mercredi 19 octobre 2011 - par Georges Yang

Révolutions arabes : gagnants et perdants

Certes, le processus révolutionnaire en est à ses débuts et chaque pays possède ses spécificités, la situation est loin d’être stable, mais les prémices d’un scénario sont en train de s’installer. On se bat encore en Libye, la Syrie est encore contrôlée par Assad, mais il commence à se dessiner quelques lignes directrices qui permettent une analyse intermédiaire, qui a de forte chance de se réaliser. Côté des vainqueurs potentiels, grossièrement trois types de gagnants : Les mouvements islamistes radicaux, l’Etat d’Israël et les opportunistes-affairistes qui n’ont qu’une seule contrainte pour continuer leurs affaires, celle de se montrer ostensiblement à la mosquée, se laisser pousser une barbe discrète et couvrir les cheveux de leurs épouses et filles. Côté perdant, la bourgeoisie éduquée et laïque, souvent croyante mais non fanatique, les minorités chrétiennes, les chiites arabes (en dehors de l’Irak), les femmes, les émigrés noirs surtout s’ils ne sont pas musulmans, les vendeurs et buveurs de boissons alcoolisées, les homosexuels et les prostituées. Enfin, l’Occident se retrouve dans le camp des perdants pour des raisons commerciales, d’émigration et de diplomatie. Ce n’est pas les quelques éphémères contrats pétroliers promis par les nouveaux dirigeants libyens qui vont changer la donne. Au niveau des individus, touristes et propriétaires de résidences secondaires peuvent aussi commencer à être inquiets. Bien sûr, tout n’est pas joué d’avance et il peut encore y avoir un infléchissement, mais le scénario décrit dans cet article est fort plausible.

Les gagnants :

- Les mouvements islamistes sunnites fondamentalistes.

Même si des élections démocratiques sont organisée en Tunisie et en Egypte, puis en Libye et au Yémen, les partis islamistes ont de forte chance de les emporter, car ils sont déjà structurés, jouissent d’une base populaire qui leur est acquise par le fait que les mouvements islamistes ont pris en charge les besoins sociaux des plus pauvres (santé, habitat, éducation, nourriture sponsorisée) abandonnés à leur sort par les pouvoirs en place depuis des décennies. C’était le cas en Tunisie, en Egypte, ainsi qu’en Syrie, au Maroc et à un degré moindre en Algérie. Par contre, les Libyens n’étaient pas misérables et le problème est ailleurs. Les islamistes étant intelligents, ils vont mettre en avant des partis « modérés » pour ne pas effaroucher ni l’Occident ni les classes moyennes arabes. Ensuite, il sera plus aisé de radicaliser de façon larvée. Les premiers gouvernements élus ne vont sûrement pas rétablir la Charia pure et dure comme en Arabie Saoudite, on ne va pas se mettre à décapiter et couper des mains dès la prise de pouvoir. Ce n’est pas du modernisme, mais un simple calcul politicien pour durer, il ne faut pas faire peur. L’islamisation sera progressive et rampante. Elle pourra aussi se draper de légalité, puisqu’elle sera arrivée au pouvoir par les urnes et non par le coup d’état comme en Iran ou au Soudan.

- L’Etat d’Israël

A court et moyen terme, Israël est assuré d’un affaiblissement de ses voisins et ennemis. Tant l’Egypte que l’Irak et la Syrie, que le régime tombe ou non, ne seront en état de réarmer, de tenter une aventure militaire ou de se lancer dans la fabrication d’armes nucléaires, chimiques ou bactériologiques. Il faudra reconstruire les pays, les développer et faire un peu de social. Le terrorisme sera encore possible, mais pas plus qu’avant avec une mortalité israélienne résiduelle ne mettant pas en danger la survie du pays. Les Palestiniens, éternels cocus du monde arabe ne seront pas plus que par le passé la préoccupation majeure des nouveaux gouvernements islamistes. Et ils ne pourront en aucun cas déclencher un « printemps palestinien » dans les territoires, pas plus que les Arabes Israéliens n’en seront capables. A long terme par contre, il n’est pas dit que les nouvelles « démocraties » arabes ne s’organisent pas sous la bannière de l’islam pour mettre à genoux l’Occident par un nouvel embargo pétrolier qui sera plus efficace que celui de 1974, car elles pourront vendre à la Chine, à l’Inde, éventuellement à la Russie et à d’autres pays émergeants non-alignés. Si la crise économique continue en Europe et aux Etats-Unis, la volonté de défendre mordicus Israël sera nettement moins ferme qu’auparavant.

- Les profiteurs locaux

En dehors des chefs et de certains hommes d’affaires trop compromis qui vont passer à la trappe, les fonctionnaires intermédiaires et les trafiquants, ceux qui naviguaient déjà en eau trouble avec les anciens régimes vont tirer leur épingle du jeu. Il leur suffira d’arroser les nouveaux élus en faisant des dons à la jeune république pour se faire absoudre. Et aussi se montrer à la mosquée, faire des professions de foi hypocrites et pratiquer la zakat avec ostentation. Les collaborateurs du régime dans l’armée ou la fonction publique, en dehors des chefs et des trop zélés, retrouveront leur place à condition de faire profil bas. Le pragmatisme est une qualité(ou un défaut) largement partagé sur la planète. Les islamistes au pouvoir sauront l’appliquer, car les anciens profiteurs ont des relations à l’étranger, des carnets d’adresses et ils se rendront indispensables pour maintenir l’économie.

Les perdants :

- La bourgeoisie arabe et les intellectuels

Les classes moyennes et éduquées qui n’appréciaient ni les régimes autoritaires ni les barbus vont probablement être les premiers à souffrir. La plus part de ces gens moyennement aisés ne faisait pas de politique et si l’immense majorité d’entre eux étaient croyants, ce n’étaient pas des extrémistes religieux. Certains buvaient un verre, les femmes n’étaient pas voilées ou portaient tout juste un léger foulard pour avoir la paix. Bon nombre avait voyagé, étudié à l’étranger et ne professait aucunement une haine de l’Occident. Il va falloir pour eux se dissimuler, se montrer de fervents musulmans ou alors émigrer. Mais hélas, l’Occident leur refusera les visas, sous prétexte qu’ils sont désormais en démocratie. Pourtant ces Arabes éduqués pourraient très bien s’adapter en Europe et ne pas semer la pagaille car instruits, souvent polyglottes et capables de trouver un travail. Un peu comme les Russes blancs qui sont arrivés en Europe après 1918.

- Les chrétiens d’Orient

Que ce soit Saddam Hussein ou Bachir al Assad, et pour les juifs, Ben Ali et le Roi du Maroc, les minorités religieuses étaient jusqu’à présent relativement protégées. En Egypte, la situation s’est progressivement dégradée pour les coptes sous le régime Moubarak, d’abord à Assiout, fief islamiste du sud, puis plus récemment au Caire, mais le pire semble à venir, comme cela fut le cas en Irak. Les chrétiens d’Orient risquent de faire les frais de la nouvelle démocratie et être contraints à l’exil. Qu’en sera-t-il des juifs de Djerba et la Goulette, puis de ceux du Maroc si le royaume chérifien tombe un jour ? Car, même si les nouveaux gouvernements déclareront vouloir officiellement les protéger, ils ne seront pas à l’abri de représailles de nervis venant de la populace inculte. Certains quitteront leur pays, surtout en Egypte et en Syrie, si Assad tombe. L’Europe et les Etats-Unis leur accorderont généreusement des visas, mais ils seront considérés comme des « bicots » par la plèbe européenne, sauf s’ils portent en permanence un crucifix autour du cou. Et les Américains béotiens peuvent très bien en lyncher en les prenant pour des islamistes, comme cela à déjà eu lieu pour des Sikhs après le 11 septembre.

- Les chiites

Les minorités chiites (sauf en Irak ou ils sont majoritaires et associés au pouvoir), sont mal vu des divers courants de l’islam sunnite radical. Le problème le plus grave sera celui des Alaouites de Syrie et à un degré moindre au Yémen et pour quelques ismaéliens d’Egypte. L’Iran, qui n’a pas réussi son coup d’état démocratique à Bahreïn, ne sera pas en mesure de sortir de ses frontières pour protéger ses coreligionnaires, qui de plus ne sont pas du tout inféodés à Téhéran.

- Les femmes

Déjà que la situation des femmes dites libérées s’était dégradée depuis le départ de Bourguiba et la mort de Nasser, le risque d’un retour aux valeurs morales peut très bien s’appliquer aux femmes éduquées. Certes, les nouveaux régimes ne vont pas s’inspirer des Talibans ou des Shebbabs Somaliens, mais la rigueur islamique va s’imposer insidieusement, sans trop de menace au début mais en jouant sur la honte, la crainte et le conformisme. Les femmes vont se voiler de plus en plus, surtout pour ne pas avoir d’ennuis, tout comme la jupe est sortie de la panoplie vestimentaire de certaines banlieues françaises. Même en Algérie ou le régime avait été assez libéral avec les femmes, sauf en milieu rural, Boumediene avait tout de même instauré un code de la famille peu favorable aux femmes dès 1978. Les nouveaux dirigeants algériens, ont fait depuis de plus en plus de concessions aux islamistes du FIS même si le mouvement a été dissout. Bien évidemment, la femme sera au centre des nouvelles constitutions pour leurrer l’Occident et obtenir des subventions à la reconstruction, mais ce sera des droits de façade.

- Les vendeurs et consommateurs d’alcool

Une des premières exactions commise par les libérateurs de l’Irak soutenus par les Américains a été la destruction des brasseries et des distilleries. Il en est de même en Tunisie où l’on est moins virulent, car pour l’instant on veut garder les touristes. Mais qu’en sera-t-il des buveurs arabes, chrétiens ou musulmans en Egypte, en Syrie et peut-être en Algérie où il existe déjà des willayas « sèches » depuis longtemps ? Certes, on boit encore du raki et de la bière dans la Turquie d’Erdogan, mais pour combien de temps encore en dehors d’Istanbul ? Les buveurs arabes vont donc se cacher, raser les murs, avoir peur des qu’en-dira-t-on, même si l’alcool en un premier temps n’est pas officiellement interdit. On a déjà organisé des mises en scène à Bagdad et à Tunis pour montrer l’antre des dictateurs remplie de bouteilles, de devises et de bijoux, si ce n’est de drogue, pour bien faire comprendre au peuple que les despotes étaient des mécréants. Boire sera l’équivalent d’une preuve d’appartenance à la caste des adeptes de l’ancien régime.

- Les prostituées

Des bordels ont été menacés et l’un d’eux victime d’une tentative d’incendie à Tunis. La situation des prostituées était déjà assez misérable dans les pays arabes, elle risque de devenir intenable au nom de la police de la moralité qui sera le bras armé des religieux. La prostitution continuera, il existe des bordels à Kaboul, mais elle sera encore plus aux mains de mafieux qui arroseront encore plus la police. Et les « filles soumises » seront encore plus asservies.

- Les homosexuels

Nous ne sommes plus au temps du Caire et d’Alexandrie sous le Roi Farouk, les récents procès du Caire avec des homosexuels en cage sont là pour en témoigner. Avec l’arrivée d’islamistes au pouvoir, cela sera encore pire. Même si des laïcs arrivent au pouvoir, ils seront obligés de faires des concessions. On voit mal un gouvernement modéré défendre les homosexuels lynchés ou poursuivis, ce serait suicidaire de sa part.

- Les noirs

Qu’on le veuille ou non, Kadhafi avait une vision panafricaniste. Il a fait venir de nombreux Africains dans son pays, tous n’étaient pas musulmans. La traque au noir a déjà commencé en Libye et pas seulement celles des mercenaires, des travailleurs pacifiques ont été cognés, rançonnés par les freedom fighters, n’en déplaise à BHL. Les islamistes, il faut le reconnaître, ne sont pas les ennemis des noirs, à condition qu’ils soient musulmans et qu’ils le montrent. En effet, la communauté des croyants passe pour eux avant l’arabité. Malgré tout, une situation instable n’est pas du tout favorable aux Africains pigmentés, ne serait-ce que par la fragilité des nouveaux régimes qui au début ne pourront être partout et auront d’autres priorités que la protection des noirs.

- Les états occidentaux

Malgré quelques contrats mirifiques qui semblent promis à la France, l’Angleterre et les Etats-Unis en Libye, la romance ne durera que quelques années, le pétrole appelé à se raréfier tombera tôt ou tard dans les mains des Chinois, des Malais, des Indiens et d’autres pays non-alignés qui ont de plus en plus de besoins énergétiques. De plus, ces pays n’embêteront pas les nouveaux régimes en leur parlant timidement de droits de l’homme, le pragmatisme commercial fera le reste. Au mieux la Libye sera gouvernée par les tribus de l’Est, sinon ce seront les islamistes qui y prendront le pouvoir. Les armes ne seront pas toutes récupérées et alimenteront le banditisme local en particulier au Sahel, au détriment d’abord des populations puis des touristes et des résidents étrangers, avec un risque accru de kidnapping.

- Les touristes et les propriétaires de résidences secondaires

Pourra-t-on encore se baigner, se promener en short et prendre l’apéro au Maroc, en Tunisie, en Egypte ou en Syrie ? Probablement oui, pendant une période de transition, mais de plus en plus dans des complexes touristiques fermés comme aux Maldives, mais plus en ville. La sécurité des touristes et des résidents étrangers sera-t-elle assurée comme au temps de Ben Ali et de Moubarak par une police spécialisée bien équipée pour protéger les apports de devise ? Les propriétaires de petits bungalows ou de superbes villas au Maroc et en Tunisie devraient peut-être penser à revendre à de riches autochtones tant que les prix sont encore attractifs. Non qu’on les nationalise, ce qui est possible à terme, mais que le cadre de vie ne soit plus le même, et donc moins attractif.

 Faut-il donc se plaindre de ce qui a été pompeusement appelé « printemps arabe » ? Sûrement pas, car chaque peuple à le droit de faire sa révolution, les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes aurait dit de Gaulle. Mais il ne faut pas rêver. La misère (en dehors de la Libye où il n’aurait jamais y avoir d’intervention armée occidentale directe) touche un trop grand nombre de gens dans les pays arabes pour que la démocratie s’installe comme par miracle. Les islamistes ont fait un travail social remarquable, il ne faut pas le nier. Les carences des états corrompus ou totalitaires ont fait le lit des islamistes. Et puis, beaucoup de différences peuvent se faire jour selon les groupes qui prendront le pouvoir par la voie des urnes. Les salafistes, les wahhabites, les Frères Musulmans n’ont pas la même vision de l’islam politique. Les islamistes modérés seront probablement mis en avant en un premier temps, avant d’être éradiqués ou dépassés par les radicaux minoritaires, comme les bolchéviques ont éliminés les menchéviques. Y-a-t’il un espoir pour les pays arabes ? Probablement, mais à long terme, et il passera par l’éducation et surtout l’université si elle n’est pas noyauté par les religieux, par l’industrialisation, l’urbanisation et l’augmentation du pouvoir d’achat. Un bon salaire entraîne le désir de distractions profanes, peu compatible avec un respect strict de la religion. Alors, bonne chance aux Arabes, ils vont en avoir besoin. De toute façon, leur émancipation du passé autoritaire ne passera pas par un duel du style Sarkozy – Hollande. C’est à eux seuls d’en inventer les termes.



4 réactions


  • zadig 19 octobre 2011 10:22

    e trouve votre article absolument remarquable.
    Par exemple pour le Magreb.
    Je lis très régulièrement la presse en ligne de ces pays.
     (y compris le courrier des lecteurs)
    Et bien le contenu de votre article conforte tout à fait ce que je retire
    de ces lectures
     

    Cordialement

    Un petit cadeau Les Abbesses


    • Georges Yang 19 octobre 2011 11:01

      Pour beaucoup de Français qui regardent TF1 et ne connaissent rien du monde arabe, il s’agit d’une révolution Bisounours ; bien sûr il y a le « méchant » Kadhafi mais tout l monde il est beau, tout le monde il est gentil
      Les Arabes risquent d’être soit les victimes, soit les dindons de la farce de leur révolutions


  • zadig 19 octobre 2011 10:24

    Complément

    Bonjour,

    Je trouve .......


  • zadig 19 octobre 2011 14:15

    A l’auteur,

    Le petit cadeau est une erreur, mais si vous êtes dans une région sèche
    vous pouvez vous désaltérez.

    Salutations


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