Vol au-dessus d’un nid de cocus
On pouvait encore penser, voire soutenir jusqu'à récemment que l'Union européenne est, en dépit de toutes ses imperfections, un moindre mal pour fédérer les intérêts des Etats membres et être un atout pour la communauté, au lieu d'être une surcouche encombrante, voire néfaste à certains intérêts nationaux, voire les nôtres en particulier.
Cela devient une mission impossible au regard de la réponse récente de la « Communauté » à un des plus grands problèmes géopolitiques qui lui est posé depuis sa fondation.
Si elle était une joueuse d'échec, on pourrait dire pour faire image, qu'elle a sacrifié la Reine pour préserver un Pion.
De l'amateurisme au dernier degré.

L'Union européenne est une construction idéologique qui tient de la chimère depuis ses origines. Comment en effet centraliser la prise de décision et imposer un modèle sociétal et de développement unique, à des Etats qui parlent des langues différentes, ont des niveaux de développement différents, des cultures différentes et surtout des intérêts différents en laissant de côté la technique traditionnelle qui a fondé de nombreux Etats, à savoir le bain de sang ?
Imaginer que l'Allemagne dont les USA ont financé la défense pendant des décennies et fait peu d'enfants, aurait par ex les mêmes intérêts et contraintes que la France qui a développé sa « dissuasion nucléaire » et a eu jusqu'à récemment une natalité relativement robuste, relèverait de la naïveté.
Imaginer que l'Allemagne qui a durant des décennies (syndrôme post traumatique d'une époque d'hyper inflation) eu une politique de monnaie très forte, tirerait autant mais pas plus de bénéfices d'une monnaie comme l'euro, par rapport à la France qui n'a jamais eu les mêmes préoccupations, relèverait du rêve également.
On avait déjà pu voir à de multiples reprises (Grèce récemment) à quel point faire entrer dans le même moule idéologique des économies substantiellement divergentes pouvait avoir des impacts industriels, économiques et sociaux majeurs, avec le citoyen et son pouvoir d'achat et ses libertés individuelles comme variable d'ajustement.
On avait pu constater aussi, que dans le domaine de la concertation et solidarité entre états membres, on était largement perfectible pour rester dans l''euphémisme, la France ici passant aux 35h, l'Allemagne là baissant son SMIC, la Pologne ici achetant massivement de l'armement US (avec l'argent de nos impôts à savoir 10 milliards de contribution nette au budget européen par an), l'Allemagne là important plus d'un million d'immigrés pour gérer la chute de la « production locale », immigrés devenant de facto « citoyens européens » et pouvant donc circuler à loisir, une fois que l'Allemagne a fait son tri et ses choix, respect des Traités oblige.
L'Europe ne pouvait ignorer qu'elle est un « champion économique » aux pieds d'argile. Elle ne dispose pas des matières premières pour tenir seule debout (de très loin dans le domaine énergétique) et elle a largement laissé la finance délocaliser son industrie manufacturière en Chine et ailleurs pour essentiellement majorer la marge bénéficiaire et le rendement des actions des entreprises côtées en bourse.
Une situation potentiellement très dangereuse, on la vu avec la récente crise sanitaire qui aurait vu des pénuries massives arriver très vite chez nous (y compris de médicaments essentiels) si la Chine avait été confronté à une épidémie majeure et avait donc confiné massivement et durablement, faisant imploser ses exportations. Au demeurant ce scénario est toujours valide dans un avenir proche sans réelle prise de conscience.
La Communauté a la chance d'avoir un voisin, la Russie qui regorge à la fois de ressources énergétiques et minérales, entre autres. Le bon sens aurait été de voir comment on pouvait établir un partenariat mutuellement profitable avec eux, ce qui aurait par la même occasion diminué le besoin mutuel de dépenser dans le domaine de la défense. On ne se défend pas contre ses amis, du moins autant que contre un danger potentiel (perçu comme tel).
Que voulait notre voisin ? Que l'OTAN ne s'étende pas jusqu'à ses frontières, car à tort ou à raison (probablement à raison), ils estiment que c'est le faux nez des intérêts US, qui sont assez troubles et a minima troublants concernant la Russie.
Concrètement leur « ligne rouge » était la possibilité que l'Ukraine rejoigne l'OTAN facilitant l'installation comme dans d'autres Etats de l'ex URSS, d'installations militaires pilotés par les USA, y compris l'installation de bases de lancement de missiles.
Considérer que cela relève du choix des Ukrainiens est on le sait grotesque en géopolitique. L'exemple passé de Cuba (la crise des missiles en 1962), la doctrine « Monroe » des USA qui en pratique interdit (par la force si nécessaire) des installations militaires étrangères « près » des USA (en pratique près de ce qu'ils considèrent relevant de leurs intérêts, ce qui élargit le périmètre à une grande partie du globe), les récentes discussions autour du choix des îles Salomon de servir au ravitaillement de la marine chinoise, montrent que les Ukrainiens sont obligés de tenir compte de l'avis Russe sous peine de soucis.
Personne ne peut établir une « règle du jeu » en défaisant la règle dès que cela ne lui plaît plus où en s'accordant des privilèges exclusifs.
Par ailleurs la Russie voulait (accords de Minsk) que les régions russophones et/ou russophiles du Donbass puissent bénéficier d'une autonomie assez large au sein de l'Ukraine pour tenir compte du fait que l'histoire a fait de ce pays un hybride où les intérêts de sa partie ouest sont assez divergents de ceux de sa partie est. L'Ukraine semblait favoriser la façon traditionnelle d'unification des Etats, à savoir le bain de sang (depuis 8 ans du moins), la Russie semblait favoriser la voix politique de résolution de cette guerre civile. Pas le diable d'un côté et « Blanche Neige » de l'autre (cela n'existe jamais en géopolitique) mais le choix était clair pour les européens.
Ils pouvaient aisément satisfaire aux demandes de la Russie en considérant que l'entrée dans l'OTAN de l'Ukraine allait aller à l'encontre de leurs intérêts et des intérêts de la sécurité en Europe. Un seul pays s'opposant officiellement et définitivement à l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN et les espoirs ukrainiens s'envolait et la Russie avait les assurances expressément demandées.
L'Allemagne comme la France qui ont soutenu les accords de Minsk II, pouvaient de même exiger comme condition sine qua non (nécessaire mais nullement suffisante) d'examen de la candidature d'entrée de l'Ukraine dans la Communauté, la résolution pacifique de cette guerre civile, soit par la mise en pratique des accords de Minsk II soit accord interne avec les zones en dissidence. Cela n'a pas été fait, alors que les moyens de pression européens étaient substantiels. Aucun chantage en relations internationales, juste des rapports de force pour faire prévaloir ses intérêts supérieurs, la morale classique étant pour le citoyen lambda si ça l'amuse.
La Communauté a donc choisi sinon le suicide (cela se discute) mais manifestement de renoncer à défendre ses intérêts géopolitiques majeurs pour obliger son voisin à choisir entre renoncer à ses intérêts stratégiques ou les défendre par voie militaire.
L'Europe a clairement choisi la guerre, une guerre qui ne sert ni ses intérêts, ni les intérêts ukrainiens, ni ceux de la Russie, pas ceux de l'essentiel des pays du monde qui vont voir l'impact inflationniste et les pénuries majeures les déstabiliser, mais juste ceux des USA et en particulier ceux de son complexe militaro-industriel.
Le ver était dans le fruit de longue date, puisque toute adhésion à l'OTAN, pour des raisons invoquées d'inter opérabilité des matériels transforme l'OTAN en représentant des intérêts de l'industrie de l'armement US. Créer un ennemi aux frontières de l'Europe c'est à la fois se garantir des commandes militaires juteuses, mais aussi priver l'Europe d'un marché substantiel et de ressources indispensables pour faire tourner son économie.
L'Europe ayant de facto renoncé à défendre ses intérêts devient de facto également le défenseur imbécile des intérêts économiques et géopolitiques US.
Dans ce mariage imbécile nous sommes clairement les cocus de l'histoire, car quand une communauté incapable de gérer ses intérêts comme sa défense s'associe à un empire va-t'en guerre qui veut le monde entier soumis à ses caprices, on ne peut attendre rien de bon.
En quelques semaines on a donc forgé une situation de dépendance infantile assumée envers les intérêts US, arrimé la Russie à la Chine, perdu un partenaire économique précieux, créé une « menace » de toute pièces (la Russie ne veut nullement envahir l'Europe) qui va grandement drainer nos ressources vers les dépenses militaires et semer les germes d'un chaos économique planétaire via l'inflation du prix des ressources basiques.
On a surtout semé le doute sur la planète entière en la crédibilité du dollar et de l'euro comme monnaie de réserve (disons de placement), l'autre utilité d'en posséder étant pour les achats, mais il faut savoir que les Européens sont majoritairement acheteurs plus que vendeurs et que les vendeurs seront incités à demander paiement eux aussi dans leur propre devise, plutôt qu'en monnaie de singe dont la valeur peut tomber à zéro par confiscation au bon vouloir des USA.
Une fois franchies les bornes du bon sens on peut aller plus loin encore. En l'absence de gaz russe les Allemands sont acculés à le chercher soit auprès des gaz de schistes US, soit auprès d'états qui ne sont pas franchement plus proches de la démocratie que la Russie ne l'est aujourd'hui.
La France est doublement cocue car le décideur au sein de la Communauté considère (pour la défense des intérêts de son industrie) que le gaz de schiste US les rends plus « écolos » et plus indépendants qu'un plan électronucléaire à la française. Ils se battent activement pour que le nucléaire ne soit pas classé comme option à favoriser, à la fois pour l'indépendance énergétique et comme faible émetteur en polluants divers (ils classent le CO2 dans la liste pourtant).
Si ce petit survol d'un nid de cocus n'arrive pas à susciter des interrogations sur l'intérêt de poursuivre dans la voie qui nous est imposée par notre appartenance à la Communauté, rien ne le fera en dehors d'une grande dépression digne de celle des années trente.