samedi 24 décembre 2022 - par Kalman SCHNUR

Sam, un Oncle qui nous veut du bien

Sam, un Oncle qui nous veut du bien

 

On ne présente plus Henri Kissinger, célèbre conseiller géostratégique de plusieurs présidents Républicains de l’Oncle Sam.

MAIS peu d’Européens connaissent son confrère Zbigniew Brzeziński dit « Zbig », américain d’origine polonaise, théoricien influent et source d’inspiration en géostratégie de plusieurs administrations américaines, surtout Démocrates.

Zbig fut, entre autres, conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter pendant son mandat de 1977 à 1981. C’était le début de la guerre menée par la Russie (à l’époque l’URSS, Union des Républiques Socialistes Soviétiques, dite l’Union Soviétique) en Afghanistan ; guerre ayant pour but de soutenir le régime marxisant et prosoviétique à Kaboul, combattu par les « moudjahidine » (traduisez ceux qui pratiquent le Djihad) afghans pendant la quasi-totalité de la décennie 1980.

 

Cette aventure afghane fut fatale à l’URSS. Les lourdes pertes en hommes et en moyens et la défaite finale ont ébranlé Moscou au point de déclencher l’effondrement du régime soviétique et l’effritement du bloc des pays inféodés (dit « Pacte de Varsovie »). Les évènements emblématiques de l’époque, surtout la chute du mur de Berlin (novembre 1989) étaient, en vérité, les conséquences à peine indirectes du choc subit par l’URSS en Afghanistan. La Russie en fut affaiblie et déstabilisée pour longtemps.

 

En 1998 le Nouvel-Obs publia une interview importante avec un Brzeziński désormais libre de sa parole. Extraits :

Question : « L’ancien directeur de la CIA Robert Gates l’affirme… : les services secrets américains ont commencé à aider les moudjahidine Afghans six mois avant l’intervention soviétique…. Vous confirmez ? »

 

Brzeziński : « Oui. Selon la version officielle de l’histoire, l’aide de la CIA aux moudjahidine a débuté courant 1980, c’est-à-dire après que l’armée soviétique eut envahi l’Afghanistan…

Mais la réalité gardée secrète est tout autre : c’est en effet le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé la première directive sur l’assistance clandestine aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul. Et ce jour-là j’ai écrit une note au président dans laquelle je lui expliquais qu’à mon avis cette aide allait entraîner une intervention militaire des Soviétiques. »

 

Question : « ….. Vous ne regrettez rien aujourd’hui ? »

 

Brzeziński : « Regretter quoi ? Cette opération secrète….a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège Afghan….Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président Carter, en substance : ‘’Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam.’’ De fait, Moscou a dû mener pendant presque dix ans une guerre insupportable pour le régime, un conflit qui a entraîné la démoralisation et finalement l’éclatement de l’empire soviétique ».

 

Zbig n’avait donc aucun regret en 1998. MAIS sans doute avait-il des remords dès 2001, le 11 septembre précisément.

Puisque les « Moudjahidine », désormais maitres de l’Afghanistan moyennant la bénédiction de l’Oncle Sam, y importèrent leurs coreligionnaires Talibans du Pakistan voisin. Et ces derniers donnèrent carte blanche à leurs frères d’armes Al Qaeda d’Oussama Bin Laden, libres à y implanter les bases arrières ayant permis, le 11 septembre 2001, aux islamistes suicidaires de frapper New York et Washington. Merci, CIA.

D’autant qu’il a fallu que l’Oncle se venge illico. L’expérience soviétique n’ayant servi à rien, dès novembre ses troupes envahirent donc l’Afghanistan pour y guerroyer pendant vingt ans, accompagnés de leurs caniches habituels dont la France. Pour in fine déguerpir, la queue entre les jambes et la honte au front, laissant le pays détruit pleurer ses morts comme d’habitude, rendant les Afghans aux Talibans et les Afghanes à la Charia.

L’Histoire se rit de nous et elle rit jaune. Merci encore, CIA.

 

Toute ressemblance au cataclysme russo-ukrainien actuel ne doit évidemment rien au hasard.

Car la vision du monde de Zbig est limpide. Exprimée en 1997 dans son livre-doctrine-profession de foi dont le nom d’origine en Anglais trahit la brutale franchise : « The Grand Chessboard : American Primacy and Its Geostrategic Imperatives » ; traduisez « Le Grand Echiquier, la prééminence américaine et ses impératifs géostratégiques ».

En bref dit-il : « L’Eurasie est l’arène centrale du globe….Il est impératif qu’AUCUN concurrent eurasien n’émerge, capable de dominer l’Eurasie et donc de défier l’Amérique.”

AUCUN concurrent donc. De qui parle-t-on sinon de l’immense Russie ? D’où l’intérêt porté à l’Ukraine : « L’Ukraine est le pays critique, en ce qui concerne le développement futur de la Russie….Sans l’Ukraine, la Russie n’est plus un empire eurasien.”

Et en 2014 un Zbig vieillissant mais toujours obstiné et influent récidive. Il dit de Poutine : « La Guerre froide – la possibilité d’une catastrophe nucléaire pour toute l’humanité… n’est pas aussi importante (aux yeux de Poutine) que la disparition d’un Etat (l’Union Soviétique) ​​ou il était un agent des services spéciaux, quelqu’un du KGB. Il veut reconstruire l’Union soviétique. Et l’Ukraine c’est le gros lot. S’il peut obtenir l’Ukraine, la partie est bien engagée (pour lui) ».

CQFD. Tout s’explique là. L’Afghanistan ne fut qu’un apéro. Le plat de résistance est l’Ukraine. Et le dessert ? L’Otan à Moscou ? Quoi d’étonnant si la doctrine Zbig, toujours écoutée par les administrations Démocrates US, dont l’actuelle de Biden, passe pour une provocation belliqueuse aux yeux des décideurs russes, Poutine le premier ?

S’agissant donc de Joe Biden. N’ayant jamais démérité de son sobriquet « la gaffe », et l’âge n’arrangeant rien, l’homme est une source inépuisable d’émerveillement.

En mars 2021, deux mois après son serment d’accession à la présidence US et presque un an avant l’invasion russe de l’Ukraine, Biden fut interviewé par un journaliste bien complaisant.

Une des questions posées par le plumitif était curieusement formulée : « Diriez-vous que Poutine est un tueur (‘’killer’’) ? ». Et la réponse de Biden fut impensable, en violation de toutes les règles de civilité, de bienséance et de protocole qui régissent les rapports entre chefs d’Etats ayant des relations diplomatiques : « oui, je le crois ». Amnésique Biden ; car de quels noms traiterait-il donc, exemple au hasard, ses prédécesseurs ayant sévi pendant quinze ans au Vietnam ? Y ayant commis tous les crimes de guerre possibles et imaginables ?

Mieux ; à la question du folliculaire qui lui sert la soupe « quel prix Poutine aurait-il à payer pour ça » ? Biden répondit : « le prix qu’il aura à payer, vous le verrez bientôt ».

De quel prix s’agit-il ? De la guerre en Ukraine, effectivement punitive aussi pour la Russie et pour Poutine ? Biden savait-il un an d’avance ? Auquel cas à qui profite le crime ?

Un document, passé presque inaperçu, datant du 10 novembre 2021, à savoir trois mois et demi avant l’invasion russe de l’Ukraine, permet d’éclairer la question.

Il suffit d’accéder par Internet au site officiel du ministère US des affaires étrangères (Secretary of State) et saisir « U.S.-Ukraine Charter on Strategic Partnership november 2021 » (charte de partenariat stratégique entre les USA et l’Ukraine de novembre 2021). Le document est en Anglais, signé par les ministres éponymes des deux pays.

Cette « charte », et notamment sa « section II », ne peut qu’être considérée par la Russie comme une menace vitale par les USA (moyennant son vassal l’Ukraine).

 

Le terme « Russian agression » y figure plusieurs fois. Promesse y est faite avec insistance d’aboutir à l’intégration de l’Ukraine dans les « structures européennes et euro-atlantiques » (sic…), le but étant d’obtenir « l’interopérabilité » (re-sic).

 

Il s’agit EXACTEMENT d’un engagement d’intégration rapide de l’Ukraine à l’Otan ; alors que la Russie s’égosillait depuis des années à avertir qu’une telle intégration serait une ligne rouge, un casus belli. Il s’agit d’une provocation voulue et programmée. La VRAIE déclaration de guerre est là ; et la Russie n’en est pas signataire.

Le tout corroboré par la nouvelle franchise d’Angela Merkel, l’ancienne chancelière de l’Allemagne désormais retraitée.

Dans un entretien accordé au journal Die Zeit en décembre 2022 elle parle, entre autres, des « accords de Minsk » négociés en 2014 et en 2015 par Kiev et Moscou. Ces accords avaient pour finalité officielle de régulariser le conflit entre les deux pays concernant le Donbass. MAIS, avoue Merkel maintenant, ils avaient pour but réel de gagner du temps et de permettre à l'Ukraine de se renforcer, surtout militairement, en vue d’une guerre contre la Russie. C’est plus que réussi.

Normal. Vu que « régulariser le conflit » entre l’Ukraine et la Russie ne va pas dans le sens de la doctrine Brzeziński ; sa finalité étant l’antagonisme entre les deux, la rupture entre l’Europe et la Russie, Europe et Ukraine devenant de ce fait inféodés à l’Oncle Sam pour que RIEN dans l’espace eurasien ne lui fasse de l’ombre, le laissant incontestable chef de file dans son inévitable face-à-face avec la Chine. 

 

L’Oncle Sam aime l’Ukraine. Ce pays est donc depuis au moins dix ans, bien avant les évènements dits « de Maïdan » (pour lesquels on ne remerciera l’Oncle jamais assez), un champ de bataille à intensité croissante.

MAIS aussi, curieusement, un « Wild West » où s’exporte l’épreuve de force entre engeances rivales américaines. Il suffirait de rappeler le premier « impeachment » (tentative de destitution par la voie parlementaire) du président (Républicain) Donald Trump en 2019, sur fond d’agissements en Ukraine de ses rivaux (Démocrates) Biden père et fils. De rappeler Hunter (fiston) Biden, actuellement sous enquête du FBI, ayant siégé longtemps, pour un salaire conséquent, au conseil d’administration de Burisma, grosses entreprise gazière ukrainienne, alors qu’il n’y connaissait RIEN ; mais son père était vice-président d’Obama et futur président…. Et du soudain intérêt porté par Joe Biden, vice-président à l’époque, à la lutte contre la corruption en Ukraine (pourquoi pas en Patagonie ?), utilisant l’argent du contribuable US pour imposer à l’Ukraine le limogeage du procureur ukrainien (corrompu, disait-il) Viktor Shokin ; le même Shokin étant supposé s’intéresser à Burisma, employeur de Hunter Biden…

Bref, l’Oncle Sam y régente ce qu’il veut. On dirait que parallèlement au « Grand Echiquier » de Zbig un « petit échiquier » inavouable, mafioso-politique, tournicotait en Ukraine. Sachant que l’on attribuait obstinément à Trump, le rival principal de Biden à l’époque, des liens avec la Russie de Poutine ; pourrait-on échapper à la question si la tragédie russo-ukrainienne actuelle n’est pas une guéguerre Trump-Biden par Europe interposée ? Un duel politicien US exporté, sur notre dos et à nos frais, en Ukraine ?

 

L’Oncle Sam aime aussi l’Amérique Latine, surtout depuis la « doctrine Monroe » d’il y a deux siècles, jamais abrogée et même étendue au reste du monde. On attribue ceci à Porfirio Díaz, ancien président du Mexique : « Pauvre Mexique, si loin de Dieu et si près des États-Unis ». La plupart des pays d’Amérique Latine pourraient souscrire à ça vues les innombrables interventions US, militaires, économiques, politiques ou barbouzardes, pour y arranger les affaires de l’Oncle. Le Cuba en sait quelque chose, le Chili aussi, le Venezuela, le Nicaragua et tous les pays impliqués dans « l’opération Condor » ; liste non exhaustive.

 

L’Oncle Sam aime aussi l’Irak, qu’à deux reprises (en 1991 et en 2003) ses armées (sous les présidents Bush père et fils) envahirent, sous des prétextes variés.

La première fois il y avait vaguement question de « libérer » le Koweït, principauté pétrolière d’opérette dans la péninsule arabique, dont la raison d’être fut l’intérêt colonial de l’empire britannique (« diviser pour régner ») suite au démantèlement de l’empire ottoman dès 1917. L’Irak a envahi le Koweït en 1990, n’ayant jamais reconnu son indépendance, le considérant comme une province naturelle de la « mère patrie » irakienne. Les USA et leurs caniches habituels (dont la France) attaquèrent donc et occupèrent l’Irak en 1991, « libérant » le Koweït du « joug » irakien. Des mauvaises langues expliqueraient que le Koweït regorge de pétrole et que ceci explique cela.

La deuxième fois était tout simplement un gros bobard planétaire. L’Oncle-en-chef George W. Bush, bigot, simpliste et crédule, s’est laissé raconter par son intriguant entourage, et notamment par le vice-Oncle Dick Cheney (ancien dirigeant de Halliburton, grosse entreprise proche du complexe militaro-pétrolier américain), que l’Irak de Saddam Hussein possédait des horribles « armes de destruction massive » que ce pays s’apprêtait à utiliser.

C’est ainsi que l’Irak fut envahi à nouveau par l’Oncle, sa structure étatique détruite, sa population massivement décimée, son économie démolie, Saddam sommairement jugé et pendu.

Mais JAMAIS personne ne trouva trace de ces « armes de destruction massive ». C’est qu’elles n’avaient jamais existé : l’Oncle Sam et ses principaux ministres ont menti à la face du monde pour prétexter l’injustifiable.

Rendons justice à la France de Chirac qui, une fois n’est pas coutume, refusa de faire le caniche et dénonça la supercherie.

SAUF que ce n’est pas fini. Les troupes (d’élite, what else) de l’Oncle y sont toujours.

Sachant que l’Irak est une mosaïque d’ethnies et de religions ; essentiellement musulmans sunnites et chi’ites. Saddam ayant été sunnite (et ennemi historique de l’Iran chi’ite) sa classe dirigeante en était largement composée. Saddam pendu, le pouvoir en Irak a migré vers les chi’ites, proches coreligionnaires des Ayatollah iraniens que l’on ne présente plus. Merci Oncle Sam.

Sans oublier la frustration de l’élite sunnite, anciens maitres du pays désormais impuissants. D’où la genèse de Daech dit « Etat islamique », organisation sunnite radicale ayant semé la terreur certes au Proche Orient mais aussi en Europe dont en France. Merci encore, l’Oncle.

L’Oncle Sam nous aime aussi. Il adore surtout notre industrie qu’il compte siphonner moyennant une législation protectionniste et nos coûts énergétiques exorbitants, dus aux sanctions à double tranchant que nous infligeons à nous-même sur ses ordres. J’abrège.

Que Dieu nous préserve de nos amis.

 K.Schnur janvier2023.

 

PS. L’auteur de ceci étant paresseux, pour le chapitre « crimes de guerre » consultez Chelsea Manning et Julian Assange. Si affinité consultez « Guerre du Vietnam », sans oublier « agent orange ». Pour le chapitre « Oncle Sam voit tout » consultez Edward Snowden. Les amateurs d’Histoire trouveraient de quoi se faire une idée en consultant « Hiroshima et Nagasaki ». Liste non-exhaustive.




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