mercredi 25 septembre 2019 - par Sylvain Rakotoarison

Franck Riester : France Médias ne sera absolument pas l’ORTF

« Le directeur général de ces sociétés-là [les actuelles sociétés de l’audiovisuel public] aura la responsabilité juridique de la direction de la publication. La partie éditoriale, à savoir les programmes, ce qui est mis à l’antenne ou pas, ce qui est mis sur Internet ou pas, tout cela sera du ressort des entreprises éditrices de programmes. » (Franck Riester, le 25 septembre 2019 sur France Info).



L’annonce était prévue il y a une dizaine de jours. Le projet de réforme de l’audiovisuel public a été présenté par le Ministre de la Culture Franck Riester ce mercredi 25 septembre 2019 dans la matinale de France Info. Les grandes lignes avaient été données dans une interview au "Figaro" la veille, où le ministre a résumé l’objectif général de la réforme : « Ce projet (…) vise à réaffirmer notre souveraineté culturelle. ».

On se souvient qu’au début de son quinquennat, le 4 décembre 2017, le Président Emmanuel Macron avait semé le trouble parmi les personnels de l’audiovisuel public. En effet, selon "L’Express" et "Télérama", il aurait tiré à boulets rouges sur les entreprises publiques au cours d’une réunion à l’Élysée avec les députés de la majorité membres de commission des affaires culturelles et de l’éducation, en disant : « L’audiovisuel public, c’est une honte pour nos concitoyens, c’est une honte en termes de gouvernance, c’est une honte en ce que j’ai pu voir ces dernières semaines de l’attitude des dirigeants. », évoquant, surtout pour France Télévisions, « la mauvaise gestion, le gaspillage, la médiocrité des programmes et des contenus, les relations malsaines entre l’audiovisuel et ses partenaires extérieurs (animateurs, producteurs, etc.) » . Et pourtant, jamais l’audiovisuel public ne s’est aussi bien porté, notamment Radio France avec sa station phare France Inter qui fait désormais jeu égal avec RTL (parfois la dépassant dans les études de Médiamétrie) et ses contenus numériques sont les premiers en terme de téléchargements de podcasts.

Comme après chaque nouvelle élection présidentielle depuis quinze ans, une réforme de l’audiovisuel public a été confirmée le 3 janvier 2018 par Emmanuel Macron. Mais ce pas de charge avec des critiques parfois largement injustifiées (soulignant une certaine méconnaissance du sujet), c’était de la gouvernance d’avant-gilets jaunes. L’automne dernier est passé par là et la réforme présentée ce mercredi matin est donc beaucoup plus modeste, beaucoup plus soft.

Il s’agit de poursuivre la coopération entre les entreprises de l’audiovisuel public. Depuis quelque temps, France Télévisions et Radio France ont initié plusieurs projets communs, comme la création de la chaîne d’information continue franceinfo (différente en partie de la radio France Info), ou la mutualisation du réseau local de France 3 avec le réseau France Bleu.

Le gouvernement souhaite renforcer structurellement cette coopération. Il va donc créer, pour le début de l’année 2021, une société holding nommée France Médias. Celle-ci regroupera tous les acteurs de l’audiovisuel public, à savoir France Télévisions (la télévision publique), Radio France (la radio publique et les orchestres), France Médias Monde (l’audiovisuel extérieur, regroupant notamment Radio France International et France 24), ainsi que l’INA (Institut national de l’audiovisuel, chargé d’archiver toutes les émissions publiques, je recommande à ce sujet l’excellente émission "Rembob’Ina" de Patrick Cohen sur LCP, qui rediffuse certaines anciennes émissions des années 1970 ou 1980 que certains téléspectateurs déjà anciens avaient peut-être déjà vues à l’époque).

France Télévisions, créée le 1er août 2000, emploie près de 10 000 personnes (9 842 en 2017) pour un budget d’environ 3 milliards d’euros (2017). Radio France, créée le 1er janvier 1975, a près de 5 000 employés (4 920 en 2015) pour un budget d’environ 650 millions d’euros (2016). France Médias Monde, créé le 4 avril 2008 (son appellation date du 27 juin 2013), emploie environ 1 700 collaborateurs (1 714 en 2013) pour un budget d’environ 250 millions d’euros (2014). L’INA, créé le 6 janvier 1975, rassemble près de 1 000 employés (952 en 2017) pour un budget d’environ 40 millions d’euros (2017).

Les chaînes de télévision Arte et TV5 ne participeront pas à cette holding à cause de participations étrangères à leur capital, qui rendraient l’opération juridique très compliquée. En revanche, les coopérations avec ces chaînes restent encouragées et sont même renforcées.

Il faut bien comprendre que le choix de créer une société holding signifie surtout le choix, à mon avis raisonnable, de ne pas fusionner toutes les entreprises citées dans une seule et même entreprise. Cela signifie que, dans tous les cas, les sociétés actuelles garderont leur autonomie éditoriale.

C’est ce qu’a confirmé Franck Riester sur France info ce mercredi 25 septembre 2019 : « Il y aura une société mère, une société holding, qui détiendra (…) 100% des actions des quatre sociétés qui seront membres du groupe (…) et ce sont ces sociétés-là qui garderont la ligne éditoriale, qui garderont la décision sur la programmation, et les directeurs ou directrices générales de ces entreprises seront les directeurs de publication. (…) La société holding, on veut que ce soit une société légère en charge de la stratégie, en charge de l’organisation, de la cohérence des projets et des organisations, peut-être de trouver des dispositions pour trouver des effets levier en termes d’optimisation de tous ce que sont les fonctions support, mais le contenu, les décisions de contenus, les décisions sur les informations, etc, resteront bien évidemment dans les entreprises éditrices de programmes. ».





Donc, pour le ministre, la création de France Médias ne signifiera « absolument » pas le retour à l’ORTF. Au contraire, en créant une société holding, le gouvernement souhaite renforcer l’indépendance de l’audiovisuel public par rapport au pouvoir politique. En effet, actuellement, chacune de ces sociétés sont détenues par un actionnaire unique, l’État, et c’est en fait à la fois Bercy (avec l’agence des participations de l’État) et le ministère de tutelle, le Ministère de la Culture (ou le Quai d’Orsay pour France Médias Monde), qui sont les référents actuels.



Avec France Médias, au contraire, le gouvernement sera minoritaire dans le capital de la holding : en effet, selon le ministre, « l’État aura trois représentants sur douze administrateurs. C’est la meilleure façon d’assurer l’indépendance de l’audiovisuel public. ». Les autres membres seront en principe nommés par le CSA et les parlementaires.

Cette indépendance est aussi assurée par le nouveau mode de nomination des dirigeants des entreprises publiques. Actuellement, c’est le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) qui a la charge de procéder à ces nominations. Mais pour le gouvernement, cette attribution fait du CSA juge et partie, puisqu’il est chargé aussi de surveiller que la réglementation soit bien appliquée, en tant que structure de régulation. Auparavant, la réforme de Nicolas Sarkozy qui avait refait nommer ces dirigeants par l’Exécutif, ce qui était moins hypocrite selon le Président de la République de l’époque, laissait toute nomination dans le doute de collusion qui n’était pas satisfaisante non plus pour assurer l’indépendance.

Désormais, ces dirigeants seront nommés directement par le conseil d’administration de leurs sociétés filles. La composition des conseils d’administration aura donc une grande importance.

Franck Riester a évoqué aussi l’intérêt d’une holding pour superviser une stratégie de long terme : « On peut constater qu’avec la révolution numérique, il y a un changement des usages de nos compatriotes. Ils regardent de plus en plus la radio, ils écoutent de plus en plus la télé, et ce, quand ils veulent, sur n’importe quel support, toujours sur le poste de télévision, toujours sur le poste de radio, mais aussi sur leur smartphone. Ces usages changent. Il est très important d’avoir une stratégie globale pour toucher tous ces publics dans leur diversité en leur proposant des contenus audiovisuels spécifiques en fonction des supports. Pour cela, il faut une coordination globale. ».

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Un exemple assez simple à comprendre : chaque interview des invités de la matinée dans les stations de radio peut être reprise si l’invité dit une chose importante (exemple extrême, la démission de Nicolas Hulot, pas même annoncée au Président de la République mais dévoilée le 28 août 2018 sur France Inter). Or, n’avoir qu’une bande son n’est pas très engageant pour les rediffusions. Ainsi, ces interviews sont filmées en caméra fixe, et peuvent être reprises dans un journal télévisé et surtout, sur le site Internet de la radio. Le problème, c’est que Radio France n’a pas beaucoup de compétence pour l’image, c’est plus le rôle de France Télévisions.

Autre exemple inversé : la création de la chaîne d’information continue a réussi surtout grâce à la compétence de la radio France Info capable de tenir des flashs d’information très fréquents, évidemment évolutifs en fonction de l’évolution de l’actualité, alors que la chaîne de télévision France 2 était beaucoup moins souple dans ses journaux télévisés.

Autre sujet qui peut inquiéter, le financement de l’audiovisuel public, actuellement acquis par la redevance de l’audiovisuel public (réservé aux seuls propriétaires de poste de télévision, mais qui finance aussi la radio publique). Or, cette redevance, payée en même temps que la taxe d’habitation, disparaîtra avec la suppression définitive de la taxe d’habitation.

Un autre moyen de financement est donc à l’étude. Il reste préférable que ce soit un moyen propre, c’est-à-dire une ressource directement affectée à l’audiovisuel public et pas simplement une subvention annuelle de l’État provenant du budget général qui pourrait être remise en cause d’une année à l’autre.

Au contraire, avec les contrats d’objectifs et de moyens (COM), l’État a posé comme principe depuis une dizaine d’années une stabilité budgétaire avec une vision de quatre à cinq ans. Rien n’est encore défini à ce sujet. Ce nouveau financement doit intervenir à partir du 1er janvier 2023. Les sociétés filles restent donc avec leur structure budgétaire jusqu’à cette date. Ensuite, ce sera France Médias qui répartira le financement entre les différentes filiales, avec le nouveau financement à définir.

L’intérêt d’une telle réforme, au-delà de celui d’amplifier le mouvement de coopération entre les sociétés publiques, est aussi celui de la puissance pour que le service public puisse peser dans le monde numérique, et celui d’une grande lisibilité du service public auprès des citoyens (qui le financent comme contribuables).

Il y a toutefois des inquiétudes suscitées par ce regroupement purement structurel (et pas éditorial).

Par exemple, l’une des grandes différences entre Radio France, spécialisée en son et en musique, et France Télévisions, spécialisée en image, c’est que Radio France est productrice de toutes ses émissions, tandis que France Télévisions ne produit pas ses émissions mais fait appel à des producteurs extérieurs (ce qui a pu engendrer quelques abus avec des animateurs qui ont créé leur propre société de production). Pour Radio France, maîtriser sa production a une double fonction stratégique : son indépendance (ce qui fait que ses animateurs et chroniqueurs sont moins bien rémunérés mais qui cela leur donne une bonne visibilité), et sa haute qualité (il suffit d’écouter une station du réseau de Radio France et une station privée pour s’en rendre compte, notamment lors de diffusion d’un concert).


L’inquiétude serait alors que l’usage d’une externalisation de la production se généralise et se fasse dans le futur également pour les émissions de radio, ce qui non seulement ôterait l’avantage compétitif en qualité, mais aussi réduirait les marges de manœuvres financières (car cela coûterait a priori plus cher).

Parmi les autres mesures de la réforme de l’audiovisuel (annoncées dès le 3 septembre 2019), qui concernent les chaînes de télévision privées : l’interdiction de publicités ciblées à la télévision, la possibilité de faire une troisième coupure de télévision pour les films ou téléfilms qui durent de plus de 90 minutes, la possibilité de diffuser des films tous les jours de la semaine, et l’obligation pour les plateformes de streaming en ligne (comme Nextflix et Amazon Prime Vidéo) de financer la production française à hauteur d’au moins 16% de leur chiffre d’affaires réalisé en France.

L’agenda de la réforme est le suivant : après examen au CSA et au Conseil d’État, le projet ne sera pas voté au Parlement avant l’été 2020. Cela signifie que le successeur de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions dont le mandat s’achèvera en août 2020, sera désigné selon la procédure actuelle par le CSA au printemps prochain, pour un mandat de deux ans (ce qui peut favoriser la reconduction de la présidente actuelle). Ce sera seulement à partir de 2022 que les patrons des entreprises publiques seront nommés par leur conseil d’administration respectif, avec avis conforme du CSA. Quant au président de la holding France Médias, futur grand manitou de l’audiovisuel public, il sera également nommé par son conseil d’administration, avec avis conforme du CSA et sans veto parlementaire.

Dans l’ensemble, on est loin des "bouleversements" et "chamboulements" annoncés le 4 décembre 2017 à l’Élysée. Mais c’est heureux. Toute entreprise complexe nécessite d’évoluer doucement si l’on veut que ceux qui y contribuent, dirigeants et employés, soient pleinement impliqués dans l’adaptation nécessaire et déjà engagée aux nouvelles mœurs technologiques et sociales. L’application de cette réforme se fera donc au cours du prochain quinquennat, et dépendra évidemment de nouveaux dirigeants de ces entreprises publiques qui seront désignés par la suite.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 septembre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Franck Riester : France Médias ne sera absolument pas l’ORTF.
Sibyle Veil, présidente de Radio France.
L’inexactitude de Nicolas Sarkozy sur l’audiovisuel public.
Publiphobie hésitante chez les députés.

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5 réactions


  • Clocel Clocel 25 septembre 2019 18:07

    Riester... Rien que le nom m’amuse...


    • the clone the clone 26 septembre 2019 08:59

      @CLOJAC
      Le niveau des sinistres de la culture est révélateur de la décadence intellectuelle de notre malheureux pays.
      On peut y rajouter le santé, l’éducation , l’écologie ,l’agriculture etc , en fait tous les ministères , plus on avance dans le temps plus c’est pire , bientôt en recrutera dans les asiles .


  • V_Parlier V_Parlier 25 septembre 2019 21:16

    ORTF ou pas, qu’est-ce qu’on s’en fout ! On a déjà une dizaine de chaînes d’info qui répètent les mêmes choses dans le même ordre (du choix de fait divers (*) à l’événement à portée internationale). Et ceci qu’elles soient publiques ou privées ! Alors quitte à faire des économies sur la redevance, allons-y !

    (*) Et pourtant ils sont nombreux chaque semaine et tout aussi horribles les uns que les autres ! Quel hasard !


  • the clone the clone 26 septembre 2019 08:55


    France Médias ne sera absolument pas l’ORTF

    Non cela risque d’être bien pire ....


  • Guiver Guiver 26 septembre 2019 11:25

    Qui peut croire une seconde que le chantier engagé par le parti politique :

    Qui a été mis au pouvoir grâce aux médias

    Qui se contente d’annonce devant les caméras avec peu d’action concrète et sans être inquiété que se soit révélé dans les quelques semaines/mois qui passent

    — Qui truque leurs réseaux sociaux avec des milliers de faux compte

    Qui ment ouvertement devant les médias (encore une fois, sans être inquiété)

    Qui pond des lois sur les fake news, alors que leurs propres mensonges sont facilement prouvables (sans être inquiété)

    Qui entrave la liberté de la presse en n’accréditant pas des journalistes

    ...puisse faire un bon travail dans le remaniement total de l’audiovisuel public ?


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