jeudi 23 août 2012 - par Maxwell N. Loalngar

Tchad : Crise sociale, l’intenable position d’Idriss Déby Itno

Au Tchad, les travailleurs de l’Etat entrent dans leur cinquième semaine de grève générale pour réclamer une hausse des salaires en vertu d'un accord entre leurs syndicats et le gouvernement en fin d'année dernière. Après que le président Idriss Déby Itno ait estimé impossible la satisfaction de leur revendication. 

Reclus ces temps-ci dans son palais de marbre pour question de sécurité comme le laissent entendre les rumeurs n’djaménoises, Idriss Déby Itno a raté l’occasion d’une remarquable sortie ce 11 août 2012. A part montrer lors du défilé militaire ses muscles par une exposition de ses engins de guerre comme pour décourager toute velléité hostile, il n’aura pas rehaussé d’un cachet particulier la commémoration du 52ème anniversaire d’indépendance du Tchad par une annonce importante sur la grave crise sociale que traverse le pays. Crise marquée par une grève générale des agents de l’Etat, qui entre dans sa cinquième semaine. Ceci pour exiger le respect d’un accord d’augmentation de salaires signé en fin 2011 entre leurs syndicats et le gouvernement.

Interrogé par la presse locale, Idriss Déby a répondu par l’évitement et la bravade verbale. Se parant de sa tunique de faux démocrate pour l’occasion, il refuse tout compromis et propose ni plus ni moins que de se remettre à l’arbitrage du peuple sur l’opportunité de relever les salaires des fonctionnaires. « On prend l’ensemble de nos ressources : douanes, domaines, contribuables, tous avec un peu de ressources du pétrole pour payer uniquement le salaire. On a crevé le plafond. On ne peut pas aller plus loin que cela, c’est impossible. A moins qu’il y ait un miracle, que nous ayons d’autres puits à mettre en valeur, d’autres ressources minières qui nous apportent plus », tranche-t-il sec avant de lâcher, dépité : « Si c’est ce que les Tchadiens veulent, je suis prêt à organiser un referendum national. Auquel cas, on va consacrer l’ensemble des ressources au salaire, nous mangerons et nous resterons comme le font certains pays qui le regrettent !  » C’est limpide, Idriss Déby Itno refuse, à moins que le peuple en décide autrement, de concéder aux ouvriers de la République la légitime revalorisation de leurs salaires qui ne permettent plus déjà de vivre décemment dans l’une des cités les plus chères au monde. Il explique sa position par la volatilité des ressources notamment des revenus pétroliers qui ne permettraient pas d’assurer une hausse soutenue de ces salaires. A moins, indique-t-il, de revenir sur un certain nombre d’investissements entrepris pour moderniser le pays notamment dans le domaine des infrastructures, de la santé et de l’agro-pastoral, pour ne citer que ceux-là. 

Autrement dit, Idriss Déby Itno remet même en cause l’accord conclu en fin d’année passée avec les différents syndicats pour revaloriser graduellement les salaires à hauteur de 40% d’ici à 2014. Soit 2 ans avant les prochaines échéances électorales. 

Pour le moins qu’on puisse dire, le président Déby, comme à ses habitudes, peine à convaincre. Surtout si l’on se fonde sur la manière dont les ressources du pays sont gérées. Son raisonnement ne tient pas la route au regard des réalités vécues. D’abord, il était temps depuis fort longtemps que la grille salariale de l’ensemble de la fonction publique soit revue à la hausse. Cette grille, qui date pratiquement comme par hasard de l’indépendance en 1960, malgré d’infimes concessions particulières au secteur de la santé et de l’éducation, n’épouse pas l’évolution des données macro-économiques du pays dopées alors par les perspectives pétrolières. Une revalorisation à hauteur de ce qui est promis en étalement aujourd’hui d’ici à 2014 s’imposait d’ailleurs déjà dans la phase de construction du projet pétrolier si le pouvoir était déjà responsable et avait d’égards pour ses travailleurs. Ça ne devait être que justice pour une catégorie qui, en plus de porter alors tout le poids de la société, avait été rudement mise à contribution pour soutenir les efforts de guerre et de reconstruction en acceptant de mettre entre parenthèses une décennie durant ses émoluments normaux pour vivoter avec un demi-salaire conjoncturel. Idriss Déby rétorquera qu’à cette époque les ressources ne pouvaient soutenir une telle perspective. Mais à regarder de plus près ce à quoi les bonus pétroliers et par la suite les royalties concédées par le consortium avaient servi, il est permis d’en douter. Une saine gestion et l’économie des énormes dépenses militaires et du train de vie déjà débordant des tenants du pouvoir et de la parentèle tribale ayant mainmise sur les régies financières du pays auraient bien suffit à rendre possible une telle option. C’est sur ce second point-là justement que l’on peine à comprendre Idi. Il est intenable, affirme-t-il, de soutenir 400 milliards de masse salariale par an ; un chiffre qui nous semble déjà exagéré et reste à vérifier. La dilapidation, le pillage des ressources et le détournement des deniers publics qui ont toujours court dans une ambiance de folklorique moralisation publique font sonner comme un prêche dans le désert les propos d’Idriss Déby Itno. 

A moins de fermer les yeux et de demeurer un « président-partisan », il devrait se rendre à l’évidence qu’une catégorie de citoyens, pour en partie ses parents, vit largement au-dessus de la République. Ceci aux dépens des finances publiques siphonnées par diverses méthodes prédatrices dont ils ont le secret. Encouragés en cela qu’ils sont par une impunité problématique dont les racines sont à trouver dans des vices antédiluviens et non républicains qu’il est temps d’abandonner. Avec les dépenses publiques qui se matérialisent régulièrement par des achats en des centaines de moyens roulants rutilants et plusieurs autres acquisitions, les énormes manques à gagner entraînés par les attributions opaques des marchés publics, les surfacturations de nombreux chantiers d’infrastructures dont certains sont d’ailleurs laissés à l’abandon, les cadeaux fiscaux hors normes accordés à certaines entreprises et autres individus, la gestion ou la tenue personnelle et familiale des finances de certaines régies notamment des douanes et droits indirects, etc., il est incohérent de soutenir que les ressources manquent pour payer aux travailleurs ce qu’ils méritent. Que fait-on des énormes entrées fiscales dont on dit sur la blogosphère tchadienne - jamais démentie officiellement - qu’elles alimentent un compte privé logé dans une des banques commerciales de la place et dont l’actuel DG des douanes, frère du président, serait le seul ordonnateur sur lequel le trésor public n’aurait plus aucune emprise ? A ce sujet, les experts en conviennent, il est impensable qu’avec une assiette fiscale sans cesse élargie (quelques fois à l’humeur prédatrice dudit DG en dehors ainsi de tout cadre législatif) dans un pays qui importe toujours plus qu’il n’exporte, l’on ait des recettes réduites comme nous le rabâchent les responsables adeptes de détournements !

D’où viennent les ressources qui soutiennent le train de vie extravagant et les faramineux investissements de certaines pontes du pouvoir et de la plupart des parents tribaux du président de la République ? Comme ces villas et châteaux onéreux qui poussent comme des champignons à travers le pays ? On ne voit pas où ils vont puiser leurs arguments financiers si ce n’est forcément, d’une manière ou d’une autre, dans les ressources de l’Etat. A moins, comme le veut la phraséologie officielle d’une singulière «  renaissance » qui fait désormais du Tchad le champion toute catégorie d’un curieux progrès en Afrique centrale, qu’ils soient eux aussi entrepreneurs d’un nouveau genre qui tirent toutes ces ressources de créneaux novateurs et très porteurs… ! Ce qu’il est permis d’en douter.

Assurément, plus que la soutenabilité de la masse salariale résultant d’une revalorisation, c’est la position d’Idriss Déby Itno qui est intenable. Plutôt que d’œuvrer à la remise en ordre de l’appareil étatique par un nettoyage de ses écuries d’Augias, il préfère la bravade avec les syndicats. La fin des faveurs et des sauf-conduits partisans et tribaux, de l’impunité débouchant sur une réelle moralisation de la gestion publique, une orthodoxie financière et une transparence de la gouvernance économique du pays, sont pourtant à même de permettre à toutes les couches socioprofessionnelles de vivre dignement et honnêtement de leur labeur. Les agents de l’Etat qui n’ont que trop trimé le méritent amplement. Que certaines voix équivoques pointent l’improductivité de cette fonction publique pour soutenir la position d’Idi, n’est pas suffisant pour saper le bien-fondé de la revendication des travailleurs. Cela est un autre débat qui risque de mettre une fois de plus en exergue les carences de l’Etat même qu’incarne Idriss Déby Itno.

Reste que le bras de fer entamé depuis des semaines par les syndicats est assez légitime. Mais comme Idriss Déby porte si bien son second prénom, il se « débi(y) ne  » et passe outre les actions salutaires pour proposer sa solution idoine : un référendum populaire sur la question. Sachant que les scrutins chez lui n’ont de démocratique que le nom, il espère évacuer comme toujours le problème par la confiscation des réelles aspirations de ses sujets dans des urnes détournées. Une fois de plus, en refusant d’attaquer les causes des problèmes de front, Déby préfère préserver des privilèges partisans contre la légitime revendication de l’écrasante majorité condamnée à broyer du noir. Aussi donne-t-il la preuve supplémentaire que ses discours ne sonnent en bien que pour ses parents. Lesquels peuvent continuer à vivre dans l’opulence en attendant que les puits de pétrole ne tarissent. Pendant que lui sert le discours d’austérité au Tchad réel réduit à vivre des miettes. Curieuse phraséologie que celle d’un chef qui passe pour veiller au bien de tous ! Les travailleurs du public ne sauraient demeurer les parents pauvres de l’embellie pétrolière ! A eux d’en juger et savoir refuser de se faire tourner une fois de plus, sinon à jamais, en bourriques.



1 réactions


  • louphi 23 août 2012 23:12

    Maxwell N. Loalngar

    Ce n’est pas tous les jours que les médias parlent de la situation politique, économique et sociale du Tchad, surtout la pauvreté et la misère des populations de ce pays comme d’ailleurs de tous les pays de la Françafrique. Votre article est donc intéressant de ce point de vue.

    Il est cependant regrettable que votre article ne relate que la confrontation à huis-clos entre l’Etat tchadien et ses agents. Vous faites comme si le Tchad est un pays indépendant. Ce qui est très loin de la réalité. Le Tchad est un pays culturellement, économiquement, financièrement, politiquement et militairement dépendant de la France. C’est un pays de la Françafrique, un pays africain soumis à la France, en fait une colonie de la France malgré les attributs externes de l’indépendance comme le sont la Centrafrique, le Gabon, le Congo Brazzaville, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Togo, le Burkina-Faso, et j’en passe. Votre article ne fait pas ressortir cette situation du Tchad en tant que pays colonial dépendant de l’impérialisme français.

    Donc, Idriss Déby Itno est l’un des représentants aborigènes de la Françafrique. Placé au Pouvoir au Tchad et soutenu à bout de bras par ses maîtres coloniaux français, ce personnage, comme tous ses compères françafricains, ne peut tenir que le langage et les positions que lui dictent ses maîtres français. C’est le même langage et les mêmes positions que tiennent ses maîtres aux masses laborieuses de la métropole, en France. Idriss Déby est un serviteur de la France. Il ne fait que répercuter les ordres qui viennent de la France. Il n’a aucune autonomie de décision. C’est un esclave volontaire de la France. Voilà pourquoi le mouvement de revendication des travailleurs agents de l’Etat du Tchad, pour être crédible et avoir quelque chance de grignoter quelques miettes, doit, par dessus Idris Déby et sa clique, viser aussi les intérêts français et européens au Tchad et s’adresser à la France et aux occidentaux, en mettant aussi en avant les intérêts de l’ensemble des masses laborieuses tchadiennes et africaines, dans l’esprit du panafricanisme révolutionnaire.


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