Zimbabwe : en rire ou en pleurer
Je vois souvent démarrer des diatribes violentes contre le président Mugabe. Mais ce qui me surprend presque à chaque fois, c’est que c’est le fait de gens qui n’ont jamais mis les pieds au Zimbabwe, qui n’ont jamais rencontré un seul Zimbabwéien et ne se sont forgés leur opinion souvent qu’à cause d’un seul article qu’ils n’ont parfois pas bien lu ou par simple ouï dire. Cet article a pour objectif de redonner un peu quelques éléments et explications autres que des jugements ou des affirmations à l’emporte-pièce.
La situation ne cesse de se dégrader au Zimbabwe. La faute à qui ? Certains accusent Mugabe, d’autres les pays occidentaux, Grande-Bretagne en particulier. Il est probable, que - comme souvent - les uns comme les autres aient tort mais qu’ils aient aussi raison avec quelque part une vérité qui se trouve au milieu. Rien n’est jamais tout noir ni tout blanc (sans jeu de mot), mais gris entre les deux.
Tout d’abord, il faut d’abord définir de quoi on veut parler et à quoi on fait référence. En gros, il y a aujourd’hui deux façons de parler du Zimbabwe.
- on cherche dans l’histoire ancienne ou récente les raisons du conflit et de la situation actuelle ;
- on cherche à résoudre le problème actuel des habitants du Zimbabwe et à les aider.
Les raisons de la situation actuelle
Malheureusement, les origines du conflit sont encore et toujours le racisme. Attention, je ne parle pas du racisme de tel ou tel individu tel qu’on peut le voir fleurir dans les commentaires aux articles d’Agoravox, bien dense et caractérisé et que je trouverais risible s’il ne me hérissait pas autant. Non, je parle du racisme à titre collectif, celui de l’attitude générale d’un groupe, le même que celui qui fait que en France, quelqu’un qui porte un nom à consonnance arabe obtient 10 % des rendez-vous d’embauche qu’il aurait obtenu s’il s’appelait autrement.
Ce racisme là existait en Afrique de la part des coloniaux, et il existe encore d’une partie de la population blanche dans les pays d’Afrique. Il existe aussi chez de nombreux Noirs vis-à-vis des Blancs, et puisqu’on y est, il est exacerbé mais caché chez les Asiatiques vis-à-vis des Noirs (chose réelle bien qu’on ne le sache souvent pas dans les pays occidentaux).
Histoire
Pour revenir au Zimbabwe, l’origine du pays n’est pas à chercher bien loin car l’histoire est récente.
Au tout début, c’est Cecil Rhodes qui s’est emparé de la région en faisant signer un contrat en anglais au roi Ndebele lequel concédait la région et en croyant que c’était autre chose. La force des armes fut ensuite employée pour faire respecter la lettre dudit contrat.
Même plus tard, à la première indépendance de 1964, Ian Smith avait pour objectif de préserver les privilèges des Blancs représentant 8 % de la population.
En 1970, la République de Rhodésie est proclamée, "démocratie" sur le mode anglais dit de Westminster. En gros, cette démocratie prévoyait un parlement avec 16 députés noirs pour 50 députés blancs. Les mouvements noirs étaient interdits et les leaders régulièrement emprisonnés et il y avait des mouvement de guerilla de plus en plus nombreux.
Après plusieurs tentatives de gouvernement multiracial et de constitutions désavouées tantôt par les Noirs, tantôt par la Grandre-Bretagne, parfois par les Blancs, après dix ans de guérilla, un gouverneur général britannique est nommé pour remettre de l’ordre avec les pleins pouvoirs sur la Rhodésie du Sud le 12 décembre 1979.
Le 21 décembre 1979, les accords de Lancaster House étaient signés en Angleterre par Smith, Muzorewa et les leaders des mouvements de libération Zapu et Zanu sous l’édige de lord Carrington, ministre de Margaret Thatcher. Ils prévoyaient le régime parlementaire, le maintien pendant sept ans de 20 sièges sur 100 pour les Blancs, l’interdiction d’une nationalisation forcée de la propriété privée.
Une rétribution pacifique des terres avec indemnisation élevée était encouragée sous l’égide et le financement de la Grande-Bretagne.
Des élections sont organisées pendant lesquelles Mugabe est victime de deux tentatives d’assassinat et devient Premier ministre.
Dès 1980, soit dès l’indépendance "moderne", 200 000 fermiers noirs réclamaient des terres à cultiver. A cette époque, 4 500 fermiers blancs exploitaient environ la moitié des terres cultivables du pays.
En 1987, les Zimbabwéiens blancs représentaient 1 % de la population et détenaient plus d’un bon tiers des terres cultivables (les meilleures) qui produisaient 80 % du total national.
Avec le temps, de plus en plus de manifestations de fermiers noirs et d’anciens combattants de mouvements de libération (du Zanla en particulier avec la grève de 1997) ont lieu qui réclament l’expropriation des fermiers blancs. En 2000, Mugabe organise un référendum sur une modification de la constitution permettant la réforme agraire et l’expropriation. Les Zimbabwéiens répondent non.
Mais le parti majoritaire du Zanu-PF maintient la pression sur Mugabe, et celui annonce l’expropriation quasi générale des Blancs.
Dès lors, la politique intérieure ressemble à une fuite en avant avec toujours plus d’autoritarisme et de moins en moins de liberté. Le tout sous un fond de catastrophes naturelles (années de sécheresse, puis année d’inondations graves dans le sud du pays) s’ajoutant aux catastrophes politiques.
Aujourd’hui
La réponse politique est de museler le plus possible l’opposition. Pas bien. Mais là où les choses ne sont pas claires du côté des détracteurs, c’est qu’il existe de par le monde des violations et des actes bien plus graves qu’au Zimbabwe dont personne ne parle et que tout le monde semble ignorer. C’est le cas en particulier au Myanmar et en Corée du Nord.
La réponse économique est de faire fonctionner la planche à billets. Mais la seule conséquence est de faire perdre confiance dans la monnaie nationale. Ce qui rend les choses plus que très difficiles pour les habitants payés en dollars Zim, avec une perte de pouvoir d’achat épouvantable. La corruption s’installe, car des fonctionnaires sont en dessous du seuil de pauvreté. La seule solution, c’est la devise étrangère et le troc. D’où l’apparition d’un marché des changes parallèle et la course au stockage de denrées non périssables. Même les prostituées prennent le pas : elles se font payer en carburant et refusent le dollars Zim (c’est toujours du liquide, mais bon...).
Mais de nouveau, les chiffres indiqués par les observateurs étrangers sont très déformés. Car s’il est vrai que l’inflation du dollar zimbabwe devient totalement aberrante, le coût de la vie mesuré à l’aune de n’importe quoi d’autre que le dollar zim indique que le coût de la vie est à peu près constant. C’est la monnaie du pays qui est une catastrophe.
Le rôle de la Grande-Bretagne est aussi un peu trouble. Car l’aide de ce pays promis pour financer la redistribution des terres des fermiers blancs aux Noirs s’est brutalement arrêtée. Et la Grande-Bretagne est souvent intervenue pour sanctionner le pays économiquement. Le schéma ressemble tellement à celui des Etats-Unis et de l’Irak (campagne de presse dans tous les médias anglo-saxons allant jusqu’à une déformation grave, empêchement du président Mugabe ou des représentants du pays de venir aux sommets africains en Europe, dont le dernier de Lisbonne, et position insistante pour parler du cas du Zimbabwe en l’absence de ses représentants, lobbying actif contre le Zimbabwe pour des sanctions économiques et empêcher les membres du gouvernement de pouvoir sortir du pays) avec des richesses importantes du pays (deuxième producteur mondial de platine, or, diamant, charbon, uranium) que l’on ne peut pas s’empêcher de faire le parallèle.
Bref, on ne peut pas sérieusement mettre sur le dos de Mugabe tout le mal qui se passe au Zimbabwe, pas plus qu’on ne pouvait mettre sur celui de Saddam Hussein tout le mal en Irak à partir du moment de l’intervention des Etats-Unis. Il a une responsabilité majoritaire, ne serait-ce que parce qu’il est président, mais il n’est pas le seul fautif à cette situation épouvantable.
Résoudre le problème
Pas grand-chose à faire
En pratique, nous ne pouvons pas faire grand-chose réellement pour aider les Zimbabwéiens. D’ailleurs, les diatribes contre Mugabe ne changent pas grand-chose non plus et n’aident pas plus les Zimbabwéiens.
Le première aide des Zimbabwéiens vient en fait des Zimbabwéiens eux-mêmes. En effet, on peut considérer qu’une grande part de la population active de ce pays est désormais hors des frontières. Et l’économie de survivance dans le pays se fait par l’envoi d’argent (étranger, ce qu’au Zimbabwe on appelle le "hard-currency") par la famille qui est au-delà des frontières.
Evidemment, le problème est que ceux qui sont partis sont les plus éduqués, les plus compétents : médecins, dentistes, ingénieurs, avocats, hommes d’affaires, etc.
En tout cas, il est bien plus sûr de compter sur cette aide que sur celle des Chinois. Car la Chine peut être bien plus cruelle que l’Occident en la matière.
Tout d’abord, pour les Chinois, il n’y a aucune considération de droits humains (cf les problèmes dans les mines de cuivre en Zambie), aucune considération sur le développement durable et les catastrophes écologiques (cf l’exploitation de la forêt au Congo) et un relent de racisme encore pire que ce que vous pourriez imaginer. Il n’y a d’ailleurs pas besoin de chercher les couples mixtes chinois-africains : les exceptions sont des aberrations statistiques.
Et plus la Chine aura d’espoir que la situation puisse empirer au Zimbabwe, plus la Chine se dépêchera d’attendre pour obtenir pour encore moins cher ce que le Zimbabwe exangue espère que la Chine lui achètera.
Même les richesses actuelles du Zimbabwe ne peuvent plus aider suffisamment le pays. Ainsi, la production de platine a diminué de presque moitié pour une raison aberrante, dûe moitié à la politique monétaire de Mugabe (officiellement de M. Gono, gouverneur de la Banque centrale, mais suivez mon regard) et à moitié au manque de confiance de l’étranger. Car la politique monétaire est dingue : quand on importe des dollars US, on a 250 $Zim pour un 1 $US. Alors que sur le marché noir, on a eu jusqu’à 100 000 $Zim pour 1 $US il y a un mois, même si aujourd’hui on est autour de 60 000.
Il faudrait remettre en état les machines d’extraction des mines de platine. Rien que de très normal, chez nous, on appelle cela de la maintenance. Mais comment faire pour envoyer de l’argent si la valeur est divisée par 240 par simple passage dans la lessiveuse qu’est la Banque centrale. Une nouvelle loi est sortie qui fait que sur le secteur minier, la lessiveuse ne divise la valeur de l’argent que par trois...
Et même si l’on importe les pièces et machines au vrai prix, les sociétés étrangères commencent à avoir des doutes sur la rentabilité de nouveaux capitaux à horizon de plus de quelques mois.
Un de mes copains a voulu acheter un polo au mois d’avril dernier. Prix : 400 000 $zim ou 20 $US. Cela met le taux à 1 pour 20 000, ce qui était la valeur à l’époque. Mais comme il n’avait plus de cash, le pauvre fait une carte visa pour 400 000 $zim.
Heureusement, en passant près de l’accueil, je l’ai vu et j’ai fait tout annuler. Car ses 400 000 $zim allaient se transformer en 1 600 $US pour un polo ! et je lui ai prêté les 20 $US ce qui va quand même mieux. Question : qui se serait mis dans la poche les 1 580 $US. La Banque centrale, oui d’accord, mais au-delà ?
Le tourisme
A notre niveau, nous ne pouvons pas faire grand-chose, sauf par le tourisme.
Mais tout le monde ne peut pas le faire. Car de nouveau, pour éviter la grande lessiveuse de la Banque centrale, il faut payer le minimum à l’avance et voyager plus à l’ancienne, avant les agences de voyage internationales : une fois arrivé dans le pays, on achète tout en espèces et en hard currency (euro ou mieux $US) en ne parlant de $zim que si le prix paraît exagéré à cause d’un taux de change un peu olé olé qu’appliquerait par exemple le restaurateur.
Et évidemment, voyager de cette façon nécessite des compétences de voyageur qu’on n’a plus : savoir accepter l’inconnu et la découverte comme une chance et pas une contrainte, accepter les imprévus, aller plus au contact des gens du pays et ne plus transporter autour de soi en voyage la bulle isolante que représentent nos habitudes et notre façon de vivre dans notre pays.
Ce qu’il ne faut pas faire
Car ce qui me fait mal, et dont je souffre déjà à l’avance par certains des commentaires qui ne vont pas tarder sur cet article, ce sont tous ceux qui vont mesurer à l’aune de leurs propres habitudes et environnement ce qui se passe ailleurs sans plus de compréhension ni même de véritable effort pour connaître un pays ou une situation.
Aussi, la première chose que j’aurais tendance à dire sur ce qu’il ne faut pas faire, c’est prendre position sans vraiment savoir ce qu’il se passe, et éviter d’aller rencontrer l’ambassadeur sur un salon et aller lui déclarer tout de go sans même savoir qui il est : "J’aime bien votre pays, mais je n’aime pas votre président". Je ne sais pas si cela vous fait rire, mais sur le coup, j’étais géné et suffoqué d’assister à ce type de scène.
En tout cas, il y a une chose que la pays conserve : la gentillesse de ses habitants vis-à-vis de l’étranger, car malgré les difficultés dramatiques du pays, les Zimbabwéiens restent adorables et il n’y a pas de problème d’agression vis-à-vis des touristes (contrairement à certaines zones d’Amérique du Sud). Et le Zimbabwe est un des pays les plus beaux de l’Afrique australe.