samedi 9 décembre 2017 - par
Quand le Japon monétise 100% du PIB de dette publique
Dans la doxa dominante, la dette publique, ce serait le mal, qui a justifié de mettre sous camisole les budgets des nations européennes, avec le TSCG Merkel-Sarkozy-Hollande. Mais curieusement, le Japon, endetté à 250% du PIB, n’en a cure : le Premier ministre a même annoncé plusieurs plans de relance depuis 2012. Et si la vision européenne de la dette publique était tout simplement fausse ?
Quand l’Etat peut monétiser sa dette
C’est un sujet un peu technique, pour qui ne s’y est jamais intéressé, mais dont l’importance est absolument fondamentale. Si l’Etat peut emprunter sur les marchés financiers, à leurs conditions, s’arrêter à ce simple mécanisme est profondément réducteur. Le regretté Jean-Baptiste Bersac avait pointé à quel point l’Etat peut influencer les taux auxquels il emprunte par la fixation des taux directeurs. Mieux, les dix dernières années ont aussi montré qu’une banque centrale peut fortement alléger le poids de la dette publique en créant de la monnaie pour la racheter, réduisant son montant net (la dette brute moins le montant qu’elle détient), tout en faisant aussi baisser ses taux et donc son coût.
Il y a peu, j’avais déjà pointé cette intervention massive des banques centrales de l’OCDE, qui détiennent entre 10 et 40% de leur dette publique nationale. Où l’on constatait encore une fois que la zone euro se bat avec les bras dans le dos, avec un faible niveau de monétisation, quand la Fed en a racheté 20% et la Bank of England 30%. Le cas du Japon est particulièrement intéressant car il est le plus extrême : non seulement la Banque du Japon a racheté 40% de la dette publique du pays, mais, puisque celle-ci est beaucoup plus importante que les autres en proportion du PIB (250%), cela signifie que la banque centrale nippone détient l’équivalent de 100% du PIB de dette publique.
En clair, la dette publique nette du pays (dette totale moins celle détenue par sa banque centrale) n’est que de 150% du PIB. Plus fort encore, trois quarts de la dette rachetée par la banque centrale l’a été depuis 2012, et l’arrivée de Shinzo Abe au pouvoir. En cinq ans, la Banque du Japon a acheté pour l’équivalent de 75% du PIB du Japon de dette publique, soit 15% du PIB par an, permettant un net redressement de l’économie du pays ! A ce rythme, il faudrait 7 ans à la Banque de France pour ne faire de notre dette publique nationale qu’un lointain souvenir. Le rythme de 5% de PIB de monétisation par an inclus dans le programme de NDA en 2012 était plus que raisonnable.
Bien sûr, le contexte économique du Japon, pris dans une déflation, est particulièrement favorable, puisque l’inconvénient de la monétisation des dettes publiques, l’effet inflationniste, est, au contraire, l’effet recherché par les autorités publiques japonaises. Et on voit que d’autres pays, comme le Vénézuela ou l’Argentine, en en abusant, ont provoqué une poussée inflationniste excessive. Mais le Japon montre que, dans le bon contexte, et bien utilisée, la monétisation des dettes publiques, est un outil économique extraordinairement puissant, pour qui a encore le contrôle de sa monnaie, ce qui n’est pas le cas dans la zone euro. Ce seul point justifie à lui seul une sortie de la monnaie unique européenne.
Cette constatation renforce la nécessité d’un débat sur le contrôle de la monnaie, et de sa création, dont le bénéfice revient aux banques privées aujourd’hui dans la zone euro. Une incongruité étant donné que la monnaie est un bien public. C’est un débat qu’avait suggéré Maurice Allais, certains de ces disciplines ou Michel Santi, à travers le concept de monnaie pleine, qui émerge en Islande ou en Suisse.