vendredi 20 février 2009 - par Le Grand Barnum

Didier Beauvais et l’affaire d’Outreau : indignations fabriquées et manipulations médiatiques

Il y a de cela quelques années, une jeune fille s’était plainte à la presse et à tous les médias possibles. Elle avait été agressée dans le RER par une bande de brutes qui lui avaient, entre autres joyeusetés, tracé au couteau une croix gammée sur le ventre. Jacques Chirac, notre président de l’époque, s’était indigné. La classe politique avait hurlé à la mort. La presse s’était soulevée. La population avait trépigné.

Mais ils avaient tous oublié une chose : la vérification des faits. Et comme de juste, tout était faux.

Alors… on avait glissé l’affaire sous le tapis, et comme les Français ont la mémoire courte, nul n’était mort du ridicule insondable dans lequel il s’était fourré.

Le 6 février dernier, la Voix du Nord dénonçait les propos indignes, outrageants, immondes, affreux, du méchant juge Didier Beauvais (le juge ne pouvant être que “petit”, ou “méchant”). Car ce sinistre individu avait prétendumment déclaré lors d’une séance du conseil de discipline chargé de juger le cas Burgaud que :

Nous connaissions ces soirées habituelles, à Boulogne ou à Avesnes-sur-Helpe. Des soirées-bières où on invite les voisins, on boit beaucoup, on joue aux cartes ou au jeu de l’oie, et où le gagnant peut choisir une petite fille, avec l’accord des parents.

Les propos étaient rapportés par Éric Dussart, envoyé spécial du journal.

Comme plus personne ne parle correctement le Français, l’adjectif “habituel” a été compris non comme désignant un “événement récurrent dans un même cercle criminel”, mais “pratiqué par tout le monde”. Quand un pays élit un Président ennemi des lettres, on ne peut évidemment pas avoir des exigences trop élevées…

Et aussitôt, comme de juste, l’indignation éclata. Jack Lang dénonça, avec le courage échevelé qu’on lui connaît,

des paroles indignes et blessantes (…) à l’encontre des habitants du Nord et du Pas-de-Calais.

Et appela, avec le même courage, aux sempiternelles sanctions qui doivent évidemment frapper tous ces juges déviants.

Puis, ce fut le tour de Mauroy, l’appel à la sanction en moins :

C’est inacceptable de s’exprimer de cette façon-là, surtout venant de la part d’un magistrat” et de porter “atteinte comme ça au Nord-Pas-de-Calais qui ne le mérite pas.

Puis celui de Françoise Hostalier, député UMP du Nord, selon le même schéma, dans une missive directement adressée à Nicolas Sarkozy. D’abord, les pleurs, les cris, la douleur, l’indignation :

elle se déclare “blessée, humiliée, révoltée. Aussi, je vous demande d’exiger de monsieur Didier Beauvais des excuses publiques par l’intermédiaire de la presse locale et nationale”.

Puis l’inévitable demande de sanction pour laver l’affront :

Je souhaite également que des mesures disciplinaires soient prises à son égard car à travers de tels propos, non seulement il insulte les habitants de toute une région, mais il discrédite le corps des magistrats et l’ensemble des professions de la Justice.

Bref, une belle unanimité pour demander la tête de ce juge immonde. Vite, ressortons l’affaire de la banderole du PSG ! Vite, faisons l’amalgame entre des supporters avinés et un conseiller à la Cour de cassation ! C’est pareil, tous des salauds qui disent du mal des ch’tis qu’on a vus dans le film !

Remarquons néanmoins que cette unanimité, bizarrement, se fait plus à gauche qu’à droite… Quelle aubaine ! Alors même que l’audition du juge Burgaud, orchestrée par le Ministère de la justice, est en train de voler en éclat, et que l’on commence à comprendre que le problème, à Outreau, était peut-être moins le juge lui-même que la procédure pénale et la détention provisoire, c’est un beau soulagement de remplacer un juge Burgaud difficile à plomber par un juge Beauvais facile à brûler en place de Grève… Alors si messieurs les socialistes, avides de soigner leur image d’amis du Nord et, surtout, de son énorme fédération PS, sont prêts à faire eux-mêmes diversion, pourquoi les contrarier… D’autant qu’il vaut mieux leur laisser prendre les risques, ce genre d’affaire et de lynchage médiatique risquant toujours de revenir proprement dans les dents de ceux qui les ont lancés.

Et c’est bien ce qui risque d’arriver.

Car Didier Beauvais nie formellement avoir tenu ces propos. Et déclare, dans un communiqué envoyé à l’AFP le 9 février, mais dont la version complète est introuvable sur le web (bizarrement), qu’ils ont été déformés :

Je ne peux que m’élever contre la reproduction inexacte des propos que j’ai tenus et qui, livrés de manière erronée, ont pu effectivement indigner les habitants du Nord-Pas-de-Calais, dont je fais d’ailleurs moi-même partie, et qu’à aucun moment je n’ai insultés.

Parole de magistrat contre parole de journal. Et quel journal ! Celui qui a balancé en pâture à la population le nom des prévenus d’Outreau et les a traînés dans la boue avant de se rétracter et d’en faire des martyrs. Celui qui a fait ses choux gras de l’affaire d’Outreau à coup de pathos et de sordide. Celui qui a transformé le juge Burgaud en chevalier blanc du Nord, avant de le vomir et de le piétiner. Du solide, donc. Du 100% vérifié, 200% assuré. Du professionnel en somme.

Reprenons l’article qui a lancé la polémique. Il s’interroge finement sur les déclarations du juge Beauvais et met en doute leur exactitude :

Restons calmes. Et, plutôt que de verser dans le pathos habituel sur l’honneur bafoué des valeureux et courageux gens du Nord et patati et patata, soyons concrets. Monsieur Didier Beauvais, haut magistrat donc, cite des lieux et des faits précis : Boulogne, Avesnes, des jeux de cartes, de l’oie, des petites filles livrées par leurs propres parents.

Tout cela pour conclure qu’il s’agit d’un pur fantasme et d’une pure calomnie. Pas de chance. Les déclarations sur les soirées bière et jeu de l’oie n’étaient pas des paroles en l’air, mais des références précises à des affaires criminelles jugées, et où les prévenus avaient été condamnés :

A titre d’exemples, j’ai cité deux affaires, aujourd’hui définitivement jugées, dont l’une se situait dans le ressort du tribunal de grande instance d’Avesnes-sur-Helpe (jugement du 23 juin 2004, confirmé en appel le 9 février 2005, ndlr [ie Le Figaro]) et qui faisait apparaître que des enfants avaient été agressés sexuellement par plusieurs adultes au cours de jeux initiés par ces derniers, les scènes ayant été filmées.

De là à dire que la Voix du Nord a déformé les propos de Didier Beauvais… De là à dire que Lang et consorts ont chevauché le vieux bourricot de l’indignation un peu trop tôt…

Enfin, comprenons nos politiques et la presse qui se couche devant eux par un simple réflexe de servilité innée : il faut, pour vider l’abcès d’Outreau, offrir à la population la peau d’un juge. Et si ce n’est pas celle de Burgaud, ce sera celle d’un autre…

Mon Dieu, comme la concurrence va être rude pour le Prix Albert Londres cette année…

À lire sur la toile : l’article, consacré au même sujet, de Pensées d’Outre-politique.



12 réactions


  • pierrarnard 20 février 2009 09:05

    Habituel : qui est normal et trés fréquent.


  • Vilain petit canard Vilain petit canard 20 février 2009 09:20

    C’est le mot habituel qui pose problème, et a donné matière à protestation. L’allusion explicite aux deux affaires aurait suffi à dégonfler le buzz. Et effectivement, le journal cité n’est pas au-dessus de tout soupçon. Mais cette affaire est-elle montée pour bigorner un juge, rien de moins sûr. La bêtise et les préjugés de classe suffisent à l’expliquer. Et il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir de la connerie, ni d’ailleurs son étendue.


    • K K 20 février 2009 13:16

      tout a fait d’accord avec vous. On oublie tres vite la presomtion d’innocence.

      La presse est en partie responsable.


    • Fergus fergus 20 février 2009 13:08

      Bien écrit, Schmoll, ce bon Raoul de Godewarsvaelde (le chantre, entre autres, de la carette à kiens) aurait apprécié.

      Cela dit, je crois que, dans cette affaire, Beauvais s’est fait piéger par des connards de journalistes en mal de sensation.


  • foufouille foufouille 20 février 2009 13:53

    vrai ou faux, ces gens la refusent de s’excuser
    meme filme, avec des temoins.......
    burgaud est pas le seul coupable mais ca l’empeche pas de dire qu’il est irreprochable (parfait quoi)


  • MAIKEULKEUL 20 février 2009 15:36

    @l’auteur

    Je vous souhaite d’avoir à faire un jour avec des allumés du style de ceux que vous voulez défendre bien maladroitement : en clair vous faites, sous l’anonymat, une défense de classe

    Demandez aux adultes qui ont été incarcérés, et aux enfants traumatisés, ce qu’ils pensent de ce juge si sûr de lui, bien qu’incapable !!!

    Et lorsqu’on a une promotion sanction de conseiller à la Cour de Cassation, on tourne sa langue 6 fois dans la bouche avant de sortir des aneries ; deuxième cas d’incompétence notoire.

    Qui se ressemble s’assemble dit-on

    Vous en tirerez les conséquences t’iot biloute !








  • Alexandre 20 février 2009 21:37

     C’est visiblement l’article d’un juge qui défend sa caste.
    Si Didier Beauvais n’était pas un juge, les propos rapportés par la Voix du Nord ( qu’il les aient prononcés reéllement ou pas) l’auraient amené à devoir s’expliquer devant un juge.

     Dans l’affaire d’Outreau vouloir exonérer le juge Burgeaud de sa responsabilité sous prétexte que c’est la procédure pénale qu’il faut incriminer revient à considérer qu’un policier qui a fait un usage abusif de son arme est inattaquable parce que tous les policiers en possèdent une.

     S’il est exact que Burgaud n’est pas le seul juge d’instruction à abuser de ses pouvoirs, cela n’enlève rien à sa responsabilté dans une affaire où son dossier d’instruction s’est écroulé devant ses invraisemblances et ses fautes de procédure lors du procès d’assises en appel devant un tribunal qui ne ressortait pas de sa juridiction ( et où le corporatisme et les relations entre juges ont donc moins joué).
    Il ne pouvait pas ne pas se rendre compte qu’il montait un dossier à charge en écartant tous les éléments et les actes de procédure qui pouvaient affaiblir un dossier sordide qui allait lui apporter la gloire médiatique et une promotion rapide. Si ce n’est pas lui qui a décidé directement de la détention provisoire des accusés, c’est à partir de son dossier trafiqué qu’ils l’ont été.
     La liberté et la vie des mis en examen avait peu de prix en face de sa carrière et de sa gloriole espérées.


  • hgo04 hgo04 21 février 2009 08:09

    J’aime votre article et votre façon d’écrire... je serai plus attentif à vos nouvelles analyses..


  • chmoll chmoll 21 février 2009 08:29

    beu alors agoravox,supprimé l’post du ch’tis ??

    mi kien i é in rache là


  • ogier 21 février 2009 15:57

    Bonjour , dire que le journaliste de la voix du nord s’est fourvoyé , au vu du démenti de monsieur Beauvais est peut être un peu rapide . Ainsi ,sur son site www.pressejudiciaire.fr/2.html l’association des journalistes de la presse judiciaire déclare :
    "Les journalistes de l’Association de la presse judiciaire qui ont assisté à la comparution de Fabrice Burgaud devant le Conseil supérieur de la magistrature, affirment avoir entendu, de la bouche de Didier Beauvais, et noté, exactement les mêmes mots que ceux qu’Eric Dussart a retranscrits dans "La voix du Nord".
    Ils ont parfaitement saisi et le sens et le contexte dans lequel ils ont été tenus, contexte d’une manière générale propice au révisionnisme judiciaire. L’APJ exprime son plein soutien à Eric Dussart, journaliste scrupuleux et expérimenté, et dénonce le faux procès qui lui est intenté. "


     De même , le compte rendu de l’inspection générale des services judiciaires fait état de propos de Monsieur Beauvais :
    L’audition s’est déroulée entre le 19 et le 24 janvier 2006.
    « M. Beauvais indique qu’il a commencé sa carrière à Boulogne et qu’il connaît bien la région. Il l’a quittée pour y revenir 20 ans plus tard pour prendre ses fonctions de président de la chambre de l’instruction. Il a alors constaté une dégradation du tissu social et un nombre d’affaires de moeurs nombreuses et très graves, souvent sordides. Il cite ainsi l’exemple de deux affaires définitivement jugées, où, au cours de "soirées bière", étaient pratiqués des "jeux" (parties de cartes) dont les enfants, généralement petits, constituaient l’enjeu. »
    « Lorsque l’affaire d’Outreau a été portée devant la chambre de l’instruction, celle-ci avait déjà connu quatre ou cinq affaires mettant en cause des personnes extérieures au groupe familial incestueux et ayant donné lieu à des condamnations. Les membres de la chambre n’ont donc pas été étonnés outre mesure. »


     Le plus surprenant est que l’exemple cité par Monsieur Beauvais (affaire deRousies) , traité au tribunal correctionnel d’avesnes, qui a entrainé des peines de 3 à 9 ans de prisons pour huit personnes est postérieure à l’affaire d’Outreau , puisque les individus ont été interpellés en Juillet 2002 , époque où le juge Burgaud avait presque terminé son instruction . On peut d’ailleurs s’interroger sur le fait de savoir si les déclarations des enfants (placés depuis un an) ne sont pas la conséquence du battage médiatique effectué sur les chaines nationales après le meurtre imaginaire de la fillette , en février 2002 , seul moment où l’affaire d’Outreau a réellement connu un emballement médiatique ...(Afin que l’on ne se méprenne pas sur le sens de mon propos , je ne remet pas en cause la réalité des faits , mais le fait qu’ils ont pu être révélé suite à cette publicité médiatique)

    On voit donc bien que le propos de Monsieur Beauvais était d’accréditer l’idée que l’affaire d’Outreau était d’autant plus plausible que plusieurs affaires de ce type avaient eu lieu avant elle , ce qui ne parait pas être la réalité du terrain . 


  • chmoll chmoll 22 février 2009 08:24

    min gros beauvais magistrat,

    un ceup d’poing d’un t’gueule magistral té l’oros,aminne te dins min coin,té vas vire é t’gueule du qu’eulle vas voler


  • Locuste 3 mars 2009 09:10

    Au feutre, les croix gammées, pas au couteau ! Vous autres des grands médias aux ordres des citoyens, il faut toujours que vous fassiez du sensationnel pour vendre des pixels.


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