Le juge Burgaud et le tribunal de l’opinion
J’avais déjà eu l’occasion d’écrire un billet sur l’affaire d’Outreau et plus particulièrement sur le juge Burgaud. Pour faire passer l’idée, en substance, que la réaction de l’opinion à cette catastrophe judiciaire était déjà une terrible punition en soi.
Raccourci facile ? La photo du site de L’Express montre un homme jeune, mais inquiet, pâle, affaibli. Les bras croisés, signe d’attitude défensive, pourrait-on dire.
A vrai dire, je ne sais rien de spécial sur cette affaire. Je n’ai pas lu un article récent à son sujet (sauf celui de L’Express), mais j’en entends parler à la télévision et beaucoup à la radio. Les revues de presse de France Inter et France Info ce matin ont largement fait écho des développements de l’affaire. Petit exercice : les résultats du chronologue sur "d’Outreau" et "juge Burgaud" :
L’entretien paru dans L’Express, le matin des auditions, puis les auditions en elles-mêmes, ont donc ravivé la flamme médiatique. Le cocktail est explosif : de l’injustice, des révélations, de l’émotion, de la pédophilie. Du soufre. Tout le monde en parle.
A cette occasion, l’opinion, via les médias, semble donc s’être désignée un nouveau démon : Fabrice Burgaud. Parmi les qualificatifs que je crois avoir entendus à son sujet, il serait ambitieux, froid, dur, obstiné, partial, arrogant, provocateur. Et donc, incompétent et irresponsable.
La question ici n’est pas de savoir si ce traitement est mérité ou pas. C’est peut-être le cas, c’est peut-être plus complexe. Mais on a rarement assisté à un tel lynchage en règle d’une personne, malgré les voix qui s’élèvent pour demander une critique du système dans son ensemble. Lynchage qui avait déjà eu lieu au moment de l’acquittement des prévenus.
Cohérence ou arrogance ?
L’analyse de la situation en termes de communication est intéressante. Si la flamme se ravive avec autant de force, ce n’est pas simplement du fait des auditions. C’est du fait d’une attitude, réelle ou interprétée, du juge Burgaud, qui jette de l’huile sur le feu dans L’Express. Ce qui en ressort, en surface, pour les auditeurs comme moi, est le refus de prononcer des excuses.
On dit pourtant qu’en matière de communication de crise, la première règle est d’être humble. Il est évident que ce n’est pas le cas. Cet entretien, ou plutôt, ce qu’on en a retenu, confirme tout ce que chacun croit savoir sur lui. Froideur, dureté, obstination et arrogance, en particulier.
En lisant l’entretien, on voit que sa ligne de défense est d’une clarté absolue :
• Il n’a pas le sentiment d’avoir commis une faute
• De nombreux éléments sont apparus après 2002 et sa nomination à Paris
• Il évoque un manque de moyens d’investigation
• On lui prête des propos qui ne sont pas les siens (« c’est l’affaire du siècle » ; « les enfants ne mentent jamais »).
• Il s’en remet à la justice pour déterminer les responsabilités de cette catastrophe
Juge ou homme ?
En fait, il me semble que Fabrice Burgaud se place d’un strict point de vue judiciaire. A partir de là, la communication est cohérente. A partir de là, il n’a effectivement pas (encore ?) à faire d’excuses.
S’il ne veut pas présenter d’excuses, c’est parce que sa faute n’est pas établie judiciairement. Sa déclaration à ce sujet étant : « Aujourd’hui, je trouve que ce serait la solution de facilité pour moi de présenter des excuses, comme si cela pouvait permettre d’occulter une discussion sur d’éventuelles responsabilités. Ce sera au Conseil supérieur de la magistrature de dire si des fautes ont été commises, quelles sont ces fautes, et à qui elles sont imputables. »
S’il ne veut pas répondre sur le fond, c’est parce qu’un entretien avec L’Express n’est pas le lieu adéquat : « Je suis tenu par le secret professionnel et par un devoir de réserve attaché à ma fonction » ; « Je réserve l’ensemble de mes explications à la mission d’inspection et aux parlementaires ».
Là est le nœud du problème. Car l’opinion n’attend pas, et elle a trouvé son coupable. Burgaud ignore en fait totalement les nécessités de la communication de crise. Il ne fait pas le choix de l’empathie, qui est possible même sans faire d’excuses.
Mais il donne un entretien à L’Express, tout de même. Là est l’erreur (de communication), à mon sens. La ligne de défense strictement judiciaire est certes une possibilité pour lui, mais il est difficile de l’utiliser pour communiquer. Pas un mot sur le sort des prévenus, alors que lui a « le sentiment d’une profonde injustice » vis-à-vis de sa personne. Il évoque son humanité, mais on ne la ressent pas : « Les magistrats ne sont pas des êtres désincarnés, ce sont des femmes et des hommes qui vivent dans la société comme l’ensemble de nos concitoyens ». Il parle comme juge, pas comme un homme blessé.
Les médias ont utilisé la concomitance de cet entretien et des auditions contre lui. Le refus des excuses est extrait de l’entretien. A partir de là, la machine médiatique s’amuse de lui.
Verdict
Fabrice Burgaud avait voulu répondre publiquement, en raison des difficultés personnelles que les attaques lui occasionnent : « Ce sont d’ailleurs ces attaques personnelles, de plus en plus virulentes et qui perdurent depuis de longs mois maintenant, qui m’ont amené à accepter de répondre à vos questions ». L’expérience montre qu’il eût été plus sage d’ignorer le domaine de la communication en totalité. Parler à L’Express, c’était, à ce titre, un gros risque.
Maintenant, la voie de la « communication de juge » est engagée. Il ne faut pas, maintenant, qu’il descende du train en marche. Ceci implique de ne plus parler publiquement, jusqu’à ce que la justice fasse la lumière. Mais le tribunal de l’opinion a désigné son coupable. Prêtera-t-il attention au verdict du tribunal de la République ?