Cameroun : journalisme, sensationnel et désinformation
Toute personne qui a eu affaire aux journalistes sur un sujet qu’il connaissait sait que le rendu par les médias de ce sujet est toujours discutable, voire incorrect, qu’il fait la part belle à l’idée qu’en avait le journaliste à l’origine, et que les éléments les plus sensationnels sont ceux qui seront mis en avant.
Un nouvel exemple nous en a été fourni la semaine dernière, dans une émission de télé du service public appelée Envoyé spécial. Parmi les titres, j’ai noté "Le Cameroun, nouvelle destination du tourisme sexuel" ou quelque chose d’approchant, mais dans le même style racoleur. Il se trouve que je connais bien le Cameroun, pour y avoir vécu, et que je sais également que ce pays n’est pas vraiment un champion du tourisme mondial ! D’ailleurs, allez faire un tour dans une agence de voyage, et je serais bien étonné que vous trouviez un séjour quelconque à vendre dans ce pays.
L’émission elle-même essayait de nous faire croire que le Cameroun était un haut lieu de la pédophilie, sans doute à la suite d’une information en provenance de l’association qui apparaissait de temps en temps dans l’émission. Le reportage montrait un hôtel de Douala (le Méridien) dans le "quartier des hôtels internationaux" (sic), puis une petite station balnéaire à deux heures de route de Douala, appelée Kribi et présentée comme le Saint-Tropez local. Le reporter interviewait une jeune fille, majeure, de Kribi, qui nous disait avoir eu des relations sexuelles avec un blanc quand elle était mineure et une autre, mineure, avoir fait de même sous la pression de ses parents qui souhaitaient qu’elle subvienne maintenant à ses besoins. Il allait ensuite à Douala, à l’Hôtel évoqué ci-dessus, pour demander une mineure à la réception de l’hôtel, qui l’éconduisait plutôt sèchement en lui signalant que c’était passible de prison.
Il entreprenait ensuite un des vigiles de l’hôtel pour lui demander de lui "fournir" une jeune fille, ce que le vigile acceptait. Un peu plus tard, il faisait monter dans sa chambre une jeune fille dont je serais incapable de vous donner l’âge, qui lui disait ne pas savoir pourquoi elle venait, et qu’il congédiait finalement. Une interview d’un possible policier dans sa voiture complétait le reportage, dans lequel ledit policier blâmait la haute hiérarchie de la situation, tout en confirmant qu’en cas de plainte, c’était bien la prison pour le coupable.
Voilà quelques éléments complémentaires, pour mieux décrypter le
reportage. Tout d’abord, il n’y a pas de quartier des hôtels internationaux
à Douala, mais deux hôtels seulement, le Méridien déjà cité et l’Akwa Palace
qui ne sont d’ailleurs pas situés dans la même zone de Douala. Il n’y a pas
- ou très peu- de tourisme au Cameroun, en raison du manque d’infrastructures
routières et hôtelières, d’un climat très éprouvant et de lignes aériennes
aléatoires, et je peux vous assurer que ceux qui viennent à Douala y viennent
pour travailler, et rien d’autre ! La station de Kribi est un petit village
avec des plages de sable pas très propres, une plate-forme pétrolière à
l’horizon et le débouché du pipe-line Tchad Cameroun. Quelques hôtels,
dont deux ou trois seulement d’un standing correct. Voilà la concurrente de Saint-Tropez d’après le journaliste !
Ceci dit, Douala est un port important, la prostitution existe et est considérée comme un métier lucratif, mais ni plus ni moins qu’à Hambourg, par exemple. Le salaire moyen du vigile auprès de qui le reporter a cherché la mineure qu’il voulait nous montrer comme preuve du tourisme sexuel au Cameroun touche environ 50 à 60 euros par mois, et est toujours à la recherche d’un moyen de trouver quelques ressources de plus. Même commentaire pour la population en général, toujours à la recherche de ressources, et chez qui mettre les filles en demeure de se suffire à elles-mêmes à partir d’un certain âge est courant. D’autant plus que la liberté sexuelle est grande dans le pays. L’attitude du vigile est celle d’une personne constamment à l’affût d’une occasion de gagner un peu d’argent, et celle de la fille, celle de la prostituée classique.
Incidemment, il ne faut pas croire que les prostituées commencent à apprendre leur métier à 18 ans révolus, et les souteneurs, dans ce cadre, sont les premiers pédophiles.
Il est tout à fait possible, avec une caméra et quelques billets de 10 euros, de faire venir quelques figurants et de leur faire raconter ce que vous souhaitez qu’ils racontent. N’oublions jamais qu’une somme qui nous paraît dérisoire comme 50 euros (sur note de frais) représente une fortune pour la plupart des petites gens de la ville. Je ne dis pas que c’est ce que le reporter a fait, mais il n’y a aucun doute qu’il aurait pu le faire !
Je ne dis pas que la pédophilie n’existe pas, il est tout à fait vraisemblable qu’elle existe, et qu’il y ait des visiteurs qui en profitent. De là à présenter le Cameroun comme une destination émergente du tourisme sexuel, il y a un immense pas que le journaliste a franchi, qui ne me paraît pas justifié, et qui endommage l’image de ce pays. Il aurait pu, par contre, faire un reportage sur le vécu de la misère au quotidien en Afrique (Douala n’est pas différent des autres ports africains) ou sur les conséquences du Sida en Afrique (la population des prostituées était particulièrement adaptée à ce genre d’enquête). C’était sans doute trop lui demander.
Il a préféré le sujet racoleur. Dommage. En attendant, vous pouvez aller au Cameroun, ce ne sera pas d’un grand confort, mais c’est un peuple tout à fait attachant.