vendredi 5 janvier 2018 - par Sylvain Rakotoarison

Walter Mondale, retour sur sa carrière politique

« Ce qui m’intéresse, c’est la vie des hommes qui ont échoué, car c’est le signe qu’ils ont essayé de se surpasser. » (Clemenceau).

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Ce vendredi 5 janvier 2018, Walter Mondale fête son 90e anniversaire. En pleine reaganmania, il y avait peu de chance pour que Walter Mondale fût élu Président des États-Unis le 6 novembre 1984. Période de croissance économique, de baisse des impôts et du chômage, mais aussi de graves tensions internationales avec une crise des euromissiles qui nécessitait un homme à poigne. Pire, Walter Mondale, comme numéro deux de Jimmy Carter, représentait exactement le contraire (probablement injustement).

L’échec, Walter Mondale l’a donc bien connu. L’une des plus grande défaite de l’histoire des États-Unis, la plus grande depuis 1972 ou 1936 selon qu’on parle en suffrages exprimés ou en délégués : 40,7% des voix (et 13 délégués), face aux 59,0% des voix pour son concurrent, Président sortant, Ronald Reagan qui a remporté 49 États sur les 50 (et 525 délégués sur 538). Seuls le Minnesota (du bout des lèvres) et le district de Columbia (Washington) ont préféré Walter Mondale à celui qui avait redonné confiance aux Américains. Il n’y avait pas photo, au contraire de l’élection de George W. Bush Jr. le 7 novembre 2000.

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Né le 5 janvier 1928 dans le Minnesota, de grands-parents paternels norvégiens et de grands-parents maternels canadiens d’origine écossaise, Walter Mondale fut le "poulain" d’Hubert Humphrey (1911-1978), lui aussi d’origine norvégienne (par sa mère). Ce dernier était maire de Minneapolis depuis le 2 juillet 1945 lorsqu’il s’est présenté avec succès aux élections sénatoriales le 2 novembre 1948. Walter Mondale dirigeait alors sa campagne à l’âge de 20 ans (son mentor en avait 37).

Avant son élection au Sénat, Hubert Humphrey avait suscité la polémique en prononçant un discours marquant à la Convention démocrate, le 14 juillet 1948 à Philadelphie (celle qui désigna le Président sortant Harry Truman), en défendant les droits civiques : « À ceux qui disent que le programme des droits civiques est en contradiction avec le droit des États, je dis que le temps est arrivé aux États-Unis, pour le Parti démocrate, de sortir de l’ombre du droit des États et de des tourner enfin vers l’éclat lumineux des droits de l’homme. ». Ce discours très axé à la gauche du parti avait mis en colère les dirigeants démocrates du Sud des États-Unis, traditionnellement conservateurs (et qui ont voté pour Ronald Reagan en 1984).

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Hubert Humphrey a été réélu sénateur du Minnesota jusqu’au 30 décembre 1964 (désigné coordinateur de la majorité démocrate au Sénat du 3 janvier 1961 au 30 décembre 1964), date de sa démission car il fut élu Vice-Président des États-Unis le 3 novembre 1964 sur un "ticket" avec le Président sortant Lyndon B. Johnson (il l’est resté jusqu’au 20 janvier 1969). Auparavant, Hubert Humphrey s’était présenté aux primaires démocrates en 1960 (notamment contre John F. Kennedy). Pendant ces années de combat personnel, Hubert Humphrey n’a cessé de défendre des positions très "à gauche" (droits civiques, contrôle des armes à feu, aide aux pays en voie de développement, fin des essais nucléaires, etc.).

Très logiquement, son "protégé" Walter Mondale fut désigné pour lui succéder au Sénat des États-Unis, "représentant" du Minnesota : Walter Mondale fut ainsi élu sénateur du 30 décembre 1964 au 30 décembre 1976 (d’abord nommé par le gouverneur du Minnesota Karl Rolvaag, puis élu la première fois le 8 novembre 1966 et réélu le 7 novembre 1972).

Auparavant, Walter Mondale avait fait des études de science politique et de droit, et fait son service militaire à Fort Knox pendant la guerre de Corée entre 1951et 1953. Il avait aussi dirigé la campagne en 1952 (échec), 1954, 1956 et 1958 d’Orville Freeman (1918-2003), élu gouverneur (démocrate) du Minnesota du 5 janvier 1955 au 2 janvier 1961 et futur Ministre de l’Agriculture du 20 janvier 1961 au 21 janvier 1969. Après quatre années comme juge, Walter Mondale est devenu procureur général de l’État du Minnesota ("attorney general") du 4 mai 1960 au 30 décembre 1964 (d’abord nommé par le gouverneur Orville Freeman pour remplacer le prédécesseur, puis élu en 1962). Démissionnaire une fois devenu sénateur.

Très actif au sein du Parti démocrate, Walter Mondale a tenté d’y bâtir une aile centriste. Il fut aussi actif au Sénat où il s’est investi dans de nombreuses commissions, notamment la Commission des affaires aéronautiques et spatiales où il fit partie des instructeurs de l’enquête sur l’accident qui tua trois astronautes le 27 janvier 1967 lors d’un essai Apollo 204 (ils sont morts dans un incendie). Affrontant publiquement le patron de la NASA, Walter Mondale voulait renforcer le contrôle parlementaire sur les rapports de sécurité interne de la NASA : « Je crois qu’en forçant une confrontation publique sur ces inquiétudes jusqu’à maintenant profondes et secrètes sur la sécurité et la gestion du programme, cela a forcé la NASA à restructurer et réorganiser le programme d’une manière que cela fût beaucoup plus sûr. » (24 mai 2001).

En été 1972, désigné candidat démocrate à l’élection présidentielle, George MacGovern (1922-2012), lui aussi très axé "à gauche" (il s’opposa à la guerre au Vietnam), proposa d’être son Vice-Président à Walter Mondale qui refusa. Ce dernier accepta cependant d’être sur le "ticket" du candidat démocrate en 1976, à savoir Jimmy Carter, agriculteur et gouverneur de Géorgie peu connu, l’un représentant ainsi le Sud (assez conservateur) et l’autre le Nord (assez progressiste).

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Avec plus de 40,8 millions de voix (soit 50,1%), Jimmy Carter fut élu Président des États-Unis le 2 novembre 1976 face au Président sortant Gerald Ford qui n’a obtenu que 48,0% des voix (le colistier de Gerald Ford en 1976 était Bob Dole). Walter Mondale fut donc élu Vice-Président des États-Unis du 20 janvier 1977 au 20 janvier 1981.

Sous le mandat de Jimmy Carter, Walter Mondale a pris une certaine influence sur le gouvernement et la définition de la politique des États-Unis. Cette manière d’exercer la fonction vice-présidentielle a été reprise par ses successeurs (ce fut le premier Vice-Président à avoir installé un bureau à la Maison-Blanche ; rappelons que le Vice-Président assure aussi la fonction de Président du Sénat).

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Le "ticket" Jimmy Carter et Walter Mondale s’est représenté à l’élection présidentielle du 4 novembre 1980 dans un contexte très difficile pour eux (après des primaires démocrates où Ted Kennedy fut un rude concurrent avec 37,6% des voix face à 51,1% pour Jimmy Carter) : au-delà d’une stagnation économique et d’une hausse du chômage, la crise des otages américains à Téhéran a discrédité durablement l’autorité de Jimmy Carter. En effet, depuis le 4 novembre 1979, 52 diplomates américains furent retenus par des étudiants iraniens à l’ambassade américaine à Téhéran (ils ne furent libérés que le jour même de l’investiture de Ronald Reagan, le 20 janvier 1981, renforçant le discrédit du prédécesseur).

Il y a eu plus de 8,4 millions de voix qui ont séparé Ronald Reagan (50,8%) et Jimmy Carter (41,0%). Walter Mondale, renvoyé dans l’opposition, se prépara à l’élection présidentielle suivante en prenant le contrôle du Parti démocrate.

Malgré ce contrôle du parti, les primaires démocrates de 1984 ne furent pas de tout repos pour Walter Mondale. En effet, deux autres candidats sont entrés dans la course à l’investiture. D’une part, Gary Hart, "jeune" sénateur du Colorado depuis 1975 (il avait alors 47 ans), populaire par son charisme (au point de devenir le favori des primaires démocrates de 1988) et le pasteur Jesse Jackson (42 ans), militant des droits civiques. C’était d’ailleurs la première fois qu’un homme "de couleur" fut dans la course présidentielle de manière "sérieuse".




Les résultats des primaires donnèrent l’investiture à Walter Mondale, mais de justesse. À la fin du cycle des primaires, le 12 juin 1984, Walter Mondale a obtenu 6,95 millions de voix, soit 38,3%, et 1 606 délégués. Gary Hart 6,50 millions de voix, soit 35,9%, et 1 164 délégués. Enfin Jesse Jackson 3,28 millions de voix, soit 18,1%, et 358 délégués. La plupart des autres délégués (réservés au parti) se reportèrent sur la candidature de Walter Mondale. À l’issue de la Convention démocrate le 19 juillet 1984 à San Francisco, sur les 3 882 mandats, Walter Mondale en a obtenu 2 191, Gary Hart 1 200 et Jesse Jackson 465. Notons pour l’anecdote qu’en 1984, sans beaucoup de chance de succès, l’astronaute et sénateur John Glenn fut candidat (1921-2016) comme en 1976, ainsi que l’ancien candidat démocrate de 1972, George MacGovern. Jesse Jackon améliora nettement son score aux primaires démocrates de 1988, en recueillant 6,9 millions de voix (soit 29,4%) et 1 023 délégués.

Lors de la même Convention démocrate de 1984, Walter Mondale s’est choisi une femme comme colistière, candidate à la Vice-Présidence des États-Unis, Geraldine Ferraro (1935-2011). Ce fut la première fois qu’une femme était incluse dans un "ticket" pouvant remporter l’élection. La seconde fois, ce fut la candidature de l’ancienne Secrétaire d’État Hillary Clinton en 2016. Geraldine Ferraro avait fait campagne pour Hillary Clinton lors des primaires démocrates de 2008 et avait dû démissionner après avoir dit une "bêtise" à propos de Barack Obama.

Comme je l’ai indiqué au début de l’article, Walter Mondale a subi l’une des plus grandes défaites historiques. Ayant construit le centre du Parti démocrate pendant les années 1960 et 1970, mais marqué par son ancienne proximité avec Hubert Humphrey (disparu depuis longtemps, après être redevenu sénateur du Minnesota du 3 janvier 1971 au 13 janvier 1978), Walter Mondale s’était positionné complètement à contre-courant du peuple américain, en proposant par exemple d’augmenter les impôts pour réduire la dette publique et renforcer la redistribution en faveur des plus pauvres. Il avait néanmoins "réussi" son premier débat télévisé avec Ronald Reagan en misant sur l’âge : Ronald Reagan avait 73 ans et lui 56 ans (au débat suivant, du 21 octobre 1984, Ronald Reagan répliqua en disant qu’il valait mieux un vieux expérimenté qu’un jeune inexpérimenté).

Après sa lourde défaite, Walter Mondale quitta la vie politique et travailla dans des entreprises du Minnesota (il enseigna aussi à l’Université du Minnesota dont un bâtiment porte désormais son nom), jusqu’à l’élection de Bill Clinton. Ce dernier le nomma ambassadeur des États-Unis au Japon du 21 septembre 1993 au 15 décembre 1996, puis le nomma en 1998 envoyé spécial du Président des États-Unis en Indonésie. Le 4 septembre 2002, il a tenu une conférence au Sénat pour présenter les transformations qu’il a initiées dans le rôle du Vice-Président des États-Unis entre 1977 et 1981.

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À l’âge de 74 ans, Walter Mondale accepta de faire une dernière incursion dans la vie politique en se présentant, à la demande urgente du Parti démocrate, à la succession du sénateur démocrate du Minnesota Paul Wellstone (1944-2002), tué dans un accident d’avion le 25 octobre 2002 à onze jours de son renouvellement, mais échoua le 5 novembre 2002 avec seulement 47,3% des voix contre 49,5% au républicain Norm Coleman. Seul État l’ayant soutenu en 1984, le Minnesota le lâcha aussi : « À la fin de ce qui est ma dernière campagne, je veux dire aux habitants du Minnesota que vous m’avez toujours bien traité, vous m’avez toujours écouté. ».

Walter Mondale a cependant repris sa "revanche" sur le sénateur républicain Norm Coleman. En effet, appuyant la candidature de l’humoriste et comédien Al Franken, positionné à l’aile gauche du Parti démocrate, ce dernier fut élu de justesse sénateur du Minnesota le 4 novembre 2008 (il ne prit ses fonctions que le 7 juillet 2009 à cause de recomptages et de la contestation de son élection à quelques centaines de voix près : 312 sur 2 424 946 !), fut réélu le 4 novembre 2014 mais vient de démissionner ce 2 janvier 2018 en raison des affaires d’agression et de harcèlement sexuels éclatées le 16 novembre 2017 à l’occasion de l’affaire Harvey Weinstein.

En 2008, Walter Mondale a soutenu la candidature d’Hillary Clinton lors des primaires démocrates. Le 3 juin 2008, il a ensuite rallié la candidature de Barack Obama. Aujourd’hui, Walter Mondale continue sa retraite dans le Minnesota (veuf depuis le 3 février 2014), en faisant de la pêche, pratiquant le tennis et le ski, lisant Shakespeare et des romans historiques, et appréciant les Monty Pytthon. Sa fille Eleanor fut une présentatrice de télévision vedette (disparue à la suite d’un cancer du cerveau) et son fils aîné Ted, entrepreneur, fit, quant à lui, également, de la politique en se faisant élire membre du sénat local du Minnesota du 8 janvier 1991 au 6 janvier 1997.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (04 janvier 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Biographie de Walter Mondale.
Woodrow Wilson.
Walter Mondale.
Les Quatorze points du Président Wilson (texte intégral du discours du 8 janvier 1918).
Geraldine Ferraro.
Le cinéma parlant.
Les petits humanoïdes de Roswell…
Charlie Chaplin.
Bill Clinton.
Zbigniew Brzezinski.
JFK, avant tout pragmatique et visionnaire.
La nouvelle frontière de John F. Kennedy.
Ted Kennedy.

Incompréhensions américaines.
La dernière navette spatiale (avril 2011).
Les premiers pas de Donald Trump.
Obama termine européen.
Cassandre ?
Donald Trump, 45e Président des États-Unis.
La doxa contre la vérité.
Peuple et populismes.
Issue incertaine du match Hillary vs Donald.
Donald Trump, candidat en 2016.
Match Hillary vs Donald : 1 partout.
Hillary Clinton en 2016.
Hillary Clinton en 2008.
Donald Trump et Fidel Castro ?
La trumpisation de la vie politique américaine.
Mode d’emploi des élections présidentielles américaines.
Idées reçues sur les élections américaines.
Malcolm X.
Le 11 septembre 2001.
Honneur aux soldats américains en 1944.
Hommage à George Stinney.
Obama et le "shutdown".
Troy Davis.
Les 1234 exécutés aux États-Unis entre 1976 et 2010.
La peine de mort selon Barack Obama.
Barack Obama réélu en 2012.
Ronald Reagan.
Gerald Ford.
Jimmy Carter.
Al Gore.
Sarah Palin.
John MacCain.
George MacGovern.
Mario Cuomo.

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