Ce que vous n’avez pas lu dans la DADVSI
La loi
n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits
voisins dans la société de l’information (DADVSI) a été publiée le 3 août
dernier au Journal officiel. De nombreux commentaires, analyses et surtout
critiques ont pu être entendus depuis la décision
du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2006 et la censure de quelques
dispositions centrales.
Je m’arrêterai ce matin uniquement sur quelques dispositions,
jamais discutées (publiquement) ni vraiment débattues mais qui sont sinon
intéressantes, au mieux originales.
La première disposition est l’article 25 de la loi qui crée un
article L. 335-12 au sein du Code de la propriété intellectuelle (article
inséré après l’article L.335-10 ayant pour conséquence de repousser l’article
L. 335-11 après l’article L. 335-12. Qui a prononcé le mot
intelligibilité ?) :
Le titulaire d’un accès à
des services de communication au public en ligne doit veiller à ce que cet
accès ne soit pas utilisé à des fins de reproduction ou de représentation d’œuvres
de l’esprit sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier
et II, lorsqu’elle est requise, en mettant en oeuvre les moyens de sécurisation
qui lui sont proposés par le fournisseur de cet accès en application du premier
alinéa du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la
confiance dans l’économie numérique.
Cette disposition est intéressante. Elle tend à imposer à tout internaute
l’obligation de veiller à la bonne utilisation de son accès à l’internet. Mais,
ici ne sont pas visées les seuls échanges de fichiers, mais bien toute
reproduction ou représentation d’œuvres de l’esprit sans autorisation. Cela
risque d’impacter très clairement l’usage de l’Internet en cas d’application
stricte de cette disposition.
Ainsi, (et une fois la question de l’origine licite de l’œuvre
copiée réglée), un internaute devra-t-il vérifier auprès de tout site Internet
que le contenu qu’il est en train de consulter est bien diffusé de manière
respectueuse des ayants droits. Les blogs qui reproduisent des dépêches AFP ou
des articles du Monde seront-ils bloqués par les "outils de filtrage"
proposés par les fournisseurs d’accès ?
En pratique, cette disposition semble plus destinée à donner une
base légale forte aux ayants droits afin d’obtenir des juges et des
fournisseurs d’accès à l’Internet la suspension de l’abonnement d’un client
"téléchargeur" et la diffusion par les fournisseurs d’accès de
logiciels de filtrage des réseaux P2P. Mais au final, sa formulation reste très
large.
Dans le même ordre d’idée, l’article 28 de la loi DADVSI impose
une obligation originale aux fournisseurs d’accès à l’internet. Il est ainsi
créé après l’article L. 335-10 du CPI (et avant l’article L. 335-12 ?) un
nouvel article L. 336-2 :
Les personnes dont
l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en
ligne adressent, à leurs frais, aux utilisateurs de cet accès des messages de
sensibilisation aux dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicite
pour la création artistique. Un décret en Conseil d’Etat détermine les
modalités de diffusion de ces messages.
La loi impose donc aux fournisseurs d’accès à l’Internet d’adresser des
courriers électroniques à leurs utilisateurs les sensibilisant aux dangers du
téléchargement illicite (Télécharger
tue). Ces messages devront sans doute être bien formulés afin de ne pas
décourager l’Internet de tout téléchargement (notamment auprès des
plates-formes payantes). Quoique, tout dépend de la définition que l’on
donne de la notion d’illicite : une plate-forme payante qui ne s’acquitte
pas des redevances dues à la SACEM, ne permet-elle pas le téléchargement
illicite ?
Autre article très intéressant : l’article 52 (le dernier).
Il précise qu’un rapport sera présenté au Parlement dans les 18 mois. Mais
surtout, cet article indique que :
Ce rapport comporte un
chapitre spécifique sur les conditions de mise en place d’une plate-forme
publique de téléchargement permettant à tout créateur vivant, qui se trouve
absent de l’offre commerciale en ligne, de mettre ses oeuvres ou ses
interprétations à la disposition du public et d’en obtenir une juste
rémunération.
A partir de ce moment là, la question du commerce électronique est de retour.
Cet article laisse la sensation que les parlementaires ont demandé la
création d’une plate-forme "publique" (c’est à dire réalisée
par le secteur public) de téléchargement payant (puisqu’il est indiqué que
l’auteur doit en obtenir une juste rémunération). Ainsi, l’Etat devrait se
lancer sur le marché concurrentiel de la commercialisation d’œuvres numériques.
Ce point est très intéressant car il se situerait alors à la frontière entre le
droit public et le droit du commerce électronique.
Au final, cette loi DADVSI est remplie de dispositions que les juristes - et les non-juristes - découvriront au fur et à mesure. Elle fait planer de nombreuses craintes notamment vis-à-vis des libertés individuelles.
Seulement, et pour certaines dispositions, j’aimerais dire "N’ayez pas peur". Il semble, en effet, qu’un point ait été oublié dans le cadre de cette loi. Un certain nombre de dispositions visent spécifiquement les services de la société de l’information (les deux premiers articles cités en sont un parfait exemple, mais il y a également le fameux amendement "Vivendi" sur les logiciels d’échanges de fichiers). Or, depuis 1998, une directive impose que les normes visant spécifiquement les services de la société de l’information soient notifiées au préalable aux services de la Commission européenne (voir à ce titre B. Tabaka, "La notification des textes encadrant la société de l’information et le casse-tête du droit parlementaire français", Legipresse n° 215, octobre 2004 - disponible sur le site de Legipresse pour 7 € pièce). Quelle sanction à défaut du respect de cette formalité ? L’inopposabilité du texte incriminé aux citoyens !
Donc, finalement... pour certaines dispositions, on est face à une potentielle inapplicabilité. Ca pourrait donner des arguments supplémentaires pour tous se retrouver devant le Parlement pour un nouveau round.