vendredi 7 septembre 2007 - par Philippakos

Kid Nation : des enfants dans le bocal de la télé-réalité

Annoncé pour le 19 septembre aux Etats-Unis, Kid Nation, cet énième reality-show soulève une importante contestation, due essentiellement au fait que ce sont des enfants qui sont dans le bocal, en bêtes de foire, et pas en raison du véritable abus de confiance que constituent, dans leur quasi totalité, les reality-shows.

Bref résumé : l’action se situe à Bonanza, un village du Nouveau-Mexique dont le nom évoque une série télévisée américaine des années 60. Le cadre ressemble à un décor de Western et les enfants sont, soi-disant, livrés à eux-mêmes, avec toutefois des psychologues pour «  éviter les débordements ». Que font-ils pendant ces quarante jours d’isolement ? Ils mènent une vie de petits fermiers avec toutes les contraintes qu’elle implique : cuisine, nettoyage, soin des animaux, etc. Le travail est tel, pour des enfants qui n’y sont pas préparés, que certains craquent avant la fin du tournage. L’amusement tourne parfois à l’aigre quand l’activité devient imposée et répétitive. Les enfants sont séparés en quatre classes : travailleurs, cuisiniers, commerçants et « upper class », arborant des couleurs différentes pour éviter la confusion. Mais on peut changer de statut social quand on réussit certaines épreuves. Tout se passe par vote des enfants et le gagnant du jour remporte 20 000 dollars. Dans l’esprit des producteurs, ce microcosme est censé donner une image de démocratie.

L’émission n’étant pas encore diffusée, on ne peut se fier qu’aux extraits et à la publicité pour se forger une opinion ainsi qu’à la teneur des plaintes qui ont été déposées par les parents des bambins. Ces plaintes portent essentiellement sur la négligence de l’encadrement, le travail des enfants (payés 5 000 dollars chacun tout de même). Les syndicats du cinéma dénoncent le rôle déguisé d’acteurs qu’on a imposé aux pensionnaires, et évoquent des textes écrits par la production à lire, des scènes à jouer et rejouer. Personne ne se pose pourtant le problème du rôle qu’on fait tenir aux enfants dans cette affaire.

Une société cloisonnée

Le principe du reality-show est de séparer la société en catégories pour n’observer qu’un spécimen de cobaye. Le critère est souvent l’âge (Kid Nation de 8 à 15 ans), mais on a pu voir aussi d’autres critères encore plus discutables comme le surpoids (Big Diet en Allemagne), la séduction (Loft Story 2001, 18 à 30 ans) et pourquoi pas bientôt une anomalie physique, la cécité, la surdité, pour être assuré d’un solide dénominateur commun. La production doit s’inspirer du dicton : « qui se ressemble s’assemble » et, sûrement influencée par la biologie et sa propension à classifier, met en observation l’échantillon le plus cohérent possible. Dans le cas présent, elle crée même des sous-catégories sociales, avec une classe dirigeante, une classe de travailleurs (dont, étrangement, ne font pas partie les cuisiniers) et de commerçants peut-être destinés à jouer le rôle de classe moyenne... avec les cuisiniers.

Un thème porteur

Les reality-shows fonctionnent par thèmes. Le premier Loft Story de 2001 était axé sur les relations amoureuses, il y eut ensuite la vogue des shows aventuriers ou il s’agissait de survivre dans un milieu naturel, voire hostile. Où le procédé devient malhonnête, c’est quand il prétend à l’objectivité pour faire passer son message (si basique soit-il), quand il prétend à l’aléatoire alors que les candidats sont toujours choisis très précisément, presque scientifiquement. Il faut savoir que le sujet des conversations entre les cobayes est le plus souvent décidé à l’avance. Dans certains cas, comme celui qui nous occupe, des pans entiers de textes sont écrits et joués par les enfants. Il existe donc une idée de départ pour lancer l’émission et le rôle du réalisateur est de lui accoler les événements qu’il aura glanés au fil des heures d’enregistrement, et même davantage cette fois-ci puisqu’on est en présence d’un véritable scénario. L’exemple de Kid Nation souhaite montrer que les principes de démocratie sont ancrés en chacun de nous, dès la petite enfance, et qu’ils prédominent, malgré tout, quand un petit groupe est livré à lui-même dans une communauté autarcique. Le microcosme de Bonanza donne un résumé de société, avec un groupe dominant, un groupe dominé et des hypothétiques passages de l’un à l’autre, plébiscités par l’ensemble de la communauté.

La lassitude de la fiction

A une époque où chacun peut voir sur son téléviseur des milliers de fictions chaque année, les producteurs ont pensé que la référence à la réalité ouvrait de nouveaux horizons. Ce n’est pas nouveau, souvenez-vous du slogan des bandes annonces depuis les années 60  : « a thrue story ». Malheureusement, ce qu’on diffuse n’est qu’une parodie savamment orientée de ce qu’on veut faire passer pour du réel. L’objectivité des prises de vues n’a plus cours quand on dispose de 26 caméras et 50 micros (Loft Story I) et donc qu’un choix drastique de la représentation et du son est opéré en aval. Si l’on en croit les extraits, Kid Nation franchit encore un palier supplémentaire en présentant des images déjà montées de plans soigneusement alternés qui impliquent un découpage préalable. Nous ne sommes plus dans la (fausse) caméra de surveillance, mais dans des procédés cinématographiques garants de l’efficacité émotionnelle. Ce reality-show ne se donne plus la peine de faire semblant, il nous dit « on fait du cinéma, mais du cinéma vrai, instinctif ». Les enfants et leur légendaire candeur en sont la plus convaincante démonstration.

Le direct a lui aussi disparu dans Kid Nation. On sait que l’expérience (le tournage) a eu lieu au printemps dernier et qu’il n’est plus question de « temps réel » qui paraissait pourtant un des principes de ce genre d’émissions : le téléspectateur, tenu en haleine devant son écran, espérait qu’un événement allait survenir et qu’il en serait le premier témoin.

Le nouveau reality-show est-il arrivé ?

Techniquement, le reality-show est donc revenu aux principes du cinéma : scénario, découpage, prise de vue, montage. D’un côté le procédé est plus franc puisqu’on ne cherche plus à vendre un réalité synchronique, mais je doute que ce soit la franchise qui ait inspiré ce renouvellement du genre. Je crois davantage que l’on cherche à faire passer pour de la spontanéité des idées longuement mûries dans les bureaux de la production. Que l’image, sans se priver cette fois des moyens du cinéma qui ont fait leurs preuves, serve à abuser le monde des téléspectateurs en jouant sur la corde d’un pseudo-réalisme. Il ne serait pas excessif d’avancer que Kid Nation utilise habilement des enfants pour glorifier des valeurs morales auxquelles le monde des adultes est si fondamentalement attaché et qu’il cherche même à promouvoir... et ceci malgré les dérives déjà constatées dans l’histoire contemporaine.

Aux dernières nouvelles, la distribution de Kid Nation ne serait plus garantie. L’exploitation audiovisuelle des enfants à des fins politiques ou partisanes serait donc le dernier rempart que nos sociétés qui se targuent de démocratie refusent pour l’instant de franchir... sauf si l’émission est, en fin de compte, diffusée.


18 réactions


  • Vilain petit canard Vilain petit canard 7 septembre 2007 11:12

    Je m’en vais relire Sa Majesté des Mouches de Golding, ça vaudra mieux que toute cette horreur...


    • Cincinnatus 7 septembre 2007 20:09

      « Le dieu venu du centaure » de Ph. K. Dick serait aussi approprié...


    • Guil 10 septembre 2007 11:06

      J’allais le dire smiley

      L’exemple de Kid Nation souhaite montrer que les principes de démocratie sont ancrés en chacun de nous, dès la petite enfance, et qu’ils prédominent, malgré tout, quand un petit groupe est livré à lui-même dans une communauté autarcique.

      Un groupe livré à lui même mais bien sûr, avec plein de cameraman, psychologues et autres médeçins autour d’eux, et dans un cadre déjà construit et civilisé... La démonstration est biaisée dès le départ. Laissez pour de vrai une horde de gamins seuls sur une île déserte et le scénario de Golding me semble beaucoup plus probable - et beaucoup plus pessimiste quand à la nature humaine...


  • Nicolas 7 septembre 2007 11:25

    « Il ne serait pas excessif d’avancer que Kid Nation utilise habilement des enfants pour glorifier des valeurs morales auxquelles le monde des adultes est si fondamentalement attaché et qu’il cherche même à promouvoir... »

    Non ce n’est pas excessif, c’est vrai smiley. Cette phrase résume bien l’objectif de l’émission (aux cotés de « faire de l’audimat » bien sur). Bravo pour cette article !


  • biztoback 7 septembre 2007 11:33

    je me demandais si la TV realité pouvait être pire, et oui j’aurais du me douter que la connerie n’a pas de limite..


  • personne 7 septembre 2007 11:54

    Coluche disait en son temps : « tant qu’on trouvera des cons pour acheter [ces produits de m....], on ne pourra rien dire ».

    Remis au goût de notre temps télévisuel, cela devient : « tant qu’on trouvera des cons pour regarder, on ne pourra rien dire ».

    On peut toujours hurler, s’arracher les cheveux contre l’ineptie de ces programmes, tant qu’ils rapporteront de l’argent à leurs producteurs, ceux-ci continueront de les produire.


  • LE CHAT LE CHAT 7 septembre 2007 12:56

    j’ai vu un nouveau concept , avec un concept façon koh lanta , la survie dans un camp de légionnaires , sueur et larmes garantis ! smiley on touche du bout des doigt la connerie humaine !


  • Bouli Bouli 7 septembre 2007 13:13

    Et finalement qui est la pire ordure dans l’histoire ?
    - la personne qui a inventé le concept ?
    - les producteurs qui ont dit « banco » et investit dedans
    - les parents qui envoient leurs gosses là-dedans en signant une décharge en cas de noyade, ou autre mort, MST, grossesse...
    - cette mère qui a inscrite sa gamine et qui porte plainte parce qu’elle s’est brûlée pendant le tournage ?
    - les futurs téléspectateurs ?


  • wired 7 septembre 2007 16:23

    qui de l’oeuf ou de la poule ?


  • Goldy Goldy 7 septembre 2007 17:22

    En france on a eu le pensionnat de « machin » là. Le principe était finalement le même, prendre des enfants, leurs faire subir humiliations sur humiliations, tout ça au nom d’un principe (ici l’éducation, au usa, c’est la démocratie).

    On en a parlé, mais ça a pas vraiment fait de polémique, du moins, personne ne s’est posé la question de savoir si c’était réellement utile de faire subir un tel truc à des gosses. J’en conclus que c’est donc bien un principe morale, exactement comme le dit l’auteur de l’article : Les valeurs, permettent de tout justifier, et particulièrement quand celles-ci sont éthiquement discutables.


    • Mango Mango 7 septembre 2007 19:27

      Le principe n’était peut-être pas tout à fait identique - j’avoue que je n’ai pas regardé, car je craignais de faire un coup de sang, mais j’ai lu, vu et entendu beaucoup de commentaires- mais je vous rejoins sur le fait que nous sommes toujours prompts à nous scandaliser sur ce qui se passe aileurs, sans pour autant nous remettre en question.


  • Philippakos Philippakos 7 septembre 2007 18:54

    Oui, il faut se demander pourquoi le public regarde, mais c’est le même problème que les journaux à scandales (qui font tout de même les plus grosses ventes aujourd’hui). J’ai essayé de creuser la question (pour les journaux au moins), je vais m’y atteler pour les reality shows mais je pense qu’il y a des rapports entre les deux.


    • Philippakos Philippakos 7 septembre 2007 18:57

      L’abus, dans le cas des reality, vient de ce qu’on veut nous faire croire à des événements fortuits alors que tout a déjà été défini à l’avance pour aller dans le sens de ce qu’on veut prouver. Rien de spontané, pas de surprise, juste une confirmation.


    • Romain de Pescara 7 septembre 2007 19:55

      @Philippakos

      Louis Ferdinand Céline disait que lorsqu’il voulait comprendre son époque et ses semblables il lisait les publicités dans les journaux. Autre époque, je crains qu’il n’aurait eu besoin de regarder la télé tant le spectacle est affligeant. Les jeux du cirque n’ont pas disparu, aujourd’hui on les a sur écran plasma.

      Triste société.


  • pixel pixel 8 septembre 2007 14:13

    Je pense que le phénomène d’identification est plus fort dans les reality show que dans les fictions. Pour deux raisons :

    la première est que contrairement à un film cette simili réalité suggère que la fin ne serait pas connu par avance. Je ne suis pas sûr que les spectateurs soient dupes de la scénarisation, un peu comme un match de catch.

    La deuxième c’est que les participants sont des gens lambda à travers lesquels les spectateurs peuvent se projeter.

    Les valeurs diffusées à travers ces spectacles ne sont pas différente de celles des séries, c’est simplement une mise ne forme différente des fictions traditionnelles.


    • Philippakos Philippakos 9 septembre 2007 11:19

      Les reality show sont peut-etre finalement la réponse à l’excès de virtuel qui, s’il est des plus spectaculaires, perd en crédit vérité. On pense que, au moins avec la télé-realité on est dans le vécu. Pareil pour les journaux people avec les histoires de princesses. Le public, peut-être lassé des contes de fées, se retranche derrière de vraies princesses dont la photo apporte la preuve de l’existence. On n’imagine pas un journal people sans photo.


  • Christoff_M Christoff_M 8 septembre 2007 19:33

    quand la télé n’a plus que des marketeurs des vendeurs de boites de conserves, on aboutit à cela... quitte à utiliser les enfants comme cobayes !!

    le problème comme au rugby, c’est qu’on trouvera toujours un producteur Arthur, un présentateur Castaldi, des types vulgaires, médiocres, minables, pret à tout pour gagner du fric !! Quitte à copier la merde la plus vulgaire diffusée à l’étranger ; est ce qu’il y a un patron à la tete d’une télé, d’un journal, ou est ce que le patron c’est l’audimat

    c’est le problème en laissant des gestionnaires partout, on arrive dans l’audiovisuel, dans le cinéma à viser ce qu’il y a de plus bas chez le spectateur... donc à la vulgarité et la médiocrité incarnée à la télé par Arthur et ENdemol qui ne paye pas toujours ses intermittents soi dit en passabt !!


  • LE CHAT LE CHAT 10 septembre 2007 09:07

    finalement , on n’a guère évolué depuis deux mille ans , c’est toujours du pain et des jeux ! smiley


Réagir