Zimbabwe : anatomie d’une inflation de 1100 %
Le chiffre est accablant : comment se fait-il qu’on puisse avoir une inflation qui atteigne ce niveau ? Les mécanismes sont pourtant simples, et on se demande pourquoi le directeur de la banque centrale du Zimbabwe conserve son attitude suicidaire pour le pays.
Je me rappelle d’une réflexion de mon frère il y a quelques années pendant ses études de médecine : La Chine est un pays formidable pour un étudiant en médecine. C’est le seul endroit au monde où tu peux voir des maladies non dénaturées jusqu’à leur stade final, car c’est le seul pays où on ne soigne pas les gens et où il n’y a pas d’automédication qui dénature la maladie telle qu’elle est décrite dans les bouquins. J’avais été suffoqué par cette réflexion que j’avais trouvée d’un cynisme naïf effroyable.
Aujourd’hui, la situation monétaire au Zimbabwe me semble être d’une nature tout à fait similaire : nulle part au monde on ne peut voir ça et sans qu’aucune tentative de soins n’ait lieu.
La situation
Au taux officiel, 1 $ US = 250 $ Zim (des nouveaux dollars zim : 6 mois plus tôt, la monnaie a été divisée par 1000 et dévaluée).
Les spécialistes estiment que 1 $ US = 1000 $ ZIm
Au marché noir, début janvier, on vous propose 2900 $ Zim pour 1 $ US
L’inflation est de 1100 %. En gros, cela veut dire que si vous ne touchez pas votre paye reçue en $ Zim, un mois plus tard, votre argent a perdu la moitié de sa valeur.
C’est donc la course à l’échange contre quelque chose de plus stable que le $ Zim. Et tout est plus stable que le $ Zim : la farine, le sucre, l’essence, les boîtes de conserve, les oignons, tout !
D’ailleurs, c’est simple : les prostituées se font payer en essence.
Le verrouillage de la banque centrale
Au centre de l’imbroglio, la banque centrale, ou plutôt son directeur, M. Gedeon Gono.
Il a dû apprendre son économie dans un polycopié où il manquait quelques pages, parce que tout le monde dit qu’il fait des conneries : le FMI, les banques mondiales, le parti du président au pouvoir. Mais pour des raisons probablement différentes ...
La planche à billets tourne, et c’est simple : les billets de banque ont désormais une date limite de consommation encore plus faible qu’un bocal de cornichons !
Notez-le bien sur le billet dont l’image illustre cet article : imprimé le 1er février 2006, périmé le 31 décembre 2006. Et en plus, il a été mis hors circuit avant, car mi 2006, il a été remplacé par de nouveaux $ Zim qui étaient en fait l’ancien divisé par 1000. Ou 100, je ne sais plus, cela arrive trop souvent pour qu’on y fasse attention. Une dévaluation en mai 2006, une autre en juillet, et une valeur totalement bidon entre le taux de change officiel et la réalité.
On pourrait penser que la solution serait d’abandonner le $ Zim et que tout le monde utiliserait du dollar US ou du rand sud-africain, ou même - pourquoi pas - du pula zambien ! Bref ce que l’on appelle localement hard currency, un terme réservé autrefois au $ US et à l’euro, mais qui représente désormais toute autre monnaie que le $ Zim.
Mais la banque centrale a tout simplement interdit à la population d’avoir du dollar US. Bien sûr, il ne peut rien faire sur les petites sommes. Mais les comptes en devises sont interdits.
On parle d’une banque du tourisme pour sortir les hôtels et l’activité touristique du piège dans lequel ils sont en train de tomber : le touriste paye son séjour avec un mois d’avance (comme partout dans le monde normal), et quand il arrive, on lui livre son séjour.
Au Zimbabwe, il paye 100 en hard currency. Actuellement, la banque centrale enregistre pour le tour-opérateur un montant de 100*250 = 25 000 $ Zim, un montant qu’on obtient sur le marché noir contre 10 dollars US ! En plus, quand le touriste arrive, l’hôtelier n’a plus pour acheter les produits à livrer que la moitié, à cause de l’inflation, soit l’équivalent de 5 $ US au marché noir.
Le touriste a donc payé 100 $ US en avance pour avoir un produit pour lequel le TO n’a que l’équivalent de 5 $ US pour le lui livrer. Ce n’est vraiment pas bon.
Et il est impossible de s’échapper : tous les grands hôtels sont surveillés, contrôlés de façon surprise et les comptes examinés tous les mois par des représentants du gouvernement.
Et, donc, la seule façon actuelle de s’en sortir est une mauvaise méthode : tricher.
Car les autorités disent que c’est parce que les gens trichent que ça va mal et renforcent les contrôles, ce qui fait plutôt empirer les choses au lieu de les améliorer et éloigne encore plus le tourisme.
Mais pas seulement le tourisme, aussi toutes les activités économiques : l’agriculture qui produit 30% de ce qu’elle produisait en 1999, ce qui a placé le pays dans des crises graves de famine, ou l’industrie minière qui a du mal à produire 40% de ce qu’elle produisait hier malgré un pays riche en la matière (or, diamant, platine, etc...).
Y a-t- il une solution ?
La seule réponse apparente des autorités est de renforcer le contrôle contre les violations de la loi. Mais quand on n’a plus le choix, on fait ce qu’on peut même si ce n’est pas respectueux de la loi ou immoral. Et je ne pense donc pas qu’interdire sans lutter ou chercher à améliorer les raisons qui ont conduit à cette situation soit une solution. Les analystes ne sont d’ailleurs pas tellement optimistes pour 2007.
Pourtant, le pays est vraiment magnifique et vaut vraiment la visite. Les gens sont accueillants, et, malgré la situation effroyable qu’ils vivent, sont chaleureux et ouverts. Le pays possède de grandes richesses minières et la terre pourrait être généreuse.
Et si le pays est en état de catastrophe humanitaire avec de plus en plus de personnes qui fuient le Zimbabwe, il suffirait de pas grand-chose pour commencer à inverser le mouvement.
Alors, M. le directeur de la banque centrale, que fait-on ?