mercredi 13 février 2008 - par Thierry Crouzet

C’est quoi un bon journaliste ?

Le plus simple est de définir le mauvais journaliste, espèce bien plus répandue. Cet animal vous pose des questions et connaît les réponses à l’avance. Si vous lui dite ce que vous pensez, quelque chose qu’il n’a jamais lui-même pensé ou entendu, il ne vous écoute plus, il abrège l’interview car il veut produire un contenu, qui croit-il, intéressera ses lecteurs ou auditeurs.

J’ai souvent constaté ce genre de réactions en parlant du Peuple des connecteurs et du Cinquième pouvoir. Dès que j’avance l’idée que, grâce à la décentralisation des communications, une force transversale apparaît, les journalistes m’avouent qu’ils sont rassurés à titre personnel mais, à titre professionnel, ils n’en ont rien à foutre.

Eux, ils aiment bien le cinquième pouvoir comme empêcheur de tourner en rond, contre-pouvoir du contre-pouvoir qu’ils sont déjà censés être. Quand je leur dis que cet aspect des choses n’est même pas réducteur, mais tout simplement erroné, ils s’en vont car ils ne veulent surtout pas entendre un discours politique ni de gauche ni de droite. Dans quelle case le rangeraient-ils ?

Je reçois souvent les appels de jeunes journalistes stagiaires ou en fin d’étude. Ils réfléchissent tous à l’influence d’internet sur la presse. Ils sont pires que les mauvais journalistes expérimentés. Ils se sont construit un modèle et ne veulent pas en sortir. Ça se passe presque toujours mal entre eux et moi.

- Croyez-vous qu’internet change le métier de journaliste ?

- Non. Pour preuve, la presse, notamment généraliste, perd partout dans le monde de l’audience. Ça va mal et les journalistes écrivent toujours la même chose (ce qu’ils veulent entendre). Écrivez ce que les gens ont à dire, ayez des choses à dire vous-même, et vous trouverez un public. Les gens qui lisent ne sont pas très nombreux. Adressez-vous à eux et non pas à ceux qui regardent la télé. Parce que pour imiter la télé rien ne vaut la télé. Même internet est meilleur pour ça que la presse.

- Que pensez-vous de la nouvelle formule de Libé.

- Il y a une nouvelle formule ? Je ne savais pas. Après tout ce que je viens de dire, vous comprenez que je lis peu souvent la presse. Parfois dans le train ou le métro (mais comme je n’habite pas à Paris).

- Libé introduit le participatif.

- Super original. Ils font comme USA Today avec plus d’un an de retard qui lui-même imite HoMyNews avec cinq ans de retard. Ils font parler les internautes, merveilleux. Mais comme ils leur font dire encore une fois ce qu’ils veulent entendre, ça ne change rien. La presse agonise à force de tourner en vase clos. Elle refuse de s’adresser à son véritable public, les gens qui lisent, qui ont envie de s’agiter les neurones. La seule presse qui ne s’en sort pas trop mal, je crois, est d’ailleurs celle qui veut détendre nos neurones, au moins elle ne perd pas de vue son objectif contrairement à l’autre dite sérieuse.

- C’est quand même innovant cette approche de Libé.

- Vous voulez que je vous réponde oui. Non, ce n’est pas innovant. Libé frise la banqueroute, le marché publicitaire migre vers le online, c’est un processus irréversible. Dans quelques années, le papier n’aura plus aucun sens pour la presse (il n’en a plus aucun depuis longtemps à mes yeux). Les éditeurs doivent accepter cette réalité. Ils doivent travailler en fonction des spécificités des médias et des lecteurs. C’est fatiguant d’entendre tout le monde parler de la même façon.

Mon fils de neuf mois s’est mis à pleurer. J’ai demandé à la jeune journaliste, avec une superbe voix, elle fera de la radio, de me rappeler un autre jour. Elle s’en est bien gardée. Elle ne voulait surtout pas que je détruise le monde que ses profs lui avaient soigneusement concocté au cours de ses études.

Un bon journaliste est donc quelqu’un qui écoute les gens et leur fait dire ce qu’eux seuls peuvent dire. Il existe encore des bons journalistes. Mais j’imagine que leur vie doit être difficile dans un univers médiatique qui semble peuplé d’une armée de clones.



16 réactions


    • Philou017 Philou017 13 février 2008 15:40

      L’auteur parle des clones de journalistes. Les clones de la pensée sévissent aussi sur agoravox. Leur argument (au singulier) : si ca va pas, c’est qu’ils sont à gauche (les journalistes, fonctionnaires, instits, redacteurs d’agoravox). A ce niveau, ca relève de la psychiatrie. Névrose obsessionelle ? ou simplisme con-génital ...

      Pourquoi ne pas aller polluer les sites des gauchistes de LCI ou du Figaro ? Hein ?


  • R.L. 13 février 2008 14:05

    Un bon journalise est d’abord quelqu’un qui peut écrire sans risque d’être censuré et, aujourd’hui, beaucoup plus grave en "qualité" et en "quantité", qui ne s’auto-censure pas, dans l’écrit mais aussi dans la réflexion, qui va aux sources, qui fait de la vraie investigation, qui sait de quoi il parle... et ne roule pour personne et pour aucun intérêt privé, qui ne baratine pas autour d’une dépêche de l’A.F.P., et qui sait rester modeste et ne fréquente pas trop les "élites" coupées de la réalité et trop bien rémunérées....

    Y -a-t-il encore un journaliste dans la salle ?


    • R.L. 13 février 2008 15:01

      Ai-je parlé de diffamation ?!

      Ai-je parlé d’atteinte à la liberté ?

      Lorsque je parle de censure, j’entends bien sûr celle du rédacteur en chef et, plus encore, du propriétaire, puisque les journaux, par exemple, sont la propriété de quelque uns, tous riches, du même bord politique et donc avec le mêmes intérêts de classe...

      Ce que mon commentaire disait en filigrane, c’est qu’avant de définir le journaliste, définissons la presse, ses tenants et aboutissants...


    • zenohit zenohit 13 février 2008 17:12

      Bon... ce n’est pas évident de comprendre le sens de tes/vos commentaires en voyant le manque de ponctuation !


    • zenohit zenohit 13 février 2008 18:11

      Liberté, respect, de quoi ? de ce dont on se réclame, des valeurs que l’on veut promulguer !

      Déjà, un journaliste, pour moi "crédible", n’est pas guidé par l’égo. Puisqu’on parle de "mauvais journaliste", je continue sur la négativité, négation ; pour moi un être un "bon" journaliste c’est :

      - ne pas chercher sans cesse le respect de ses "confrères", ou camarades de jeu, ou compagnons de bac à sable ! Mais dire ce qu’on pense en se disant qu’on n’a rien à perdre, avec sincérité.

      - ne pas tomber dans le culte de la personnalité, que ce soit la sienne ou celle de ceux qu’on "admire". On a tous les mêmes besoins vitaux, c’est la manière d’y répondre qui diffère avec d’autres, ou qui fait qu’on a des points communs avec d’autres personnes.

      - ne pas chercher à être "sur la vague".

      - comme l’auteur de cet article intéressant l’a dit : être indépendant.

      - ne pas descendre les arguments, mais avancer les siens.

      - ne pas jouer sur l’émotion, ne pas profiter des besoins affectifs/de reconnaissance/etc...


  • Radix Radix 13 février 2008 19:52

    Bonjour

    Vous avez raison de chercher à définir un mauvais journaliste plutôt qu’un bon... L’espèce est plus rare et difficilement observable.

    J’ai rencontré des journalistes professionnellement et parfois dans mes loisirs sportifs dans les deux cas j’ai toujours été déçu.

    La rencontre qui m’a le plus marqué c’est celle d’un journaliste qui couvrait une course à la voile à laquelle je participais. Ce n’était qu’une petite course d’amateur sans prétention et l’article n’avait pas plus d’importance mais ce monsieur s’est comporté d’une maniière qui m’a laissé perplexe.

    Il a d’abord interwiever l’organisateur qui lui a tracé les grande lignes de l’épreuve et ensuite il s’est assit à notre table car il avait été invité à partager le déjeuner des équipages avant le départ. Je me suis dit : avec les gars et les filles qui sont assits là et ce qu’ils racontent ils va avoir de la matière pour étoffer son article.

    En effet, il y avait deux équipages concurents mélangés qui racontaient, sans se préocuper de sa présence, diverses anecdotes, drôles ou tragiques, qui leurs étaient arrivées dans des courses précédentes.

    A ma grande surprise, le nez plongé dans son assiette, ce monsieur n’écoutait rien, il se pressait de "manger" ce déjeuner offert qu’il n’allait pas défalquer de sa note de frais avant de rentrer chez lui.

    Par curiosité j’ai lu sa prose après la course : tout rapport entre les deux aurait été purement fortuit !

    Ce n’était pas un "grand journaliste" et la course ne méritait pas plus, mais ce monsieur visiblement était dépourvu de toute curiosité et dans son métier c’est une faute professionnelle !

    Radix

     


  • mr.powers mr.powers 13 février 2008 21:03

    Je pense qu’il y a autant de définition du bon journaliste que d’internautes. J’ai la sensation que ce qui atteint le journalisme reléve du même phénoméne que dans la musique, à savoir la saturation d"une partie du public par une offre trop standardisée, et son refuge dans une offre alternative jugée plus authentique, car plus militante dans sa dynamique (et pas forcément sur le fond). Cela rappelle le phénoméne de longue traîne (http://fr.wikipedia.org/wiki/Longue_traine).

    La bonne nouvelle, c’est qu’une petite partie de la population hisse le journalisme au rang d’art véritable. La mauvaise, c’est qu’une grande partie de la population renonce à se demander quel est le journalisme qui leur convient, produisant un effet de défiance envers une profession ne sachant plus vraiment sur quel pied danser ("Dès que j’avance l’idée qu’ [...] une force transversale apparaît, les journalistes m’avouent qu’ils sont rassurés à titre personnel mais, à titre professionnel, ils n’en ont rien à foutre").

    Peut-être qu’il n’y a pas de bon journaliste parceque le contenu compte finalement plus que le contenant ? Ce que je veux dire par là, c’est que l’on se rappelle plus rarement du nom d’un journaslite que du contenu de son article.

    Par contre, la véritable star de l’information aujourd’hui, c’est le commentateur ! Il est surprenant de voir que certains commentateurs sont attendus sur certains sujets, que la "notoriété" naît davantage de la réponse à un article que de l’article lui-même (pour poursuivre ma comparaison avec la musique, cela me rappelle ce phénomène qui consiste à se rappeler plus souvent du nom de l’interprête que celui du compositeur ...).

     

     

     


  • Grégory Gennaro 13 février 2008 23:28

    Très bon article qui résume la triste réalité des médias d’aujourd’hui. Pour beaucoup il suffit de changer ou de modifier la mise en page pour que le journal reparte sous de nouveaux horizons. C’est faux.

    C’est le fond de la ligne éditorial et du contenu qu’il faut complètement revoir. Les journalistes doivent être neutres et doivent laisser s’exprimer les citoyens.

    Cela contribuerait au respect de la démocratie et à la liberté.


  • jack mandon jack mandon 14 février 2008 10:46

    Un bon journaliste pourrait apprendre à écouter et à entendre, à regarder et à voir, à sentir et à comprendre. C’est le fondement de la communication.

    Il pourrait se garder de l’esprit "de" critique, celui du concierge "malveillant " instinctivement porté au bavardage, dont les propos sont entachés de gde subjectivité, de projections, c. à d. de dénonciations calomnieuses des tares, défauts et problèmes que l’on stigmatise chez les autres et dans le monde ambiant en oubliant que notre référence première est le contenu de la poubelle que l’on porte au fond de soi.

    Cette confusion est du ressort de la psychiatrie et concerne plus de 50 % des humains dont le seuil de conscience se situe au commencement du monde, à l’âge de notre ancêtre le saurien. Prisonniers que nous sommes de notre ethnie, de notre éducation, de notre famille génétique, morale, religieuse, politique etc.

    Un bon journaliste pourrait cultiver l’esprit critique, c. à d. l’esprit d’observation, de réflexion, d’investigation et d’information. Dans cet esprit de meilleure connaissance de soi il pourrait gagner en altitude, en maturité, en éthique, en courage politique. Tout le monde se sentirait tellement mieux.


  • Cléopatate Cléopatate 15 février 2008 11:17

    Bonjour à vous.

    Je ne suis pas journaliste, ni ecrivain.

    Des journalistes , j’en ai cotoyé longtemps professionellement. mais ne faisant pas parti de la profession, je me garderai bien de juger le travail de ces ex collegues...

    Un chose me choque néanmoins dans cet article qui tente de donner une definition du bon et/ou du mauvais journaliste.

    Un mot est absent.

    Un terme particulièrement lié selon moi à la conception même de journalisme.

    A son rapport au monde, à son lecteur, à son travail, à sa déontologie.

    Un mot qui justifie l’existence même du journalisme.

    Le fait.

    Je comprend parfaitement votre point de vue, le respecte voire le partage mais j’ai du mal a saisir comment on peut parler de journalisme sans son rapport au fait, au factuel.

    Cela me rappele l’oeuf et la poule... A priori le fait crée le journalisme mais il semblerait qu’aujourd’hui, le journalisme cree le fait (ou evite justement que ce dernier soit connu en se gardant bien d’en parler)

    Vous semblez plus parler ici des journalistes type interviewers, micro trottoir, voir biographie.

    Mon plus gros probleme avec le journalisme actuellement est pourtant definitivement son rapport au factuel.

    La façon dont il choisit de traiter tel ou tel fait, quelle importance lui donner, quelle tournure prendre, quel angle, ceci merite t il qu’on s’y interesse, etc...

     

     

     


  • Atlantis Atlantis 16 février 2008 17:40

    Faudra que je fasse un article du genre sur ce qu’est un bon chercheur scientifique...

    en attendant, une petite citation " La presse libre n’existe pas. Vous, chers amis, le savez bien, moi je le sais aussi. Aucun de vous n’oserait donner son avis personnel ouvertement. Nous sommes les pantins qui sautent et qui dansent quand ils tirent sur les fils. Notre savoir faire, nos capacités et notre vie même leur appartiennent. Nous sommes les outils et les laquais des puissances financières derrière nous. Nous ne sommes rien d’autre que des intellectuels prostitués ". John Swaiton, l’éditeur du New York Times, lors de son discours d’adieu.


  • Ironheart 16 février 2008 18:25

    Vous ne lisez jamais de journaux ?

    Alors qui etes vous pour dire ce qu’est un bon journaliste ? On croit rêver ! Ca ne vous ferait pas de mal, de lire les journaux. Surtout Libé, qui inclut dans le courrier des lecteurs et le libénaute des tas de commentaires qui ne plaisent pas forcément à tout le monde, Libé compris. Vous aussi, vous voulez que les gens pensent ce que vous voulez qu’ils pensent, vous aussi vous êtes comme ceux que vous critiquez : borné. Désolé de le dire mais ça se sent à la lecture de votre article. Vous faites une attaque purement gratuite des journalistes, qui font un boulot monstre, c’est à dire enqueter, écrire, prendre des photos, boucler un journal à 23h, qui se sacrifient, qui n’ont pas ou peu de loisirs parce que ce boulot est très prenant. Vous pensez que les journalistes sont tous pareils, mais qui êtes vous donc pour le savoir ?

    Quant à ce que vous pensez sur le net... c’est ridicule. Un nouveau média n’a jamais détruit les anciens, il les complète. Internet ne va pas détruire les journaux papiers. Car la grande majorité des gens préfère lire, feuilleter, tenir un journal papier entre ses mains, plutot que se détruire les yeux en lisant sur un écran. Car les infos qu’on trouve sur le net ne sont jamais à 100% sûres, crédibles. Mention pour wikipédia, où n’importe qui, même les racistes, les ignorants, peuvent se rendre et modifier les articles. 


  • stephanemot stephanemot 17 février 2008 04:18

    Si je comprends bien, le mauvais journaliste, c’est celui qui vous donne l’occasion de briller à peu de frais.

     smiley

    Je partage totalement votre analyse sur le "nouveau" Libé. Un non événement et une nouvelle tentative défensive.


  • Dalziel 17 février 2008 10:47

    Le bon journaliste est celui qui me conforte dans tout ce que je pense et qui confirme tout ce que je crois, écrivant ainsi les seules choses que j’avais vraiment envie de lire, a priori...

    Plus il me conforte, plus il confirme, meilleur il est !

    Et je ne vais pas faire l’effort de le lire, pour m’énerver avec un con qui me contrarie !!!


  • moebius 17 février 2008 22:06

    ..jamais je n’ai eu l’opportunité d’étre interrogé par un journaliste..vous avez peut etre un compte à régler avec un journaliste qui vous aurez interviewé ?..vous n’auriez pas été satisfait de l’article ?.. c’était assurément un mauvais journaliste... 


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