jeudi 20 juillet 2006 - par Poirier Olivier

Le journalisme de t�l�vision en France

La t�l�vision � ses d�buts se voulait culturelle, en instruisant mais aussi en divertissant les t�l�spectateurs. Les contraintes du march� �conomique et de l’audimat n’existaient pas encore. En revanche, d�s sa cr�ation, la t�l�vision nous a permis de voir le monde en images. Par cons�quent, le m�dium t�l�visuel abolit les distances, prolonge notre vision et se veut une fen�tre ouverte sur le monde ; "abolir la distance, c’est abolir le temps, c’est �tre omnipr�sent". Le journalisme de t�l�vision na�t sous ce principe, comme le souligne Pierre Corval : "La premi�re mani�re de faire de l’information t�l�vis�e, c’est de d�p�cher sur les lieux un cameraman". Ainsi, l’�mission Cinq colonnes � la une, � ses d�buts, � la fin des ann�es 1950, privil�giait l’�v�nement et le reportage. C’est ce qu’on appellera le journalisme d’enqu�te, pour lequel le reporter se d�place sur le terrain � la recherche d’images.

Peu � peu, � cette forme de journalisme s’est substitu� un journalisme d’examen, dont le studio incarne le lieu d’exercice. Il s’agit dor�navant de substituer l’�v�nement aux probl�mes, th�mes de soci�t� o� le reporter s’efface au profit d’un journaliste sp�cialiste. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les d�bats politiques ou soci�taux sur les plateaux de t�l�vision, o� la parole est donn�e aux citoyens ordinaires. Mais le temps de parole est in�gal, fonction du statut social des invit�s. C’est pourquoi une dimension cach�e se r�v�le sur les plateaux de t�l�vision comme �tant extr�mement hi�rarchis�e.

Lors d’un d�bat politique ou soci�tal, il existe une discrimination sociale ; seules les �lites, les "bons clients" disposent d’un temps de parole sans limites et sont sollicit�s � l’envi. Alors que le citoyen ordinaire, impr�gn� au quotidien, sur le terrain, des r�alit�s de tous ordres, voit son temps de parole restreint. De surcro�t, si cette parole devient embarrassante, on ne manque pas de l’interrompre par des d�tours ostracisants. Ces d�tours langagiers s’accompagnent parfois de gestes, de regards isolant la personne dont on ne veut plus entendre le discours. A la t�l�vision, cette pratique est courante. Le dispositif des plateaux de t�l�vision est extr�mement et minitieusement pens�, les diff�rents acteurs participant aux �missions ne sont donc pas plac�s les uns par rapport aux autres par hasard. La hi�rarchisation sociale au travail est transpos�e sur un plateau t�l�visuel. Dans l’espace que forme un plateau, une distance existe non seulement entre les d�batteurs r�unis autour d’une table mais encore entre les d�batteurs et le public pr�sent ou en duplex. A cette appropriation de l’espace, Edward T.Hall a donn� un terme, la prox�mie, en la d�finissant comme "l’ensemble des observations et th�ories concernant l’usage que l’homme fait de l’espace en tant que produit culturel sp�cifique".

Ainsi, sur un plateau, demeure une dimension cach�e, une censure invisible, un choix prox�mique d�fini en amont. Aussi, force est-il de constater qu’entre un homme politique et un syndicaliste ou un �tudiant, la libert� de parole allou�e par l’animateur des d�bats d�pend d’une r�gle du jeu � g�om�trie variable. Sur une dur�e d’�mission de deux heures, combien de fois voit-on la parole du citoyen ordinaire r�duite � environ quinze minutes.

C’est, selon Pierre Bourdieu, "ce qui pose un probl�me tout � fait important du point de vue de la d�mocratie : il est �vident que tous les locuteurs ne sont pas �gaux sur le plateau" d’une �mission � d�bat.

7 r�actions

djschorn (---.---.163.124) 20 juillet 2006 11:19

Article interressant.
Tout ce qui peut remettre un peu en cause, sous n’importe quel angle de vision que ce soit, le journalisme et plus g�n�ralement le traitement de l’information tel qu’il est pratiqu� dans notre pays, est bon.

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Severa Ma�usta 20 juillet 2006 14:04

Tout � fait d’accord. Umberto Eco nous a appris � distinguer l’Arch�o TV, celle qui ouvrait une fen�tre sur le monde, de la N�o TV celle qui ne montre et ne regarde que son nombril.Son recueil de 1985 n’a pas pris une ride ! Titre : La guerre du faux.

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Bouli (---.---.248.214) 20 juillet 2006 14:10

On peut �galement pousser la r�flexion sur le « journalisme de t�l�vision » vers les reportages des journaux t�l�vis�s, les traitements des sujets. Le journalisme d’investigation � la t�l� se fait rare, heureusement qu’il reste quelques magazines d’investigation comme « Envoy� sp�cial » et « Lundi investigation ». Personnellement, j’ai de plus en plus de mal � croire que le concept de « journalisme » ait encore sa place � la t�l�.

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corwinhawk (---.---.203.7) 20 juillet 2006 15:43

A l’inverse du d�bat sur le plateau t�l�, il y a le micro-trotoir, ou comment transformer la br�ve de comptoir en information t�l�visuelle.

Je crois que le journalisme tout court, et pas seulement t�l�visuel, est dans ce cas l�.

Heureusement qu’il n’y a pas que le JT de 20h et qu’il existe d’excellents journalistes et emissions d’informations.

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Marcel Patoulatchi (---.---.103.59) 21 juillet 2006 01:14

Que les plateaux soient organis�s pour favoriser la parole des uns, cela parait limpide.

Tous les locuteurs sur le plateau ne sont pas �gaux.

Est-ce un grave probl�me pour la d�mocratie ? Tout le monde n’a pas pu publier comme Bourdieu moulte bouquins, tout le monde n’a pas pu obtenir de chaire universitaire pour y exposer des points de vue comme Bourdieu. Mieux : tout le monde ne ma�trise pas le langage esoth�rique de Bourdieu.

Tout le monde n’est pas �gal dans son acc�s � l’expression publique. Est-ce un probl�me d�mocratique ? La d�mocratie peut-elle garantir une �galit� arythm�tique dans le droit � la parole ? Doit-elle le faire ? Il me semble que l’essentiel de la d�mocratie consiste � ce que chacun puisse faire des choix politiques, pas d’�tre certain d’avoir une large audience.

Chacun est libre de s’exprimer ; on ne pourra n�anmoins jamais garantir � qui que ce soit d’�tre �cout�.

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zdeubeu (---.---.149.194) 21 juillet 2006 09:28

Pour revenir au d�but de votre article, � propos du « journalisme d’enqu�te, pour lequel le reporter se d�place sur le terrain � la recherche d’images » :

Je n’ai pas la t�l�. Hier soir, de passage chez mes parents, je me suis assis devant pour y voir des images de ce qui se passe au Liban.

J’ai �t� constern� (remarquez, c’est chaque fois la m�me chose quand je m’assois devant la t�l�) par la nullit� du journal. De toute �vidence, les journalistes sont bien en s�curit� � Paris � exploiter les images qui leur sont fournies par le SIRPA ou je ne sais quel organisme militaire sur le th�me de l’�vacuation des fran�ais. C’est sans doute plus vendeur que de montrer des libanais se faire exploser leurs baraques, et puis �a ne froisse aucun lobby.

Mais merde quand m�me : Je voulais VOIR comment �a se passait, l�-bas, je n’ai rien vu. A ce rythme l�, nous aurons bient�t plus d’images de la 2nde guerre mondiale que des conflits qui se d�roulent aujourd’hui.

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Yuca de Taillefer (---.---.203.7) 25 juillet 2006 16:45

Le d�calage entre les informations communiqu�es et la v�rit� du terrain ne date pas d’aujourd’hui ni d’hier.

Il ne faut pas croire qu’il y ait sur les plateaux t�l�s que des « �lites » d’invit�, car certaines ne sont jamais convi�es ou invit�es => ceux invit�s sont alors des « �lites format�es » invit�es justement parce qu’elle rentre dans le « format t�l� » d�sir� et con�u � l’avance. Quand au citoyen lambda, on ne s�lectionne de sa parole que ce qui peut s’entendre au petit �cran et que l’on a s�lectionn� et on en fait une g�n�ralit�.

Les journaux ne sont que des instantan�s, que des images que l’on pr�sente sans les remettre dans leur contexte sans explication de ce qui se passe, de plus ceux-ci sont pr�par�s et « professionalis�s » et format�s : plus de place pour l’info pure, pour la surprise et la spontan�it� : bref le journal n’est devenu lui-m�me qu’un « divertissement », un show comme un autre, comme la politique spectacle d’ailleurs que l’on nous pr�sente. Je ne pense pas que cela viennent des reporters, et de ceux sur le terrain, cela vient plutot d’une logique de produit et de vente voulu par les chaines (la sc�narisation du journal est parfois proche des s�ries am�ricaines style 24h).

Pour un « fran�ais moyen » (sans volont� p�jorative), le d�barquement des forces alli�es de 1944 se r�sume au film « Le jour le plus long » et � la confrontation des force alli�es des r�gimes d�mocrates et de la Wehrmacht du r�gime nazi. Les nombreuses maisons des civils d�truites, le nombre de Normands morts et de familles d�cim�es, on en a jamais parl�, on n’en parle toujours pas. Un peu ce qui se passe pour les civils Libanais sur nos cha�ne � 20h.... on voit des bombes lumineuses explos�es au loin.

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