutes mes demandes sont restées lettres mortes" clame Mourad. Morte, à l'image de cette ville d'où est partie la révolution qu'un intellectuel a nommée "du jasmin". Mais pour Mourad, comme pour la plupart des travailleurs qui se relayent sans relâche sur la place où a été érigé un portrait de Mohamed Bouazizi, cette révolte est celle du peuple et bien éloignée du parfum du jasmin. De fait, ici les odeurs sont celles de la sueur et d'une terre assoiffée !

Lorsque je demande à Mourad s'il ne craint pas une récupération politique et/ou religieuse du mouvement il prend un temps avant de répondre dans un français impeccable "cette révolte c'est un cadeau pour Mohamed Bouazizi. Nous, les tunisiens, nous lui devons bien cela et personne ne récupèrera son cri."

Une sonnerie de portable interromp notre échange. Salem, frère de Mohamed Bouazizi reçoit un appel de la police de Gafsa : Feida Hamdi la policière employée par la mairie qui a giflé Mohamed Bouazizi avant de lui confisquer sa charrette de légumes se serait enfuie. L'effervescence gagne la cour de la maison de Mohamed où se déroule l'interview "elle doit être jugée ! pourquoi l'ont-ils laissée fuir ?" interroge un ami de la famille.

L'information sera vite démentie. Mourad, depuis, suit de près les évènements en Egypte. Mais son désir d'enseigner reste le plus fort et il attend de pouvoir enfin transmettre son savoir !

Lydia Chabert-Dalix depuis Sidi Bouzid




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