mardi 18 mars - par Sylvain Rakotoarison

Syrie : peut-on encore massacrer en paix ?

« Le pouvoir syrien a du mal à contrôler ses propres troupes et sa population. (…) Il y a des unités avec des combattants étrangers, comme des Ouzbeks, mais aussi des civils, qui se vengent d’événements qui ont pu se produire il y a dix ou quinze ans. (…) La majorité de la population dans les régions alaouites ne voulait pas repartir dans un cycle de guerre et de représailles. Si elle est confrontée à des actions de grande ampleur et des massacres, cela pourrait fournir aux insurgés le soutien populaire dont ils manquaient jusqu’à présent. » (Thomas Pierret, spécialiste de la Syrie au CNRS, le 8 mars 2025 sur RFI).

Il est aujourd'hui des questions stupides qu'on se pose en écoutant l'actualité. Comme : peut-on encore massacrer en paix ? Le mot "paix" est à prendre dans ses deux sens. Le sens propre, à savoir la paix, contraire de la guerre où l'on massacre allègrement (c'est même la définition de la guerre, si possible des combattants et pas des civils), et puis le sens figuré, peut-on massacrer tranquillement ? Sans médias, sans manifestations, discrètement, dans l'entre-soi secret, sans conséquences diplomatiques, bref, en toute impunité ?

Il faut dire que Donald Trump vient de retirer son pays de la commission d'enquête visant à faire toute la lumière sur les massacres de Boutcha et d'autres lieux d'Ukraine par les forces poutiennes.

On peut aussi se poser d'autres questions stupides comme celle-ci aussi : le port de la cravate rend-il plus civilisé ? Non, je ne parle pas des députés RN (encore que), mais du nouveau Président de la République arabe syrienne de transition, proclamé le 29 janvier 2025 mais en exercice réellement depuis le 8 décembre 2024. Je ne sais même pas comment l'appeler : son nom de cravaté, Ahmed Al-Charaa ? Ou son nom de chef de guerre, de chef terroriste, chef de clan, chef d'Al Qaida, chef de Daech, fondateur du Front Al-Nosra, à savoir Abou Mohammed Al-Jalouni ?

On le savait pourtant bien que les "islamistes modérés" n'existaient pas, pas plus que des "talibans modérés" en Afghanistan. La chute de Bachar El-Assad et sa fuite de Damas, le 8 décembre 2024, étaient attendues depuis cinquante-trois ans et la fin de la dictature de la dynastie des Assad a été un grand soulagement pour les Syriens. Mais on savait que ce soulagement serait de courte durée et que si on guérit d'une grave maladie, il ne faut pas non plus choper une autre grave maladie.

 

La raison de cette petite réflexion ? Le massacre des innocents, du 6 au 10 mars 2025 dans l'ancien bastion de la famille Assad. Au moins 1 383 civils, principalement des alaouites, ont été massacrés dans une cinquantaine de massacres selon un communiqué publié le 12 mars 2025 par l'Observateur syrien des droits de l'homme (OSDH, une ONG syrienne créée en 2006). L'OSDH a expliqué que c'étaient des « exécutions sur des bases confessionnelles » par les forces de sécurité syriennes et des groupes alliés.

En gros, dans quatre régions (gouvernorats), à Lattaquié, Tartous, Hama et Homs, les forces alaouites de l'ancien dictateur Bachar El-Assad se sont insurgés le 6 mars 2025 contre les forces dites gouvernementales. Cette rébellion a été étouffée le 10 mars 2025 par les forces gouvernementales après des combats sanglants. Plusieurs centaines de morts sont à déplorer des deux côtés.

Le journaliste Pierre Haski a pu résumer les événements le 10 mars 2025 sur France Inter ainsi : « Tout dans cette tragédie était prévisible : des soldats de l’ancien régime ayant refusé de se rendre se sont livrés depuis jeudi soir à des opérations de guérilla coordonnées dans le pays Alaouite, la minorité dont était issu le clan Assad. En représailles, une vague de violence aveugle a visé aussi bien les partisans armés d’Assad, que les civils alaouites victimes de vengeances de masse pour les morts des derniers jours, mais aussi pour les décennies de dictature. Tout le monde redoutait ce scénario depuis trois mois. ».

Ce qui est scandaleux, c'est qu'en plus de ces morts par combat, les forces gouvernementales, sunnites, ont massacré par la même occasion de nombreux civils parmi la population civile alaouite (chiite).


Le chef de la Syrie actuelle, en plein transition, Ahmed Al-Charaa, dans son beau costume de ville, s'est déclaré lui aussi scandalisé, considérant qu'il était responsable également de la sécurité de la population alaouite (« Il est de notre devoir de les protéger et de les sauver du joug des gangs du régime déchu. »), appelant ses troupes le 7 mars 2025 à « éviter toute exaction ou débordement » (c'est raté).

Le 9 mars 2025, Ahmed Al-Charaa a annoncé qu'il allait désigner une « commission indépendante » pour enquêter sur ces massacres : « Nous demanderons des comptes fermement et sans indulgence, à quiconque a été impliqué dans l’effusion de sang de civils ou la violence contre notre peuple qui outrepasse l’autorité de l’État. ». Il a déclaré également : « Ces défis étaient prévisibles. (…) Nous devons préserver l'unité nationale, la paix civile autant que possible, et, si Dieu le veut, nous serons capables de vivre ensemble dans ce pays autant que possible. ».
 

L'insurrection des factions pro-Assad a été condamnée par la Turquie, l'Arabie Saoudite et la Jordanie sans pour autant condamner les massacres des alaouites qui ont eu lieu en réaction. Seul l'Iran semble assez sincère dans sa condamnation des massacres (ce qui est logique) et les Force démocratiques syriennes qui contrôlent le Nord et l'Est de la Syrie (kurdes) ont appelé au calme pour « s'engager dans un dialogue national » et construire « une solution politique globale ».

Les pays européens ont aussi appelé au calme et ont condamné fermement ces massacres des innocents, en particulier la France qui a « condamné dans les termes les plus forts les atrocités commises contre des civils sur la base de motifs religieux et contre des prisonniers ». Stefan Schneck, l'envoyé spécial de l'Allemagne en Syrie, a déclaré sur Twitter : « Je suis profondément choqué par les nombreuses victimes dans l’ouest de la Syrie et j’appelle tout le monde à rechercher des solutions pacifiques, l’unité nationale, un dialogue politique inclusif et une justice transitionnelle. Nous devons sortir du cycle de la violence et de la haine. L’Allemagne est prête à aider partout où elle le peut. ».

Mais l'indignation internationale a semblé toutefois assez molle. Pourquoi ? Sans doute pour deux raisons. La première, ce que les populations victimes de ces massacres (principalement alaouites) étaient, bien que civiles, les représentants des bourreaux d'hier et la rancœur contre les exactions d'hier a certainement aidé à réagir très mollement. En outre, les massacres entre sunnites et chiites sont très fréquents depuis des dizaines d'années et pourraient résumer presque à eux seuls l'histoire du Proche- et Moyen-Orient actuel.
 

La deuxième raison est plus politique. Il ne faut pas décourager les "islamistes modérés" d'être "modérés". En fermant légèrement les yeux devant ces massacres scandaleux mais considérés alors comme de simples "bavures" des forces gouvernementales, on ne réduirait pas à néant toutes les tentatives du pouvoir en place, et en particulier d'Ahmed Al-Charaa, de gagner en respectabilité et crédit international pour normaliser la Syrie.

C'est de plus une véritable première épreuve politique pour Ahmed Al-Charaa : dans les faits (pas dans les intentions et encore moins dans les déclarations, mais dans les faits), Ahmed Al-Charaa donnera-t-il raison à ses partisans un peu trop "emportés" contre les alaouites ou les condamnera-t-il (vraiment) avec une justice sévère afin de réprimer toute envie ultérieure de commettre ce genre de massacres ?

Pour l'heure, les supputations politiques n'ont pas lieu d'être. C'est l'émotion qui devrait dominer les esprits avec plus d'un millier de personnes innocentes qui ont été massacrées. Je pense à elles car à travers elle, c'est toute l'humanité qui est atteinte, comme dans chaque massacre, quel qu'il soit. La nature revient souvent très rapidement au galop. Mais comment changer sa nature ? C'est tout l'art difficile de la civilisation.


Aussi sur le blog.



Sylvain Rakotoarison (17 mars 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Syrie : peut-on encore massacrer en paix ?
Syrie : la chute historique de Bachar El-Assad.
Fadwa Suleiman.
Daech : toujours la guerre.
Le massacre d’Alep.
Daech en Syrie : guerre et peine.
Flou blues.
BHL et la Syrie.
Vade-mecum des révolutions arabes.

 

 



5 réactions


  • Jelena Jelena 18 mars 18:45

    Des milliers de chrétiens se sont réfugiés prés de la base militaire russe qui est toujours sur place... Et si les médias français versent des larmes de crocodile sur les chrétiens en faisant un procès à Al Nosra, c’est avant tout pcq ceux « qui font du bon boulot » ne s’en prennent à ces militaires russes.


  • ETTORE ETTORE 18 mars 21:27

    Ben alors Rakoto....

    Dites, c ’est très faiblard, votre édito carpette .

    On dirais que vous êtes un peu coincé des coucougnettes, avec ces massacres de baptisés. ( que votre bien séant, sous LOA macronHideux, ne veut, et ne peut même pas appeler « martyr », sans qu’il ne soit lui même, accusé de collusion .

     C ’est quoi ? Votre Lampiste Elyséen, qui ne sait plus sur quel pied bot danser ?

    Faire la guerre à des Orthodoxes, et laisser se faire massacrer des Chrétiens, ?

    Vous me direz, tant que les Trans, et les LGBTQ+ ou moins castrés des testicules bleues, ne se manifestent pas sur les pelouses du palais des lubricités Elyséen,

    on peut continuer à serrer les pognes, qui après, crampent la gâchette à supplice .

    Cela ne sent vraiment pas très bon, du côté de la porte d’entrée vitrée, de votre

    Ment-tord et à travers ; Mais pas du tout !


    • Rémy Rémy 19 mars 19:38

      @ETTORE

      Normal que ça sente pas bon, avec son « Aston Martin » le fou furieux se prend pour
      Bond , pas James mais Nauséa Bond....


  • La Bête du Gévaudan 19 mars 01:40

    L’Union Européenne de votre amie Ursula von der Leyen vient de promettre aujourd’hui-même des milliards d’euros au gouvernement syrien de l’islamiste génocidaire en question... « pour la reconstruction » qu’elle a dit... 

    Il est très intéressant de voir l’islamisme morbide du bloc euro-socialiste : Von der Leyen, Charles III, Mélenchon, Villepin, Macron, etc. sont complètement enfermés dans une fascination pour cette doctrine totalitaire crépusculaire. 

    L’islamisme fascine certaines personnes comme jadis le nazisme et le communisme... C’est lié à un manque intellectuel et spirituel, une forme de détresse morale chez ces gens, qui cherche une issue dans une doctrine manichéenne et violente. 

    Il est d’ailleurs édifiant de voir comment la prétendue « cause palestinienne » est devenue le carrefour des trois nihilismes totalitaires : socialisme, nazisme, islamisme. Comme s’ils se reconnaissaient entre-eux mutuellement d’une même famille intellectuelle.


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