L’imagerie judiciaire américaine : entre mythes et archaïsme
L’affaire DSK a fait l’effet d’une bombe en France, provoquant chez beaucoup une vague d’indignation, moins pour des raisons liées à la culpabilité ou non de Dominique Strauss-Kahn, qu’aux effets d’une mise en scène médiatique américaine qui heurte les repères et la sensibilité de nombre d’hexagonaux. Les commentateurs ont souligné les différences qui existent entre le droit américain et le droit français, en particulier concernant la présomption d’innocence, qui engage les journalistes français à ne pas diffuser d’images de prévenus menottés, par exemple. Or, il faut bien convenir que les images diffusées par les télévisions américaines, et reprises dans le monde entier, sont assez édifiantes d’une mise en scène, qui privilégie de représenter l’accusé plus comme un coupable éventuel, plutôt qu’un potentiel innocent. Il ne s’agit bien entendu pas de débattre sur la culpabilité d’un homme, dont le procès n’a pas encore eu lieu.
En revanche, l’on peut s’interroger sur la valeur réelle des images reprises en boucle par les chaînes d’information, car, c’est précisément d’information dont il est question. En effet, au-delà de renseigner le public sur l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn, les images quittent le registre informatif pour verser vers le pathos, presque au sens de pathétique, voire de l’inquisitif. Ces effets sont repérables comme l’a souligné Daniel Schneidermann sur le plateau de Ce soir ou jamais, par l’emploi systématique de gros plans qui traquent la moindre expression sur le visage de l’accusé et qui, d’un point de vue informatif, sont très pauvres. Cette mise en scène a d’autant plus choqué en France quand, Dominique Strauss-Kahn a été exhibé comme un trophée aux bras des policiers américains, livré à une meute de photographes et de caméras. Il faut reconnaître que ce type de traitement ne lui est pas spécifique. L’on se souvient des procès d’O. J Simpson, accusé de meurtre sur sa femme, ou encore de Michaël Jackson, pour des attouchements sur mineur. Il semble que les images des accusés de crime aux Etats-Unis, réactualisent sans cesse des mythes sur lesquels repose la justice américaine.
C’est d’abord toute l’imagerie qui est liée à l’ouest américain, et au chérif qui ramène le criminel en prison, en le traînant les mains ligotées, derrière son cheval. C’est ensuite le mythe du justicier qui nettoie la cité de ses criminels, et qui les livre à la justice. C’est également le mythe du criminel exhibé au média et au public, comme la preuve probante de l’efficacité d’un système judiciaire capable de traquer et de capturer les criminels. Or, tout cet imaginaire qui s’est construit au cours de l’histoire, a enfermé la justice américaine dans un rapport martial entre elle et tout individu soupçonné d’un crime, même s’il est innocent. Pourtant, des traitements comme celui infligé à DSK, le public français ne le découvre pas aujourd’hui, tant Hollywood a mis en scène ce type d’affaire. C’est précisément pour cette raison qu’ici, on a eu du mal à considérer ces images comme réelle, et à accepter leur vraisemblance, puisque que nous étions habitués à les recevoir sur le mode de la fiction. Aussi, cette affaire vient-elle objectiver une réalité que l’on n’était habitué à voir dans des films.
La médiatisation américaine de cette affaire révèle également des aspects de la justice de ce pays, que l’on pourrait qualifier d’archaïque. En effet, cette propension à livrer l’accusé au regard, et donc au jugement du public, rappelle des pratiques anciennes qui voyaient les criminels, ou présumés comme tels, livrés physiquement aux insultes, crachats, et autres brutalités de la foule. Il faut dire que cette conception plébéienne de la justice persiste, sous certains traits, dans la justice américaine actuelle. En particulier, dans sa manière de se mettre en scène. Tout ceci est, sans doute, à placer dans le contexte d’une société où le spectacle joue un rôle important dans le moindre secteur, et la justice n’échappe pas à la règle. Au-delà de cette affaire, c’est notre rapport à l’image qui a été mis en branle, même si le fait que l’accusé soit Français, qui plus est Dominique Strauss-Kahn, accentue l’effet de sidération. L’image n’est jamais neutre, en particulier à la télévision, et elle porte aussi en elle des traces d’idéologies. Aussi, les images que nous consommons à la télévision nous interpellent-elles constamment sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Le danger est que, bien souvent, le principe de banalité qui fonde le flux télévisuel altère notre capacité à nous indigner face à des images inacceptables. Surtout, quand celles-ci mettent en scène des individus qui nous sont géographiquement ou culturellement éloignés.
Sakho Jimbira Papa Cheikh