mercredi 8 mars 2006 - par ÇaDérange

Cameroun : journalisme, sensationnel et désinformation

Toute personne qui a eu affaire aux journalistes sur un sujet qu’il connaissait sait que le rendu par les médias de ce sujet est toujours discutable, voire incorrect, qu’il fait la part belle à l’idée qu’en avait le journaliste à l’origine, et que les éléments les plus sensationnels sont ceux qui seront mis en avant.

Un nouvel exemple nous en a été fourni la semaine dernière, dans une émission de télé du service public appelée Envoyé spécial. Parmi les titres, j’ai noté "Le Cameroun, nouvelle destination du tourisme sexuel" ou quelque chose d’approchant, mais dans le même style racoleur. Il se trouve que je connais bien le Cameroun, pour y avoir vécu, et que je sais également que ce pays n’est pas vraiment un champion du tourisme mondial ! D’ailleurs, allez faire un tour dans une agence de voyage, et je serais bien étonné que vous trouviez un séjour quelconque à vendre dans ce pays.

L’émission elle-même essayait de nous faire croire que le Cameroun était un haut lieu de la pédophilie, sans doute à la suite d’une information en provenance de l’association qui apparaissait de temps en temps dans l’émission. Le reportage montrait un hôtel de Douala (le Méridien) dans le "quartier des hôtels internationaux" (sic), puis une petite station balnéaire à deux heures de route de Douala, appelée Kribi et présentée comme le Saint-Tropez local. Le reporter interviewait une jeune fille, majeure, de Kribi, qui nous disait avoir eu des relations sexuelles avec un blanc quand elle était mineure et une autre, mineure, avoir fait de même sous la pression de ses parents qui souhaitaient qu’elle subvienne maintenant à ses besoins. Il allait ensuite à Douala, à l’Hôtel évoqué ci-dessus, pour demander une mineure à la réception de l’hôtel, qui l’éconduisait plutôt sèchement en lui signalant que c’était passible de prison.

Il entreprenait ensuite un des vigiles de l’hôtel pour lui demander de lui "fournir" une jeune fille, ce que le vigile acceptait. Un peu plus tard, il faisait monter dans sa chambre une jeune fille dont je serais incapable de vous donner l’âge, qui lui disait ne pas savoir pourquoi elle venait, et qu’il congédiait finalement. Une interview d’un possible policier dans sa voiture complétait le reportage, dans lequel ledit policier blâmait la haute hiérarchie de la situation, tout en confirmant qu’en cas de plainte, c’était bien la prison pour le coupable.

Voilà quelques éléments complémentaires, pour mieux décrypter le reportage. Tout d’abord, il n’y a pas de quartier des hôtels internationaux à Douala, mais deux hôtels seulement, le Méridien déjà cité et l’Akwa Palace qui ne sont d’ailleurs pas situés dans la même zone de Douala. Il n’y a pas
- ou très peu- de tourisme au Cameroun, en raison du manque d’infrastructures routières et hôtelières, d’un climat très éprouvant et de lignes aériennes aléatoires, et je peux vous assurer que ceux qui viennent à Douala y viennent pour travailler, et rien d’autre ! La station de Kribi est un petit village avec des plages de sable pas très propres, une plate-forme pétrolière à l’horizon et le débouché du pipe-line Tchad Cameroun. Quelques hôtels, dont deux ou trois seulement d’un standing correct. Voilà la concurrente de Saint-Tropez d’après le journaliste !

Ceci dit, Douala est un port important, la prostitution existe et est considérée comme un métier lucratif, mais ni plus ni moins qu’à Hambourg, par exemple. Le salaire moyen du vigile auprès de qui le reporter a cherché la mineure qu’il voulait nous montrer comme preuve du tourisme sexuel au Cameroun touche environ 50 à 60 euros par mois, et est toujours à la recherche d’un moyen de trouver quelques ressources de plus. Même commentaire pour la population en général, toujours à la recherche de ressources, et chez qui mettre les filles en demeure de se suffire à elles-mêmes à partir d’un certain âge est courant. D’autant plus que la liberté sexuelle est grande dans le pays. L’attitude du vigile est celle d’une personne constamment à l’affût d’une occasion de gagner un peu d’argent, et celle de la fille, celle de la prostituée classique.

Incidemment, il ne faut pas croire que les prostituées commencent à apprendre leur métier à 18 ans révolus, et les souteneurs, dans ce cadre, sont les premiers pédophiles.

Il est tout à fait possible, avec une caméra et quelques billets de 10 euros, de faire venir quelques figurants et de leur faire raconter ce que vous souhaitez qu’ils racontent. N’oublions jamais qu’une somme qui nous paraît dérisoire comme 50 euros (sur note de frais) représente une fortune pour la plupart des petites gens de la ville. Je ne dis pas que c’est ce que le reporter a fait, mais il n’y a aucun doute qu’il aurait pu le faire !

Je ne dis pas que la pédophilie n’existe pas, il est tout à fait vraisemblable qu’elle existe, et qu’il y ait des visiteurs qui en profitent. De là à présenter le Cameroun comme une destination émergente du tourisme sexuel, il y a un immense pas que le journaliste a franchi, qui ne me paraît pas justifié, et qui endommage l’image de ce pays. Il aurait pu, par contre, faire un reportage sur le vécu de la misère au quotidien en Afrique (Douala n’est pas différent des autres ports africains) ou sur les conséquences du Sida en Afrique (la population des prostituées était particulièrement adaptée à ce genre d’enquête). C’était sans doute trop lui demander.

Il a préféré le sujet racoleur. Dommage. En attendant, vous pouvez aller au Cameroun, ce ne sera pas d’un grand confort, mais c’est un peuple tout à fait attachant.



9 réactions


  • chaR abou riyaD 8 mars 2006 14:42

    Diplomate, en relation avec le Cameroun, je confirme les dires de l’article de M./Mme/Mlle çaDérange. Il me semble utile de rappeller que l’actuel gouvernement de Paul Biya est dans la tourmente, eut égard à la corruption généralisée de la majorité des dirigeants de ce pays. Aussi, à l’heure actuelle, est-il de bon ton (journalistique) de créér une diversion en montant en épingle la chasse à la pédophilie et aux mauvaises moeurs : un placebo croustillant et peu coûteux, fourni à Paul Biya par une presse nationale majoritairement à sa botte et par celle de ses amis de la françafrique. Allez au Cameroun en Airbus par SN Brussel Air Line (pub gratuite) pour moins de 700 € (6.000 Km) : le Cameroun est un vrai paradis terrestre regorgeant de fruits, de soleil et de joie de vivre qui ne mérite pas sa classe dirigeante qui se goberge et expatrie capitaux et enfants à l’étranger. chayR abou riyaD.


    • FDV (---.---.27.183) 8 mars 2006 22:00

      s’il vous plait, il y a actuellement un drame majeure qui se passe au Cameroun, le pillage et la destruction d’un des poumons verts par des entreprises françaises ( Rougier) et surtout chinoises.

      Bientôt, on y parlera d’innondations, de sécheresse.

      Alors faites tout pour y préserver ce qui reste de diversité et que vous semblez appréciez.


  • Elias (---.---.187.40) 8 mars 2006 15:49

    Ton article est très juste. Mais tant que tu y étais tu aurais pu dire que la société Camerounaise est par contre très homophobe. c’est un des pays où les gays volent en tôle. Pas très encourageant pour les touristes sexuels !


  • (---.---.52.158) 8 mars 2006 18:39

    Le cameroun est entrain d’opérer un changement radical de sa politique il est certain que certaines puissances ne l’apprécient si c’ était possible : elles déjà auraient déjà organisé une guerre civile comme au congo en 1997

    ouvrez les yeux l’ennemi n’est jamais quequ’un qu’on ne connaît pas c’est toujours un familier !!!


  • Scipion (---.---.226.195) 8 mars 2006 21:47

    Merci CaDérange. Vous confirmez tout le mal que je pense globalement de la corporation journalistique. Malheureusement, pour un reportage méthodiquement démonté, on en subit vingt dont on ne peut pas vérifier les assertions.

    C’est grave dans la mesure où des millions d’individus se font une opinion à partir d’informations plus ou moins bidonnées. En ce qui me concerne, j’ai pris l’habitude de mettre en doute tout ce qui ne me parvient pas de plusieurs sources convergentes.

    Ce n’est pas la solution de facilité... smiley)


  • tucko (---.---.84.214) 12 février 2007 10:07

    POur ce qui concerne des informations fiables sur l’exploitation sexuelle des mineurs au Cameroun je vous recommande le travail de recherche suivant, réalisé par une sociologue camerounaise.

    http://www.ecpat.net/eng/pdf/Cameroon/Cameroun_ESEC_French.pdf


    • tucko (---.---.84.214) 12 février 2007 10:27

      Le Cameroun est très certainement un pays attachant et les camerounais sont vraiment très accueillants, cela ne fait aucun doute. Il y pourtant déjà un peu plus de 400 000 touristes par an qui entrent dans le pays (dont la majorité sont des hommes d’affaires, les vrais touristes ne doivent être qu’une cinquantaine de mille)et au moins 40 000 expats qui y vivent et travaillent, et dont la majorité va se « délasser » à Kribi en week-end ou pendant certaines de leurs vacances (tourisme national). Se fermer les yeux sur un phénomène qui prend de l’ampleur et touche de plus en plus les jeunes défavorisé dans le but de ne pas affecter l’image d’une potentielle destination touristique ne fait que participer au développement de l’exploitation des jeunes par des touristes sexuels, qu’ils soient nationaux ou internationaux. Une complaisance dangereuse car la bombe a retardement du tourisme sexuel, lorsqu’elle explosera, sautera à la figure de ceux qui n’ont pas voulu la voir et regarder la réalité en face. Les rapports se multiplient, les recherches sérieuses, dues à des sociologues, des anthropologues, souvent camerounais mais personne ne veut les écouter. « La chasse à la petite », « les sponsors », « les deuxième et troisième bureaux », les épouses qui partent en Europe l’été « travailler dur », ont encore de beaux jours devant eux si la société camerounaise continue de fermer les yeux sur l’exploitation sexuelle de sa jeunesse, de ses femmes et de ses filles.


  • oddca (---.---.166.8) 25 mars 2007 12:43

    Alors là je reste perplexe... J’ignore si çaDérange est un natif du pays ou juste un français au grand coeur avec une idée trés naïve du cameroun.

    Affirmer qu’il n’ya pas de tourisme sexuel au cameroun, c’est vraiment trés fort ! Je ne sais pas si l’on peut qualifier cela de tourisme parce qu’il est vrai qu’il y en a trés peu là bas, néanmoins, pour être d’origine camerounaise, y avoir vécue, et surtout y retourner presque chaque année, pour les vacances, je peux affirmer moi, que ce reportage n’est en rien faut.

    La prostition mais également la pédophilie y sont présents, et ça ne sers à rien de se voiler la face. Une amie nous a parlé d’une jeune fille qui avait été ramassée par un français, alors qu’elle vendait ses produits, elle avait 13 ans, il aurait pu être son grand père, bref, il subvient à ses besoins, ils ont eu un enfant lorsqu’elle avait 17ans, et des histoire comme ça il yen a pleins. Donc ça suffit !Moi ça me dérange qu’on embellisse les choses, sous prétexte que la vérité dérange. Et encore plus quand on ne vit pas dans ce milieu et qu’on ne le côtoie qu’en surface.


  • frere (---.---.100.34) 7 avril 2007 10:21

    çaderange, je suis flatté de constater que tu defends si bien ce cher pays le cameroun. C’est bien mon pays de naissance et comme beaucoup j’y retourne tous les ans car nous l’aimons bien tous notre cher pays. Mais il ne faut pas refuser que le cameroun est devenu un veritable pays de prostituton.Que le cameroun ne soit pas un pays très touristique n’empèche pas qu’il soit devenu très« prostitué ».Et les premiers à profiter de cette prostitution sont les camerounais qui vivent en Europe et qui viennent passer leur vacance au pays(Bien entendu je ne pense pas qu’ils versent dans la pedophilie).Mais il est carrement vrai que les quelques touristes Européens qui viennent au cameroun profitent bien de l’etat de la situation. Si le Cameroun n’est pas encore à comparer avec les autres grandes destinations du tourisme sexuel, il en a bien pris le chemin, et vaut mieux le dire !!!!


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