vendredi 2 septembre 2016 - par Lucchesi Jacques

Où l’on reparle de Tombouctou

Faut-il réserver l’appellation « crime de guerre » aux seules exactions commises sur des populations ? Le procès d’un ex-djihadiste malien à la Haye dit clairement non.

Si le terrorisme islamique, tant en Afrique qu’au Moyen-Orient, a causé d’immenses souffrances chez les populations locales, il est également coupable de nombreuses atteintes aux biens culturels et aux monuments historiques. A maintes reprises, l’opinion internationale s’est alarmée de ce vandalisme très médiatisé, au point que certains ont cru que l’Occident accordait plus de prix aux pierres antiques qu’aux vies humaines massacrées. Pourtant, il ne s’agit pas d’établir entre elles une hiérarchie et une priorité d’action, simplement de constater que ces destructions systématiques entrent, elles aussi, dans la catégorie des crimes de guerre pour les juger selon les lois en vigueur.

En cela le procès d’un ex-djihadiste malien qui s’est ouvert, lundi 22 août à La Haye, prend une valeur exemplaire. Ahmad al-Faqi al-Mahdi, plus connu sous le surnom d’Abou Tourab, est le premier à comparaitre devant la Cour Pénale Internationale pour ce type d’exactions. Le paradoxe est sans doute que ce Touareg d’une quarantaine d’années est un homme cultivé, qui fut fonctionnaire dans l’administration culturelle malienne avant de rejoindre les rangs d’Ansar-Eddine (une filiale d’Al Qaïda au Maghreb Islamique) en 2012. Les faits qui lui sont reprochés remontent à juin-juillet 2012, quand des djihadistes maliens placés sous son autorité s’en prirent aux mausolées des saints et aux fameux manuscrits sacrés de Tombouctou. Pour ces adeptes d’un Islam littéral et extrémiste, il s’agissait de montrer le caractère impie et idolâtre de ces vestiges, notamment en détruisant la porte de la mosquée Sidi Yahia, dont l’ouverture, selon des croyances locales, préfigurerait la fin du monde. C’est cependant pour d’autres raisons que l’UNESCO s’effraya de ces ravages : car ce site du XVeme siècle est classé au Patrimoine Mondial de l’Humanité. Si, depuis, une partie des tombeaux et des murs ont été restaurés, quatre mille manuscrits ont bel et bien été perdus à jamais.

Pour déplorable qu’elle soit, cette affaire est édifiante à plus d’un titre. Elle montre tout d’abord combien l’Islam continue, comme aux premiers temps de sa prédication, à être travaillé par des luttes intestines. Car il ne faudrait pas réduire cette religion et la civilisation florissante qu’elle a engendrée à ce courant wahhabite, basé sur une vision simpliste du Coran, qui inspire la plupart des mouvements terroristes actuels. L’antithèse de cet ascétisme meurtrier est ici Tombouctou, cette « perle du désert » réputée depuis le XIII eme siècle pour sa science, sa tolérance et ses échanges commerciaux. La table rase n’est pas qu’une métaphore pour ces fanatiques qui traquent et anéantissent tous les aspects de l’Islam historique s’écartant de leur idéologie. (Un parallèle peut d’ailleurs être esquissé avec le Protestantisme et son rejet inaugural du culte des saints et des reliques). 

En second lieu, ce procès rappelle aussi que l’Islam et ses créations, loin d’être clos sur eux-mêmes, ne sont pas indépendants du reste du monde, s’intègrent dans une entité plus vaste encore et que l’on pourrait appeler la culture universelle. Ainsi, une institution à vocation internationale est en droit de demander des comptes à ceux qui attentent à ses trésors, y compris lorsqu’ils se réclament eux-mêmes de l’Islam. Cette conception occidentale d’un patrimoine mondialisé n’est certainement pas reconnue par les djihadistes - eux qui voudraient bien laver dans le sang leur linge sale en famille. Mais c’est, néanmoins, elle qui fait autorité depuis plus d’un demi-siècle et sa mission n’est pas prête de s’arrêter. Pour subvertir le mot arrogant de Goebbels à la Société des Nations en 1933, « charbonnier aujourd’hui n’est plus maitre chez soi ».

Quoiqu’il ne renie pas ses engagements passés, Ahmad al-Faqi a demandé pardon au peuple malien pour les dommages causés et plaide intelligemment la culpabilité. Il encourt trente ans de prison. Gageons qu’il ne sera pas le dernier à comparaitre pour des faits similaires. Nous avons encore en mémoire les images du dynamitage, en mars 2001, des deux grands Bouddhas de Bâmiyân par les talibans. Encore plus vives sont celles montrant la destruction planifiée par Daesh des sites de Nimroud et de Palmyre, en juin 2015. Un jour prochain, leurs auteurs devront aussi répondre de leurs actes devant la CPI. Au nom de l’humanité.

 Jacques LUCCHESI



3 réactions


  • philouie 2 septembre 2016 09:47

    Bof.
    Ces histoires sont surtout de l’enfumage médiatique.
    Encore et encore.
    La société du mensonge dans toute son ampleur.


  • philouie 2 septembre 2016 10:15

    Un jour prochain, leurs auteurs devront aussi répondre de leurs actes devant la CPI. Au nom de l’humanité.
     
    Par contre Bush, Cameron, Sarkoy, Hollande, eux peinards.
    L’auteur ne serait-il pas en train de se foutre de notre gueule ?


  • gaijin gaijin 3 septembre 2016 13:45

    faudrait peut être admettre que la guerre est de toute façon un crime ?


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