mardi 8 janvier 2008 - par Yves-Marie Cann

Internet et présidentielle 2007 : au coeur de l’activisme politique en ligne (1)

Pour conclure - avec quelques jours de retard - l’année 2007 et dans la perspective des prochaines élections municipales, voici un bilan de la netcampagne présidentielle basé sur l’analyse des données reccueillies grâce à l’enquête post-élection présidentielle à laquelle 1522 visiteurs du site www.election-presidentielle.fr avaient répondu à l’issue du scrutin.

Trois articles présenteront successivement les enseignements de cette enquête inédite. Le premier, consacré à l’état des lieux des activités politiques pratiquées sur la toile est publié après cette courte introduction. Le second traitera du profil de l’activisme politique sur Internet. Enfin, nous tenterons d’évaluer quel a pu être l’impact d’Internet sur les choix électoraux.

De par la difficulté à le réguler, Internet offre une incontestable bouffée d’oxygène aux élus et aux formations politiques leur permettant de renouveler leurs pratiques à destination des électeurs. Quant aux citoyens, ils bénéficient désormais d’un accès à moindre coût à de multiples sources d’information. Les opportunités d’expression et de participation au débat public s’avèrent également inédites. Grâce au web, il n’a jamais été aussi aisé de s’informer et d’échanger avec autrui. Autant d’éléments qui nous invitaient dès le printemps 2006 à appréhender Internet comme « un dispositif important de par ses potentialités à structurer non seulement la stratégie électorale des candidats mais aussi et surtout le rapport des citoyens au politique et aux élections ».

Cette étude se propose de dresser un premier bilan de la netcampagne présidentielle. Non du point de vue des candidats et de leurs pratiques mais de celui des internautes ayant investi l’espace numérique qui leur était offert pour la campagne électorale.

A cette occasion, nous tenterons d’arbitrer entre deux visions de l’Internet politique. La première, défendue par de nombreux « techniciens » de l’Internet, l’appréhende comme un outil à même d’ériger les internautes en « cinquième pouvoir ». Ils défendent la perspective d’un nouvel âge d’or démocratique rendu possible par la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication. L’accès facilité aux informations et la possibilité d’établir une communication horizontale entre les individus induiraient un citoyen mieux informé et plus mobilisé. En outre, Internet servirait le pluralisme politique en permettant l’expression d’acteurs peu présents voire exclus des autres médias (presse, radio, télévision).

La seconde « école » insiste davantage sur le risque de reproduire sur la toile la fracture civique mise au jour depuis plusieurs décennies et se manifestant par un intérêt pour les affaires publiques et une participation politique inégalement répartis d’une catégorie de population à une autre. Les tenants de cette approche prudente, s’appuyant sur les enseignements des sciences politiques, s’attachent à rappeler que les activités politiques relèvent fréquemment du fait d’une minorité intéressée par la politique et dotée d’un minimum de compétences. La toile n’échapperait pas à ce phénomène, contrariant ainsi les visions les plus enchantées de l’Internet politique.

On le voit, ce sont deux visions pour le moins opposées que nous proposons de confronter ici aux données accumulées au cours de l’importante séquence électorale qu’a connue la France en 2007 grâce à la réalisation d’une consultation en ligne auprès de 1500 internautes environ.

Pour mener à bien cette recherche, nous avons placé un questionnaire en ligne sur le site www.election-presidentielle.fr. Ce questionnaire, administré à partir d’un logiciel CAWI (Computer Assisted Web Interviews) et accessible aux visiteurs du site dès l’annonce des résultats du second tour et pendant les dix jours suivants, comportait une trentaine de questions pour un temps de réponse d’une dizaine de minutes environ. Pour participer à l’enquête, les visiteurs du site www.election-presidentielle.fr étaient invités à s’inscrire via un formulaire de contact. Une fois leur inscription validée (vérification de l’adresse email), un message électronique comprenant un lien personnalisé vers l’enquête leur était adressé. Par cette technique, une même adresse électronique n’a pu être utilisée qu’une seule fois pour participer à l’enquête, limitant ainsi autant que faire se peut d’éventuelles participations multiples pour un même individu. Cette solution nécessitant une inscription préalable présente toutefois un revers puisqu’elle tend à exclure de notre échantillon les personnes peu familières de l’Internet ou n’ayant pas bien identifié les auteurs de l’enquête. Il est donc probable que des internautes aient renoncé à s’inscrire par crainte d’un usage frauduleux de leur adresse électronique. Au final, 1522 internautes ont participé à notre enquête. Pour analyser leurs réponses, un sous-échantillon de 1450 internautes inscrits sur les listes électorales a été constitué (1).

Etat des lieux des activités politiques pratiquées sur la toile par les participants à la consultation

Les participants à l’enquête manifestent une activité politique en ligne nettement supérieure à celle observée au sein du grand public internaute. Pour chacune des pratiques étudiées, l’écart observé s’avère fréquemment supérieur de plusieurs dizaines de points avec les données collectées par le CEVIPOF en début d’année 2007 (enquête TNS-SOFRES). Toutefois, l’activisme politique des internautes ayant participé à notre enquête post-élection présidentielle n’induit pas un bouleversement significatif de la hiérarchie des pratiques politiques étudiées. La consultation réalisée auprès des visiteurs du site www.election-presidentielle.fr nous a donc permis d’approcher au plus près ceux que nous appellerons ici les activistes politiques en ligne, une population difficile à étudier dans le cadre d’enquêtes classiques réalisées à partir d’échantillons représentatifs de la population internaute française.

Au-delà des scores élevés enregistrés pour la plupart des activités testées, nous avons cherché à classer les pratiques des internautes par catégories. Pour cela, nous avons eu recours à une analyse en composantes principales (ACP) permettant d’identifier les principales dimensions de l’activisme politique sur le web. Sans entrer dans les détails techniques de cet outil statistique de classification des données, l’analyse en composantes principales permet de trouver un nouvel ensemble de variables plus petites que l’ensemble original des variables. Ces nouvelles variables, appelées composantes principales, sont indépendantes les unes des autres. L’application de cette technique aux données collectées permet d’identifier trois catégories (ou familles) d’activités (A, B et C) parmi les quinze pratiques testées dans notre questionnaire.

Le premier groupe d’activités politiques (A) renvoie à l’usage d’Internet comme source d’informations, en particulier sur les partis et/ou candidats ainsi que sur le bien-fondé d’arguments utilisés pendant la campagne. Cette catégorie intègre également la lecture de discussions politiques sur les forums ou les blogs, le visionnage de vidéos en ligne et la consultation de résultats de sondages. Elle regroupe les activités politiques les plus fréquemment pratiquées par les participants à l’enquête.

La transmission de contenus constitue la deuxième catégorie d’activités politiques pratiquées par les participants à l’enquête, que ce soit en faisant suivre des informations à son entourage ou en téléchargeant des contenus audio et/ou vidéo. Ces activités se situent à un niveau intermédiaire en termes de pratique au sein de la population ayant accepté de participer à l’enquête.

Enfin, le troisième groupe concerne davantage l’abonnement aux contenus (newsletters et flux RSS) et la participation au débat politique, par l’écriture de posts ou de commentaires sur des blogs ou des forums, voire en écrivant directement par email à un candidat. Ces activités figurent parmi les moins pratiquées au sein de l’échantillon.

Pour mieux comprendre le recours à ces différentes activités politiques sur la toile, nous avons ensuite cherché à distinguer plusieurs sous-populations, ce que permet le nombre élevé de participants à l’enquête. Pour cela, nous les avons répartis en fonction du nombre d’activités politiques pratiquées au cours de la campagne présidentielle.

La construction de cette typologie s’est faite en deux temps. D’abord, les activités politiques pratiquées par chaque participant à l’enquête ont été comptabilisées individuellement. Chaque internaute s’est ainsi vu attribuer une note allant de 0 (n’a pratiqué aucune activité) à 15 (a pratiqué toutes les activités). Dans un second temps, trois groupes relativement homogènes par leurs effectifs ont été constitués pour disposer d’une base de répondants suffisante pour chacun d’eux.

En moyenne, les internautes ayant participé à notre enquête déclarent avoir pratiqué neuf des quinze activités politiques proposées. Le premier groupe d’internautes rassemble ceux ayant fait preuve d’un activisme politique faible (de 0 à 7 activités), le deuxième correspond aux activistes politiques modérés (de 8 à 10) et le troisième aux internautes manifestant l’activisme politique le plus élevé (11 activités et plus). Dans le premier groupe, seules trois activités obtiennent un score supérieur à 50%, contre neuf dans le deuxième et treize dans le troisième.

Un faible activisme politique en ligne au cours de la campagne présidentielle se manifeste essentiellement par la recherche d’informations. Dans une moindre mesure, une proportion non négligeable d’internautes (entre un tiers et la moitié selon les activités considérées) use de la transmission de contenus. En revanche, l’abonnement aux newsletters et/ou flux RSS s’avère nettement plus marginal et la production de contenus quasi inexistante. Parallèlement, la télévision (35%) apparaît comme la première source d’information politique des internautes de ce groupe. Viennent ensuite Internet (27%), la presse écrite nationale (17%) et la radio (16%).

En toute logique, l’activisme politique modéré induit un usage intensif de l’Internet pour s’informer. Il se traduit également par un recours fréquent à la transmission de contenus sur la toile. En revanche, seule une minorité d’internautes s’est abonnée à des flux RSS ou des newsletters, les résultats observés étant toutefois sensiblement supérieurs à ceux du premier groupe. Internet est la première source d’information politique de ce groupe (44%) et distance nettement la presse écrite nationale et la télévision (respectivement 22% et 19%).

Quant aux internautes les plus actifs politiquement sur la toile, ils se différencient des deux précédents groupes par un recours important voire massif à l’ensemble des fonctionnalités offertes par l’Internet (recherche ou transmission d’informations, abonnement et production de contenus). Plus précisément, ces internautes se distinguent du groupe précédent par une utilisation nettement plus élevée des flux RSS et animent fréquemment un blog (respectivement 46% et 34% contre 14% et 8% chez les activistes politiques modérés). Au sein de ce groupe, Internet est massivement privilégié comme première source d’information politique (68% contre seulement 11% pour la télévision, 10% pour la radio et 9% pour la presse écrite nationale).

Les types d’activités politiques pratiquées au cours de la campagne présidentielle renvoient à des catégories d’internautes spécifiques. La recherche d’informations apparaît clairement comme la première étape de l’activisme politique. La transmission de contenus relève en revanche d’un activisme plus fort, l’abonnement à des contenus de type flux RSS et newsletters ainsi que l’animation d’un blog (production de contenus) étant le fait des internautes les plus actifs politiquement sur la toile. Enfin, soulignons-le à nouveau, plus on manifeste un activisme politique élevé sur la toile et plus on privilégie l’espace numérique pour s’informer sur la présidentielle.

(1) Une enquête comparable sera réalisée à l’occasion des élections municipales auprès d’un panel d’internautes volontaires via le site www.elections-municipales.net

A suivre...



6 réactions


  • Forest Ent Forest Ent 8 janvier 2008 12:07

    La difficulté de cette étude, c’est qu’étant faite sur un site politique, elle trie au départ des gens qui ont déjà un profil ciblé relativement au thème traité, qu’il est difficile d’extrapoler à la population.

    A mon avis, l’impact d’internet aura été marginal relativement à celui de la télévision, qui représente encore en 2007 selon médiamétrie 4h30 par foyer et par jour. Les vieux ont voté TF1.

    Un autre difficulté est de séparer l’usage militant. Si j’en juge par ce qui s’est passé sur AV pendant la campagne, un grand nombre de gens ont été payés par l’UMP pendant la durée de la campagne pour déverser leur propagande. Ils n’y étaient pas avant. On ne les a plus vus après.

    Cette propagande était brutale, efficace, et tout à fait puante. Elle était entièrement axée sur la destruction de l’adversaire, et en aucun cas sur la valorisation du candidat, et surtout pas de son bilan. Ca a consisté à dire « Bayrou est un gentil, Ségo est une grosse conne gaffeuse pourrie ».

    En dehors d’une faible révélation sur la qualité morale de l’UMP, ceci me semble avoir été un mauvais présage sur les usages futurs du net, où tous les coups seront permis et aucune règle respectée. C’est peut-être le prix de la liberté, mais le fric comptera beaucoup.


    • Yves-Marie Cann 8 janvier 2008 12:18

      « La difficulté de cette étude, c’est qu’étant faite sur un site politique, elle trie au départ des gens qui ont déjà un profil ciblé relativement au thème traité, qu’il est difficile d’extrapoler à la population. »

      Exact, et c’est tout l’intérêt de cette enquête de pouvoir toucher une cible rare... en tout cas difficile à interroger par l’intermédiaire d’une enquête classique par sondage, par exemple auprès d’un échantillon représentatif de la population internaute française en âge de voter.

      Il ne faut donc pas interpréter ces résultats comme le reflet de la population dans son ensemble mais celui d’un public fortement politisé et très actif politiquement sur la toile lors de la campagne présidentielle.


  • Lou 8 janvier 2008 16:23

    Bonjour, je trouve votre article très intéressant et l’impact que peut avoir internet sur le monde est un sujet qui me passionne. Je vous écris car je suis actuellement en dernière année à l’Institut international de l’image et du son, section production. J’ai écrit un concept d’émission de télévision qui a été retenu par l’ecole. L’émission s’appelle Citoyens du monde, à vous ! et c’est un appel à l’engagement. Le thème de l’émission, que je vais tourner en février, est le journalisme citoyen. Je recherche, comme invités, un journaliste citoyen, un journaliste professionnel, un universitaire spécialiste des médias et si possible un citoyen faiseur d’images. Je sais que ce message est destiné à faire un commentaire de votre article mais j’aimerais vraiment vous rencontrer, je pense que ce serait très enrichissant pour mon projet ; et sans doute connaissez vous des personnes qui pourraient être intéressantes pour mon sujet. En vous remerciant d’avance,

    Cordialement,

    Louise Rozès-Moscovenko


  • Daniel Roux Daniel R 8 janvier 2008 19:21

    Ne prenons pas nos désirs pour des réalités.

    Hélas, nous restons un petit cercle à peu près d’accord sur l’essentiel, sauf rares exceptions, c’est à dire les valeurs humanistes.

    Je suis d’accord avec Forest ent, et je dirais même plus : C’est TF1/FRANCE TELEVISION qui ont fait le Président en toute connaissance de cause par une stratégie au millimètre.

    Conclusion : Que l’on soit jeune ou que l’on soit vieux, si on peut supporter plus de quelques secondes les logorées de PPDA, CHAZAL ou POUJADAS, on tombe forcément Sarkosiste.


  • gabstourna gabstourna 8 janvier 2008 23:12

    tout a fait d’acord avec forest et daniel ce sont les médiats qui ont influencé les présidencielles il serai temps que les français ouvrent les yeux et depuis les elections je ne regarde plus les journaux télé : ou sont les promesses de sarkozi ou est le Mr du pouvoir d’achat ou est le Mr du plein emploi ou est le président de tous les français, les classes moyennes en n’ont marre de se faire raquétter si les caisses sont vides ce n’est pas de notre faute


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