lundi 27 septembre 2010 - par Bernard Dugué

La presse veut faire l’intéressante

Samedi dernier, le 20 heures de la Une titrait sur un faux attentat visant un avion provenant du Pakistan alors que la Deux choisissait d’ouvrir son journal télévisé par l’annonce d’un cas de chikungunya dans le Var. Rien de bien grave dans ces événements sauf qu’ils représentent, en cas d’une évolution autre ou bien particulière, un souci d’inquiétude. Un boeing pourrait bien exploser en vol si un attentat était réussi. Le chikungunya, affection nécessitant une déclaration publique (comme d’autres plus connues) pourrait créer une épidémie dans le Sud-Est mais compte tenu des températures en baisse, il n’y a pas vraiment lieu de s’inquiéter. Le dimanche suivant, ces mêmes journaux télévisés ont titré sur un accident de bus en Allemagne. Alors pourquoi les journaux télévisés mettent-ils à la une des événements générant de l’inquiétude ? On se gardera néanmoins de feindre l’étonnement. Cela fait quelques décennies déjà que la presse croit judicieux d’informer le spectateur dès lors qu’un événement gravissime, parfois inattendu, souvent tragique, se produit dans le monde ou bien en France. Il existe cependant des règles non écrites justifiant de faire une « une accidentelle » en fonction du pays d’origine et du contexte. Quand ce sont deux jeunes qui disparaissent dans un stage de voile en Bretagne, cela peut faire un titre. Pareil pour un bus se renversant à Valence et faisant quatre morts. Quand c’est un accident provenant d’un pays d’Europe, il faut dix morts. Un crash d’avion en Indonésie ne fera pas forcément la une. Il t a quelques années, à peine a-t-on su qu’un navire avait coulé en Afrique noire, les noyés se comptant par centaines.

Ainsi se dessine l’avènement d’une presse d’émotivité, devenue tellement habituelle qu’on y fait plus attention. La plupart pensent même que telle est la vocation de la presse. Nous dire tout sur ce qui déraille dans le monde. Et si la presse n’obtempère pas, omettant quelque fait étrange, alors le quidam pense que des choses nous sont cachées. Le devenir des médias n’est-il pas le résultat d’une subtile dialectique des connivences ? Autrement dit, la rencontre de deux désirs, celui de la psyché émotionnelle du public de masse et celui des intérêts médiatiques se faisant concurrence et s’arrachant les spectateurs en contemplant chaque mois le résultat des courses lors de la publication des chiffres d’audience. Il existe pourtant une chaîne qui refuse de jouer ce jeu là. C’est Arte. Sans doute avez-vous remarqué que le petit journal d’Arte paraît plus ouvert sur le monde, plus zen, très différent de celui proposé par les grandes chaînes nationales. On se demande même si c’est un journal d’actualité tant le contraste est saisissant.

Les médias ne cherchent pas forcément à intéresser les spectateurs à l’actualité. Il tentent plutôt de rendre intéressante l’actualité en captant ce qui fournit un sens pittoresque aux événements. La finalité d’informer a été supplantée par une autre finalité, importante mais pas cruciale, celle de faire rentrer des sous dans la boîte ou à défaut, de justifier la manne publique en revendiquant une bonne audience. C’est de cette manière que dépérit la presse, surtout celle qui demande un peu d’effort, celle des grands quotidiens en perte de vitesse car ils ont délaissé les contenus pour pratiquer une presse sensationnelle, avec un remplissage de dépêches fournies par l’AFP, ce qui, en utilisant stagiaires et pigistes, permet de faire des économies pour payer les bons salaires d’un encadrement devenu pléthorique, non pas pour des nécessités éditoriales mais par la volonté de quelques individus de se frayer une bonne place. En effet, la lutte des places a remplacé la lutte des classes.

Ces pratiques médiatiques influent grandement sur la narration de la vie politique française. On a le sentiment que la plupart des journalistes rêvent de voir les politiciens se comporter comme des catcheurs sur un ring, s’envoyant mutuellement des invectives d’autant plus savoureuses qu’elles se déroulent au sein d’un même clan. Ah, quel bonheur que ce crêpage de chignon entre Ségolène et Martine. Mais quel dommage car elles ne sont plus fâchées. Il se dit même que les primaires seront une formalité pour choisir le candidat présélectionné, enfin, il se dit, c’est vite vu, c’est pas Il mais Claude Bartolone qui le dit. Les médias sont à la chasse des candidats à la petite phrase. Du coup, les médias sont attristés. Pas de combat des chefs à l’automne 2011 mais c’était sans compter sur Jack Lang pour qui le PS doit en finir avec la mystique unitaire et d’ailleurs, le très médiatique Jack est prêt à donner de sa personne pour satisfaire le goût de la bataille et faire le spectacle lors des primaires. Avez-vous noté, en écoutant la très professionnelle France Inter, que les journalistes affichent une pugnacité spéciale pour faire parler les politiciens. On dirait presque une garde à vue. A l’issu de l’entretien, l’invité doit avoir avoué sur l’antenne ce que le journalistes subodorait après avoir promené sa pogne dans les dîners en ville, glanant quelque rumeurs ici et là. Un scoop de révélé et c’est tout bon pour le buzz. Selon notre confrère bidule de France machin, Laurent Fabius aurait déclaré vouloir se faire Madame Michu lors du prochain congrès des chasseurs d’escargot. A droite, nous avons deux bon clients pour des phrases susceptible d’engendrer un urticaire dans cet univers de la politique presque aussi impitoyable que celui de Dallas. Le duo Paillé Lefebvre joue parfaitement son rôle. Châtel a aussi une place de choix en tant que porte parole. Ses propos seront relayés. Le grand duel en ce moment, c’est celui qui se joue entre Bertrand et Copé. On ne sait pas qui est le faux méchant et le faux gentil. La presse doit aussi être satisfaite de cet éventuel départ de François Fillon. Plus d’un mois de festivités médiatiques, à pronostiquer les partants et les entrants dans le prochain gouvernement. Que du suspense, sauf pour le quai d’Orsay, Kouchner ayant déjà déclaré se voyant parti. Parfois, un imprévu se glisse dans les interviews. Merci Rachida pour ce lapsus qui fellation du moment, créant de l’inflation dans l’audimat.

C’est bien marrant, ce jeu politique, c’est très divertissant mais on oublie que la politique, c’est aussi des débats idéologiques, des controverses, des discussions sur les idées et surtout la vie des gens, ce qui est dur, ce qui peut susciter des espérances, ce qui peut être réalisé pour l’intérêt public.



7 réactions


Réagir