lundi 28 mars 2016 - par Pierre JC Allard

Trump et le Démon de Midi de l’Amérique

 Oubliez Paul Bourget, Savignan et les quinquagénaires en rut. On ne parle pas de ça ; le Démon de Midi qui frappe sous la ceinture est un diablotin qui manque de hauteur car, depuis l’Eden, on sait bien que c’est dans la tête que ca se passe. Le péché mortel n’est pas de faire porter des cornes, mais de se prendre pour un Dieu. C’est ça qui rend bête et méchant. 

Tenez, voyez ce qui fait vibrer - un euphémisme - Oncle Sam qui est à vivre son retour d’âge. Le fric ? Mais non, voyons, on en imprime comme on veut ! Le bonheur ? On n’en parle même pas ! Bon pour les Bhoutanais ! Ce qui excite vraiment les Américains, c’est un discours sur le pouvoir qui voudrait leur faire oublier qu’ils n’ont plus 20 ans. Oublier qu’ils ne peuvent plus impunément s’amuser à taper sur les petits voisins. Oublier qu’ils ne sont plus les hardis pionniers et les cowboys d’antan, mais des trop-nourris d’âge mûr au souffle court que guettent le vieillissement, l’impuissance et la décrépitude. Surtout l’impuissance. C’est donc ce discours sur le pouvoir que leur tient Trump. 

Trump, c’est le miroir de la Reine, qui a pour mission de lui dire qu’elle est la plus belle… et qu’elle doit le rester envers et contre toutes les Blanche Neige. Mais au Yankee, bien sûr, on ne dit pas qu’il est beau ; on lui dit qu’il est mâle, fort, PUISSANT «  Make America great again ! »… Pas besoin d’être grand Freud, pour voir que le patient sur le divan a le rêve faustien de l’éternelle jeunesse et que, élevé dans la violence, il ne veut que plaies et bosses, victoires et conquêtes. On le comprend, mais que faire quand on n’a plus les biceps de naguère ? Il faut choisir ses ennemis avec prudence…

Pour garder heureuse une l’Amérique en mal de virilité qui veut s’imaginer encore invincible, une Amérique et qui ne craint rien tant qu’une baisse de testostérone, pas question de jeter la serviette. Mais l’ennemi idéal n’est pas une superpuissance. Il y a là le risque de prendre un mauvais coup… et un malheur est si vite arrivé. L’Amérique est donc à mettre en veilleuse ses conflits avec la Russie et le Chine : on a jugé qu’avec les forts et les coriaces il était plus habile de négocier la paix. Une paix négociée par Trump, naturellement, avec une guerre qui finit, mais un adversaire qui demeure.

Pour garder l’Amérique heureuse, on a compris qu’il ne faut pas nécessairement une paix parfaite, mais surtout éviter une guerre à l’issue incertaine. , idéalement, Il faut une ambiance générale de paix, entrecoupée de petits conflits permettant une suite incessante de petites victoires gratifiantes. L’ennemi parfait ne doit pas être dangereux pour l’État ou le Système : il ne doit pas pouvoir les détruire, ni même les affronter. Il doit seulement être infiniment agaçant, comme un prurit.

L,’ennemi qui nous agace doit être tout petit, être là sans crier gare, venir, disparaitre, revenir sur demande, suivant le besoin d’adrénaline. L’ennemi parfait…. est une guêpe. On connaît cette vieille histoire de la jeune épousée qui souhaitait que son vieux mari soit encore piqué par une guêpe… Les guêpes nous stimulent. Un individu peut mourir d’une piqure de guêpe, bien sûr, mais c’est rare…

La société, pour l’avenir prévisible aura aussi ses guêpes qui l’agacent et la stimulent, mais ne la tuent jamais… ce sont les terroristes. La societé ne meurt, pas du terrorisme mais s'en plus forte de toutes ces petites victoires sur les terroristes qui la provoquent et la font réagir sans la mettre vraiment en péril. Les USA, en ISIS, se sont trouvé l’ennemi parfait. Trump l’a compris…

Cette stratégie, de substituer des défis boursoufflés qu’elle peut aisément relever à ceux que l’Histoire voudrait lui présenter, permettra peut-être à Amérique, en se réfugiant dans un simulacre de puissance, de vivre sans défier la Russie ni la Chine un crépuscule plus serein que celui que son karma semblait lui promettre. Alléluia ! Ainsi détourné, son Démon de Midi - qui est de se vouloir éternellement puissante - se blottira dans imaginaire et sera devenu son péché mignon…. et un facteur de survie…

Si Trump n’avait que cet impact sur l’Amérique, tout serait pour le mieux. Helas, il en a un autre plus insidieux, néfaste, qui découle de son instrumentation à ses propres fins de cette volonté de puissance qui est le Démon de Midi de Amérique.  Les USA, en effet, portent en eux comme une tare, l’effroyable mépris les uns des autres qui découle d’un individualisme débridé… et qui est la négation même du désir de vivre ensemble qu’exige la vie en société.  Ce mépris est tempéré aujourd’hui par une bienséance de façade qui n’est donc pas inutile….

Prendre la lutte au terrorisme comme priorité, toutefois, va exacerber la méfiance et ce mépris. On voit déjà dans la psyché des quidams lambdas, se développer, comme une métaphore de la volonté de puissance collective, une volonté de puissance personnelle qui revêt la forme d’un affranchissement des contraintes qu’impose le consensus social à l’expression de certains mots et de certains sentiments.  Le discours politique des candidats Républicains aux USA, par l’action de Trump, s’en est déjà complètement déjà détaché.

Cette nouvelle permissivité quant a la violence verbale a été accueillie avec délectation par une population dont les sentiments étaient depuis longtemps réprimés… mais on en a abusé. On a désormais dépassé de loin le seuil a partir duquel un gentleman d’une époque pas si lointaine aurait envoyé ses témoins demander réparation.

On a cru briser les tabous du « politically correct  » et de l’hypocrisie, mais on a plutôt donné à tous la licence d’insulter tout le monde… et on a ouvert les vannes d’un immense réservoir de hargne et de haine qu’on ne soupçonnait pas… Or l’injure - surtout si son effet n’est pas affadi par une longue tradition d’impolitesse, n’est qu’à un pas de agression physique… En modifiant ainsi brutalement les normes de ce consensus, Trump est l’apprenti sorcier qui peut déclencher une guerre civile.

 

Pierre JC Allard



14 réactions


  • Abou Antoun Abou Antoun 28 mars 2016 12:48

    Dans le même ordre d’idées, concernant la guerre de Clinton en Iraq en 1998 , compte tenu du contexte, certains journalistes ont rebaptisé l’opération ’restore penis’.

    extrait de https://en.wikipedia.org/wiki/Bombing_of_Iraq_%281998%29 :

    Some critics of the Clinton administration, including Republican members of Congress,[25] expressed concern over the timing of Operation Desert Fox.[26] The four-day bombing campaign occurred at the same time the U.S. House of Representatives was conducting the impeachment hearing of President Clinton. Clinton was impeached on December 19, the last day of the bombing campaign. A few months earlier, similar criticism was levelled during Operation Infinite Reach, wherein missile strikes were ordered against suspected terrorist bases in Sudan and Afghanistan, on August 20. The missile strikes began three days after Clinton was called to testify before a grand jury during the Lewinsky scandal and his subsequent nationally televised address later that evening in which Clinton admitted having an inappropriate relationship.

    The Operation Infinite Reach attacks became known as « Monica’s War » among TV news people, due to the timing. ABC-TV announced to all stations that there would be a special report following Lewinsky’s testimony before Congress, then the special report was pre-empted by the report of the missile attacks. The combination of the timing of that attack and Operation Desert Fox led to accusations of a Wag the Dog situation.


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 28 mars 2016 16:02

      @Abou Antoun


      Merci de le rappeler. Les USA ont toujours vu - et voient encore - le monde comme leur cour arrière et la politique internationale comme un appendice de leurs manigances politiques domestiques. Rien de ce qui se passe aujourd’hui en Syrie ne peut être compris, si on fait abstraction d’une campagne presidentielle et d’une élection aux USA en novembre

      PJCA

    • vesjem vesjem 28 mars 2016 21:27

      @Pierre JC Allard

      « Trump est l’apprenti sorcier qui peut déclencher une guerre civile. »
      qu’ils la fassent , grand bien nous fasse


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 29 mars 2016 00:58

      @vesjem


      Je ne suis pas certains que vous compreniez l’impact DÉTERMINAN des USA et de leurs politiques sur la France et les Français

      PJCA

    • vesjem vesjem 29 mars 2016 10:45

      @Pierre JC Allard
      hélas , oui , je suis sûr de notre dépendance aux us ;
      trump me fait toutefois beaucoup moins peur que clinton ;
      mais on a vu ce que sont devenues les belles paroles d’obama au début de son premier mandat ;
      j’ai adopté désormais le principe suivant : tout ce que veut me faire penser la propagande des médias mainstreams , me fait penser le contraire 


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 30 mars 2016 20:37

      @vesjem


      « tout ce que veut me faire penser la propagande des médias mainstreams , me fait penser le contraire »

      Excellent point de départ. Mais il faut accepter que les esprits les plus vifs du monde ont été assignés en grand nombre à cette tache de vous emberlificoter, et avoir l’humilité de penser que le piège a peut-être un recoin obscur ou la bête vous attend... mais sans sombrer soi-même dans la paranoïa. Pas si facile.....

      PJCA

  • zygzornifle zygzornifle 28 mars 2016 15:42

    Heureusement que l’on a notre Paul Bismuth et notre Juppé ancien condamné pour emplois fictifs, l’honneur est sauf cocorico .....


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 29 mars 2016 01:09

      @zygzornifle

      Juppé, que j’ai connu au Canada, est l’expression achevée d’une volonté de non-changement. Un deuxième tour ente lui et MLP aurait l’avantage d’un choix sans aucune ambiguité.


      PJCA

  • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 28 mars 2016 16:15

    Si on s’en donne la peine, on peut suivre à la trace dans la politique française les impacts de la politique américaine. C’est la fatalité de ces impacts qui dissuade de passer bien du temps a faire ce suivi.. Asselineau écrira sans doute un bouquin la dessus.

    Revenant au sujet, le lecteur français ne peut comprendre l’effet Trump, sans comprendre le gambit Sanders. J’en parlerai prochainement.

    PJCA

  • Le p’tit Charles 29 mars 2016 07:48

    C’est le problème des hommes...penser avec leurs zigounettes...Ne surtout pas oublier que nous ne sommes que des animaux qui mettons des slips..alors forcément, le cerveau en prend un coup.. !


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