mardi 1er juin 2010 - par
Violences sur des enfants palestiniens
Nour Odeh est depuis dix ans correspondante de la chaîne Al Jazeera en Palestine. Dans un article publié le 31 mai 2010, elle décrit les violences subies par un enfant palestinien capturé par des soldats israéliens en Cisjordanie, un cas parmi d’autres.
Ali est un adolescent de 16 ans. Il était dans la maison de ses parents quand des militaires israéliens ont fait irruption dans sa chambre au petit matin. Ils lui ont mis un bandeau sur les yeux, l’ont menotté et emmené sans aucune explication dans un centre d’interrogatoire.
Quand la jeep s’est arrêtée, il a été conduit dans une pièce garnie de chaises. Les militaires ont commencé à l’injurier avec des mots grossiers, des mots concernant - on le devine - sa mère et ses sœurs. Ensuite ils lui ont mis un voile féminin autour de la tête, des lunettes noires, et ils l’ont photographié en éclatant de rire.
« Tu vas avouer ? » lui ont demandé les soldats. « Avouer quoi ? » répondit-il.
« Avouer que tu as lancé des pierres ».
Craignant d’être jeté en prison, Ali a refusé d’avouer qu’il avait lancé des pierres, comme le prétendaient les soldats. « J’ai continué de leur dire que je n’avais pas fait cela, non, que je n’avais rien fait ».
« Jusque là, l’histoire d’Ali avait une résonance familière pour quelqu’un comme moi qui couvre le conflit israélo-palestinien depuis des années. Les coups, les humiliations, et les mauvais traitements des détenus palestiniens, y compris des mineurs, ce sont des choses que les organisations humanitaires constatent régulièrement. Mais ce n’était que le début de l’histoire, » dit la journaliste.
Ali a continué en lui expliquant comment il avait été violé par les soldats. « En disant cela, dit-elle, il évitait mon regard ».
La section palestinienne de DCI (Defence for Children International) a rassemblé cette année 100 déclarations sous serment d’enfants palestiniens, des enfants mineurs, qui disent avoir été maltraités par leurs interrogateurs israéliens. Parmi eux, quatorze disent qu’ils ont subi des violences sexuelles, ou qu’ils ont été menacés de viol ou de sévices sexuels. Ces menaces avaient pour but de leur faire avouer des actes qu’ils n’avaient pas commis. Ali est l’un de ces enfants. Il a fini par avouer, ce qui lui a fait passer trois mois dans une prison israélienne.
En raison de la honte qui poursuit les victimes d’abus sexuels, on peut craindre que le nombre d’enfants qui ont subi les mêmes violences mais n’osent pas l’avouer soit beaucoup plus grand. Ali a répété à la journaliste qu’il lui était très difficile d’avouer de telles choses à quelqu’un.
Elle a demandé à l’adolescent pourquoi il avait eu le courage de lui parler. Il a répondu : « Je veux la justice ; je souhaite que ces gens soient jugés par un tribunal et qu’ils ne puissent plus faire la même chose à d’autres garçons. » Il lui a dit qu’en prison, il avait rencontré beaucoup d’autres garçons qui avaient subi comme lui des violences sexuelles.
Ali a toujours des cauchemars, et il a du mal à réprimer sa peur quand il voit passer une patrouille de l’armée israélienne. Mais il a la chance d’avoir une famille qui le soutient ; c’est sa famille qui l’a encouragé à parler de son expérience. Il reçoit aussi les conseils du centre des victimes de tortures de la YMCA (Young Men’s Christian Association).
Le comportement des militaires israéliens s’explique en grande partie par le fonctionnement d’une armée qui bat un triste record du monde : un budget de 1 500 dollars par an et par tête d’habitant ; un effectif de 27 soldats pour 1000 habitants. Le service militaire est obligatoire pour tous les jeunes - sauf les arabes - à partir de 18 ans. La durée est de 3 ans pour les hommes et de 2 ans pour les femmes. Ceux et celles qui refusent de servir dans les territoires occupés sont jugés et condamnés à des peines de prison. L’armée israélienne est donc un moyen idéal pour donner à toute la population juive un état d’esprit hostile aux Palestiniens.
Les forces d’occupation israéliennes arrêtent environ 700 Palestiniens mineurs chaque année. Pendant les interrogatoires, ces mineurs n’ont pas le droit d’avoir des contacts avec leurs avocats ou leur famille. Les organisations des droits de l’homme disent que les abus sexuels présumés se produisent pendant cette période d’isolement.
« Ces pratiques ont pour but de briser les enfants. D’une certaine manière, quand on brise l’esprit des enfants, on brise l’esprit de la nation, » dit Rifaat Kassis, le directeur général de DCI.
Et c’est à cause du puissant impact des abus sexuels sur ces enfants que DCI a tiré le signal d’alarme au niveau international. L’organisation a communiqué les dépositions sous serment au rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, en espérant galvaniser suffisamment la pression internationale pour mettre fin à ce comportement.
Les autorités israéliennes opposent un mur aux organisations des droits de l’homme. « La plupart du temps, les Israéliens rejettent simplement nos allégations, en disant que c’est incorrect, que ce n’est pas vrai ; alors dans ce cas nous leur demandons d’enregistrer ces interrogatoires et d’y admettre la présence d’un avocat » dit Rifaat Kassis. Cette fois, DCI a essayé d’obtenir une réponse de l’armée israélienne, mais ses demandes ont été refusées. L’armée dit qu’il lui faudrait plus de détails sur ces affaires, ce qui revient à exiger que les avocats des enfants compromettent leurs clients.
L’armée israélienne prétend que ses pratiques sont conformes aux lois internationales, ce qui est fortement contesté par toutes les organisations des droits de l’homme qui travaillent en Israël et dans les territoires occupés.
Le directeur général de DCI reconnaît que les pétitions et les campagnes de son organisation ont un effet limité. C’est pourquoi les avocats de ces enfants espèrent que la pression internationale fera avancer la cause de la protection contre les abus sexuels.