Syrie : et maintenant ?
La géopolitique actuelle focalisée sur la Syrie est plus inextricable que jamais car il s'agit de moins en moins d'un enjeu unique opposant deux protagonistes identifiés qui, si c’était le cas, pourraient entamer des négociations pour mettre fin à la guerre.
La dernière opération militaire de l’OTAN donne un éclairage en clair-obscur à la savante chorégraphie diplomatique qui va nous être présentée dans les semaines et mois qui viennent. Les attaques « chirurgicales » contre des cibles syriennes ont été soigneusement planifiées pour éviter de toucher des cibles russes, iraniennes ou du Hezbollah, ou des militaires turcs en opération, quatre acteurs engagés directement dans ce conflit pour des raisons différentes. Leur détermination tranche avec la position des Etats-Unis et ses alliés français, anglais et saoudiens qui ne sont pas favorables à un combat direct prolongé.
Alors que les autres pays se livreront à un interminable ballet diplomatique, la Russie, l'Iran, la Turquie et le Hezbollah continueront à dominer la situation sur le terrain comme ils le font depuis deux ans. Mais, s’ils ont bien remporté une victoire sur divers groupes armés opposés au Président Assad, deux points noirs demeurent.
Le premier concerne l’avenir des régions du nord-est où les Kurdes syriens jouissent désormais d'une autonomie mais sont confrontés à l'opposition des gouvernements syrien et turc. Le second concerne le sort qui sera réservé aux dizaines de milliers de combattants rebelles appartenant à des groupes islamistes et laïques hétéroclites qui sont maintenant encerclés dans quelques zones du nord-ouest et du sud du pays.
Quand ces deux questions auront trouvé des réponses, qui décidera de l’avenir de la Syrie ? Les rencontres de Sotchi et d'Ankara entre les présidents de la Russie, de la Turquie et de l'Iran évoquent les pourparlers qui avaient eu lieu à propos de la Syrie il y a cent ans, quand les puissances coloniales britannique et française ont modelé ses contours en tant que nouvel état dans un nouvel ordre régional qui convenait à leurs intérêts, devant des spectateurs turcs, russes, américains et sionistes qui s’invitaient quand ils le pouvaient.
Le fait que des acteurs extérieurs façonnent une nouvelle fois l'avenir de la Syrie sans tenir compte de la volonté du peuple syrien risque encore une fois de produire un résultat fragile et déséquilibré générateur de tensions et de foyers conflictuels. Un pays qui est créé ou reconfiguré principalement selon les souhaits des puissances étrangères, et qui ne permet pas à son propre peuple de jouer un rôle dans la prise de décision, aura du mal à atteindre sa pleine souveraineté et une stabilité minimale.
En regard de ces enjeux, les attaques aériennes de samedi contre trois cibles syriennes semblent marginales sinon dérisoires. Les tirs franco-anglo-américains visant à « punir » le gouvernement syrien et à le dissuader d'utiliser des armes chimiques (sic) risquent de se retourner contre leurs auteurs, non seulement dans l’opinion publique de leurs propres pays, mais également en aggravant la déstabilisation des états encore soumis à l’influence des zombies rescapés de l’ « état islamique ».
Les états occidentaux et arabes qui ont utilisé des moyens militaires et politiques par procuration (false flags et proxi wars) pour « faire reculer » l'influence iranienne sur les terres arabes ont obtenu le contraire de ce qu'ils cherchaient à établir. L'influence de l'Iran, de la Russie, du Hezbollah et de la Turquie en Syrie et dans d'autres pays arabes n'a cessé de croître, en proportion du bellicisme persistant des Etats-Unis et des autres puissances occidentales.
Personne ne détient la formule magique qui mettra fin à la violence au Moyen-Orient, mais s'il est difficile de faire le bonheur d’un peuple malgré lui, il est impossible de le faire contre lui. Et dans cette région du monde, plusieurs autres peuples que les Syriens sont muselés. Plutôt que de voter des motions inutiles à l’ONU et de faire des "unes" des magazines truffées d'incantations droit-de-l’hommistes, la première chose à faire est de retirer ces muselières.
Seulement voilà : cela nirait pas dans le sens des intérêts des voisins, ni des puissances impériales d’autant plus dangereuses qu’elles sont sur le déclin.
Alors, il faudra se contenter du spectacle des entrechats des ambassadeurs, des tapis rouges et des grosses limousines.