Chine : charte éthique ou nouvelle censure ?
Cette semaine, les hébergeurs de blogs en Chine, parmi lesquels Microsoft ou encore Yahoo !, ont été convoqués par les autorités du pays afin de signer une charte de bonne conduite. S’agit-il d’une démarche éthique ou d’une nouvelle démonstration de la censure chinoise ?
Aujourd’hui, j’ai commencé la lecture du livre de Jean Staune Notre
existence a-t-elle un sens ?, éditions Presses de la Renaissance. Au
bout du quatrième chapitre, j’ai fait une pause et me suis mis à rechercher une
information sur Internet concernant le fameux paradoxe Einstein-Podlosky-Rosen dit
paradoxe EPR (voir l’article
sur Wikipédia). De fil en aiguille, j’ai navigué au gré des informations
comme souvent et beaucoup d’internautes. Ainsi de la page de Wikipédia consacré
à ce paradoxe, j’ai poussé vers la description
de l’expérience d’Alain Aspect. J’ai voulu alors en savoir plus sur ce
physicien français qui mit un terme à l’opposition d’Albert Einstein et de
Niels Bohr. Rien que ça ! Je dois reconnaître que j’ignorais qui il fut
avant d’en découvrir un peu plus sur le site du CNRS. De ce
point de presse, j’ai certes retenu qu’il s’agissait d’un physicien de talent
au point d’avoir reçu la médaille d’or du
CNRS - décernée tous les
ans, depuis sa création en 1954, et récompensant « une personnalité
scientifique qui a contribué de manière exceptionnelle au dynamisme et au
rayonnement de la recherche » - mais j’ai surtout
voulu en savoir plus, poussé par ma curiosité, sur le développement de processeur
quantique dont j’avais déjà ouï dire sous l’expression « ordinateur
quantique » mais sans y prêter réellement attention. Parmi les nombreux
liens proposés par Google, j’ai « naturellement » cliqué sur le
premier lien proposé me dirigeant sur le site de Génération Nouvelles
Technologies (GNT) et un article rédigé par Ange-Gabriel [ça ne s’invente pas !] le 18 janvier 2006. Après avoir lu l’article,
je me suis dit que c’était intéressant mais que je commençais sérieusement à m’éloigner
du sujet initial, et la question qui me taraudait depuis le début de ma
recherche : pourquoi Jean Staune, alors qu’il consacre un chapitre de son
livre au paradoxe EPR, ne parle aucunement d’Alain Aspect pourtant à l’origine
de sa résolution ? Et puis avant de revenir en arrière dans le fil de mes
recherches, j’ai cliqué sur la zone d’accueil
de GNT. Curiosité ou flânerie... ? Certainement les deux. Mais l’essentiel
est ailleurs...
J’ai alors compris pourquoi je surfais de page en
page depuis un bon moment sans vouloir m’arrêter. J’étais en attente de l’information
qui donnerait du sens à tout cela. Et là, je l’ai trouvée en première page :
« Chine :
une charte pour les hébergeurs de blogs ». Plusieurs raisons, certainement,
m’ont poussé à cliquer sur ce lien. Je vous citerai celles qui me semblent les
plus pertinentes pour illustrer mon propos. Premièrement, en tant que bloggeur moi-même,
mon œil a vite repéré ce mot « blog » comme faisant parti de mes centres
d’intérêts. Et puis, ce mot associé à deux autres « charte » et « Chine »
a éveillé mon attention au point de cliquer sur le lien en question. Et l’information
est tombée :
« Cette
semaine, les hébergeurs de blogs en Chine, parmi lesquels nous retrouvons
Microsoft ou encore Yahoo !, ont été convoqués par les autorités afin de signer
une charte de bonne conduite. »
Je suis alors parti vérifier l’information
ailleurs, et j’ai eu confirmation. Cette charte que les autorités chinoises
proposent aux bloggeurs de leur pays n’a rien
à voir avec une charte éthique au sens où l’on pourrait le croire. Quoique
dans la dialectique du Parti communiste chinois et des dirigeants, il doive
bien s’agir d’éthique lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts de la Chine. Et
c’est là toute la subtilité chinoise. Car comment les pays occidentaux pourraient
reprocher à la Chine de « défendre ses intérêts » alors qu’ils font
de même - toujours selon l’interprétation chinoise - en rejetant pour défaut de
qualité des millions de jouets fabriqués sur son territoire ? Vous me
direz que nous ne nous plaçons pas sur le même niveau dans les deux cas. Dans
le premier, il s’agit d’une atteinte pure et simple à un droit fondamental - la
liberté d’expression - tandis que dans l’autre il s’agit de la sécurité de
millions d’enfants en raison de l’édiction de normes de sécurité. Et c’est bien
là la force de la tactique des autorités chinoises. Elles ont bien compris que
les pays occidentaux, avides de produits bon marché, placent néanmoins
au-dessus de toute valeur la sécurité physique et sanitaire des consommateurs,
surtout quand ceux-ci sont des enfants. Il faut dire que « ce branle-bas de combat pour assurer la sécurité
des consommateurs est presque anecdotique, vu d’Afrique ». (En ce sens,
voir article sur le site de AllAfrica.com.) Il
est à craindre, en effet, que rien ne puisse faire renoncer les pays occidentaux
à ce que représente la Chine en terme de développement économique.
Ainsi, lorsque l’on apprend que la
chancelière allemande Angela Merkel a quitté l’Allemagne ce dimanche matin pour
une tournée en Asie qui l’emmènera pour la deuxième fois en Chine et que selon
des sources gouvernementales allemandes, « les thèmes difficiles ne seront
pas mis entre parenthèses » incluant la liberté d’expression sur Internet
et dans la presse, on se met à rêver d’un discours fort de la chancelière. Il
semble bien que dans les longs entretiens prévus entre Mme Merkel et les
dirigeants chinois - notamment le président Hu Jintao et le Premier Ministre
Wen Jiabao - des cas particuliers de violations des droits de l’Homme
pourraient être évoqués (source : 24
heures.ch). Mais ne soyons pas trop utopistes, les intérêts économiques
primeront. Il suffit de lire le commentaire que le journal La Tribune fait
suite à cette annonce pour comprendre : « Les deux portails Internet
américains [Yahoo et MSN, ndlr] et
d’autres hébergeurs de blogs ont signé cette semaine un pacte d’autodiscipline
pour "protéger les intérêts de l’Etat chinois", par lequel ils sont
"encouragés" à identifier les blogueurs, permettant aux autorités d’identifier
les cyberdissidents... Deuxième marché pour Internet derrière les Etats-Unis, la
Chine présente de fortes opportunités de croissance. D’ici à 2010, les recherches sur Internet
pourraient générer 587 millions de dollars de recettes, selon le cabinet
d’étude Analysys International, basé à Pékin. Des perspectives qui justifient
quelques sacrifices. Pour pouvoir lancer sa version chinoise en janvier
2006, Google avait dû se livrer à une autocensure et établir une liste noire
des sites "interdits" par le gouvernement, Yahoo a pour sa part permis
l’arrestation d’un dissident condamné à 10 ans de prison. » (Source : latribune.fr)
Il ne faut pourtant pas oublier que le 13 juillet
2001, le Comité olympique international (CIO) attribuait l’organisation des
Jeux olympiques d’été de 2008 à Pékin. Et que pour obtenir l’organisation des JO, les autorités
chinoises avaient promis au CIO et à la communauté internationale des
améliorations concrètes dans le domaine des droits de l’Homme. Or, un an avant
la cérémonie d’ouverture, l’organisation rappelle que les médias et Internet
sont toujours vus par le gouvernement chinois comme l’un des secteurs
stratégiques à ne pas abandonner aux "forces hostiles" dénoncées par
le président Hu Jintao. Le département de la Publicité, celui de la Sécurité
publique et la cyberpolice, bastions des conservateurs, sont chargés de faire
scrupuleusement appliquer la censure.
C’est
pourquoi, il me semble juste de rappeler ici les neuf
demandes de Reporters sans frontières avant les Jeux olympiques de Pékin :
« 1.
Libération de tous les journalistes et les internautes emprisonnés en Chine
pour avoir exercé leur droit à l’information.
2.
Abolition définitive des articles restrictifs du Guide des correspondants
étrangers qui limitent la liberté de mouvement et de travail des médias.
3.
Dissolution du département de la Publicité (ex-département de la Propagande)
qui contrôle quotidiennement le contenu de la presse chinoise.
4.
Fin du brouillage des radios internationales.
5.
Fin du blocage de milliers de sites Internet d’information hébergés à
l’étranger.
6.
Suspension des "11 commandements du Net" qui instituent la censure et
encouragent l’autocensure des informations diffusées sur le web.
7.
Abolition des listes de journalistes et militants des droits de l’Homme
interdits de séjour en Chine.
8.
Fin de l’interdiction imposée aux médias chinois d’utiliser sans autorisation
officielle les images et les informations des agences de presse
internationales.
9.
Légalisation des associations indépendantes de journalistes et des
organisations de défense des droits de l’Homme. » (Source :
Reporters sans frontières)
Et de rappeler que He Weihua dont le blog contiendrait
ainsi, selon RSF [étant incapable de lire
le chinois, je suis bien obligé de croire RSF], des enquêtes approfondies
sur la corruption en Chine, a été interné en hôpital psychiatrique. (Voir le site de He Weihua)
En août 2008, je regarderai certainement les JO à la télévision comme la plupart d’entre vous. Peut-être aurez-vous la chance d’être sur place ? Alors combien se souviendront le sens de ces quelques sacrifices ? Entre temps, les sociétés américaines et européennes auront continué à négocier moult contrats dont les bénéfices iront à qui vous pensez ...
D’ici là, Bernard Kouchner sera allé en Chine, à l’automne 2007 vient-il d’annoncer après une rencontre avec le secrétaire général de Reporters sans frontières. On aura alors l’occasion de vérifier et comprendre le sens des expressions "avoir l’intention", "il est possible qu’il intervienne", "le ministre a assuré le secrétaire général de notre soutien continu à l’action de Reporters sans frontières." N’est-ce là que de belles "intentions" destinées à rassurer une opinion qui craint que l’on ne soit pas assez "ferme" ou le ministre français demandera-t-il des gages ? Rappelons que Ségolène Royal n’avait pas exclu pendant la campagne présidentielle l’hypothèse de la non participation de la France aux Jeux olympiques de 2008. Le nouveau président de la République, Nicolas Sarkozy, aura-t-il autant de cran ? Tout dépend s’il a le sens du sacrifice...