mercredi 7 juin 2006 - par Phil

Les blogueurs ne sont pas journalistes (au sens juridique)

Une nouvelle jurisprudence aux Etats-Unis qui fait droit aux blogueurs de protéger leurs sources, au même titre que les journalistes professionnels, relance en France le débat - plutôt alambiqué au fond - sur le statut des blogueurs.

Le journalisme citoyen n’est-il qu’un concept marketing (induit par le Web 2.0), ou bel et bien la promesse d’un statut juridique ? Pierre Chappaz évoque ce sujet dans Libération du 2 juin et sur son blog, sans apporter de réponse définitive, tandis que des articles fleurissent ici ou sur le Web.

Pour Reporters sans frontières, la décision est historique car elle accorde une légitimité nouvelle à des blogueurs qui, bien qu’ils n’aient pas de carte de presse, ont désormais leur place dans le monde de l’information.

POINT DE VUE D’UN JURISTE

Avant de s’emballer sur un jugement prononcé aux Etats-Unis, voyons un peu le statut du blogueur en France. L’Atelier a eu la bonne idée d’interroger un juriste. Pour résumer : pas, ou peu de jurisprudence en la matière. Les blogs sont des sites personnels, leurs auteurs sont considérés comme des non professionnels, contrairement au journaliste professionnel qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publication/s (lire ICI).

Dès lors le secret des sources journalistiques a peu de chances d’être appliqué aux blogueurs, puisqu’il s’agit d’un droit lié à l’exercice du journalisme dans le cadre professionnel.

Pour les journalistes, la confidentialité des sources est formalisée par l’article 56 de la loi du 4 janvier 1993 (modifiant l’article 109 du Code de procédure pénale) : Tout journaliste entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine.

LA RELAXE DE CHRISTOPHE GREBERT

En revanche les blogueurs (qui sont éditeurs de leurs blogs) sont soumis - à première vue - aux mêmes contraintes que les journalistes en matière de liberté d’expression : pas de diffamation, ni d’injures à caractère raciste ou sexiste.

On pourraît alors être tenté de penser qu’un blogueur a plus de devoirs que de droits que les journalistes, en matière de publication...

Pas forcément : à cet égard, la relaxe en mars dernier de Christophe Grébert (MonPuteaux.com) semble ouvrir la voie à une jurisprudence souple à l’égard des blogs.

Poursuivi par la ville de Puteaux, après avoir publié sur son blog un article du Parisien (jugé diffamatoire), le Tribunal a considéré que son site étant purement privé et bénévole (Ch. Grébert) n’était pas tenu de se livrer à une enquête complète et la plus objective possible sur les faits qu’il évoquait. Dans la mesure où il indiquait sa source, et ne lui faisait subir aucune dénaturation, le Tribunal a considéré que le blogueur était de bonne foi (malgré le caractère diffamatoire de l’info) et habilité à en faire un commentaire.

La mairie de Puteaux a cependant fait appel : l’affaire n’est pas close.

Clairement donc, les blogueurs et autres "journalistes citoyens" ne répondent pas - en l’état actuel du droit français - aux mêmes contraintes que les journalistes professionnels. Un simple constat juridique, qui ne diminue en rien les vertus du Web participatif et, à travers lui, l’implication des citoyens dans les grands débats politiques ou de société.

DES CITOYENS ENGAGES

Car incontestablement, les blogueurs renouvellent le genre journalistique et secouent les journalistes tout autant que les patrons des médias traditionnels. Alors serons-nous demain tous journalistes ? Evidemment non : c’est un vrai métier, qui demande que l’on s’y consacre à temps complet. En revanche, la multiplication des blogs d’opinion semble montrer une volonté citoyenne forte de s’engager dans la société. Déjà pas si mal, non ?



12 réactions


  • Jean Claude BENARD Jean Claude BENARD 7 juin 2006 10:08

    Il en est des bloggers comme des journalistes. Il y a les bons et les mauvais.

    Il est clair que la presse n’a pas envie de défendre un genre qui remet en cause son métier. Notons quand même que les bloggers ne vivent pas de leur plume et n’ont aucune pression financière d’annonceurs.

    On peux toutefois penser qu’à terme, les meilleurs « claviers » soient approchés ou recrutés par la presse officielle. Pourront-ils dans ce cas conserver leur liberté d’expression ?


  • Phil Philippe Gammaire 7 juin 2006 10:30

    Bonjour Jean-Claude, à propos de ta première remarque : qu’attend-on d’un « bon » journaliste ? Qu’il nous délivre, a priori, une info fiable et si possible bien écrite. Mais d’après toi, qu’est-ce qu’un « bon » blogueur ? Quels sont les critères ? A l’inverse qu’est-ce qu’un mauvais blogueur ?


  • Luc Fayard (---.---.65.99) 7 juin 2006 13:46

    Les blogueurs ne sont pas des journalistes... Sauf quand ils sont des journalistes et qu’ils annoncent bloguer en journalistes. C’est pourtant simple ! :) Il faut des années de pratique journalistique pour être un vrai journaliste. Il faut quelques minutes pour être un vrai blogueur. Le journalisme est un métier, le blog un passe-temps (la plupart du temps). L’information n’est pas un produit brut que tout le monde peut créer en un clic. c’est le résultat d’un travail méthodique... Lire ma chronique dans Les Echos : http://www.lesechos.fr/info/rew_comm/4429687.htm


    • Phil Philippe Gammaire 7 juin 2006 15:46

      Nous sommes d’accord Luc. L’objet de ce papier était de faire le point au plan juridique et français. La cour d’appel de Californie n’ayant pas valeur de référence dans l’hexagone... Quant à la pratique journalistique : oui c’est un long apprentissage, oui il y a des bons et des mauvais, oui c’est un vrai métier de « raffineur » de l’info, comme tu l’expliques dans ton papier des Echos. En revanche, je suis moins d’accord avec toi sur l’idée selon laquelle (je te cite) « l’information est par essence un bien dont la valeur croît en proportion de sa diffusion ». La culture de la gratuité sur le Net, ne favorise pas la valorisation monétaire de l’info. Pourtant, il faut bien rémunérer les journalistes qui l’ont produite... A l’inverse, certaines lettres confidentielles comportant des infos de première main sont vendues très chères ; As-tu entendu parler du crowdsourcing (pour info lire ceci : http://www.internetactu.net/?p=6470) ? Cette pratique nouvelle de recherche d’information sur le net, au profit d’entreprises, en est presque inquiétante quant à la valorisation du travail (quel qu’il soit). Je me trompe peut-être, mais j’ai le sentiment que la multiplication des sources d’infos induit (à tort) l’idée que l’information n’a plus de valeur.


    • Pépédéa (---.---.218.193) 7 juin 2006 16:16

      Bonne remarque, même si certains amateurs passionnés arrivent parfois à faire aussi bien que les professionnels. (ceci est une remarque générale applicable à tous les domaines bien sûr)


  • Jack Minier (---.---.80.91) 7 juin 2006 16:39

    Définition du journaliste professionnel (article L 761-2)

    (Loi n° 74-630 du 4-7-74, art. 1er).

    « Le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources. » .../... Sont assimilés aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction : rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l’exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n’apportent, à un titre quelconque, qu’une collaboration occasionnelle."

    Ainsi, la marge qui sépare le blogueur du journaliste professionnel est la même que celle qui en sépare le pigiste : la régularité de ses articles et le fait qu’il soit payé ou non à temps complet pour les écrire. En somme, ça n’est pas une question d’honnêteté intellectuelle ou d’objectivité de l’information. C’est juste une question de caste, de pognon, de place à prendre...

    Je connais des pigistes qui sont bien plus objectifs que certains professionnels, journalistes d’opinion, dans leur manière de rapporter des faits. Ils n’ont pourtant pas droit à leur carte de Presse, non parce qu’ils font mal leur travail (au contraire ! ainsi que je viens de l’expliquer) mais parce qu’ils ne correspondent pas à la définition ci-dessus en termes de régularité et de rémunération.

    Si ça ne tenait qu’à eux, ils ne demanderaient qu’à être mieux rémunérés et travailler régulièrement ! D’où vient donc qu’ils ne soient pas intégrés dans le sérail des professionnels accrédités ?... Parce qu’il n’y a pas de place pour tout le monde dans ce monde là et, là comme ailleurs, on s’accroche le plus longtemps possible à son encart ou sa tribune !

    La Presse détient un POUVOIR qui fait de ses membres éminents une caste privilégiée... Et le pouvoir ne se partage pas !

    ENCORE MOINS AVEC LE POPULO !... Manquerait plus que ça !


  • Ici et maintenant (---.---.178.8) 7 juin 2006 20:10

    Les blogueurs ne sont pas journalistes (Agoravox) Ecrit par blogonautes le 07/06/2006 - 14h59 - Catégorie : Revue de presse Après son article sur les journalistes qui bloguent, Philippe Gammaire s’est penché sur les blogueurs qui font du journalisme, dans


  • Lionel Kaplan (---.---.176.215) 7 juin 2006 22:56

    Je constate surtout que l’intox gagne du terrain, autant sur les blogs que dans la presse dite sérieuse. Quand Libé et France 2 reprennent un gag diffusé sur Internet et le transforment en info (le fameux suicide collectif d’asiatiques suite au report d’un jeu vidéo), cela démontre bien les limites d’un certain journalisme. Les blogs ne sont pas épargnés, beaucoup d’entre-eux - y compris certains blogs renommés - recopiant les infos des autres sans les vérifier, par exemple en multipliant les sources...


    • Phil Philippe Gammaire 8 juin 2006 02:17

      @ Fredleborgne : attend, attend, attend. Quand tu dis « relayer une info juste mais dérangeante est considéré comme diffamation par la justice française », c’est faux. Une info est considérée comme diffamatoire lorsqu’elle met en cause l’honneur de la personne concernée... sans preuve. S’il y a des preuves - dérangeantes ou pas - l’auteur ne peut pas être attaqué, justement parce qu’il parle d’une réalité vérifiée (l’info est juste lorsqu’elle est prouvée). Dans le cas de Christophe Grébert, il a juste relayé sur son blog une information parue dans Le Parisien (qui pour le coup était diffamatoire) et le tribunal a jugé qu’il était « de bonne foi ». D’autre part, pas de « tabou » concernant la presse : parlons des « dérives » que tu evoques.


  • fredleborgne (---.---.35.27) 7 juin 2006 23:19

    Selon moi, les blogueurs ne doivent pas être considérés comme des journalistes, justement parce qu’ils n’ont pas les moyens de vérifier leurs sources. Mais ils doivent avoir le droit de relayer des messages qui leur semblent cohérents et d’exprimer un avis ou une synthèse qui leur appartient. Estampillé « blog », le lecteur n’est pas trompé par l’affirmation info et reste libre de critiquer et de se faire une opinion sur la pertinence du travail du blogueur. Par contre, l’étiquette « blogueur » devrait protéger aussi celui-ci contre des attaques pour diffamation (relayer une info juste mais dérangeante est considéré comme diffamation par la loi française). En effet, jugé comme « irresponsable » sur la validité de l’info, le lecteur peut trés bien ne pas la croire. Il est même encouragé à ne pas croire le contenu d’un blog puisque on ne lui attribue pas le statut d’info certifiée. Donc, il n’y a pas diffamation... Mais le droit d’expression du blogueur, même non cru, est respecté. Malgré tout, quand les citoyens râlent, ça devrait être de l’info. Mais les politiques oscillent entre blague ou bogue, bref n’en tiennent pas compte. Ils devraient peut-être. De plus il serait appréciable que les journalistes soient dignes de la confiance qu’on leur accorde traditionnellement. Car des dérives tous les jours mettent à mal la presse et le malaise croît. Mais ces deux dernières réflexions sont deux autres sujets ...plus tabous


  • bayonne (---.---.129.83) 13 juin 2006 21:37

    oui mais bon, parfois j’aimerais bien que les journalistes fasse un travail de blogueur, parce que quand je vois la qualité des informations qui ne sont pour la plupart que des recopie de dépêche afp, voir écris sans se renseigner pour faire dans le sensationnalisme. un peu comme l’article ici meme a propos de richard stallman.

    le blog de maître eolas est je pense le meilleur exemple de blog amateur, à l’heure actuelle aucun journaliste ne fourni une information aussi juste que maitre eolas, malgré leurs joli carte de presse :).


    • phil (---.---.228.245) 14 juin 2006 01:16

      Bonsoir Bayonne, Maître Eolas ne realise pas un travail journalistique, il fait un blog où il commente le droit et donne à voir la justice de l’intérieur. C’est un témoignage d’expert (très bien écrit je vous l’accorde) qu’il donne à lire. Ouvrez des revues comme « Le particulier », et vous verrez qu’il y a des journalistes qui maîtrisent le droit, ou pour le moins qui font un travail de recherche pour répondre aux lecteurs et présenter des dossiers qui tiennent la route. Vous évoquez l’article consacré à Richard Stalmann : son auteur n’est pas journaliste à ma connaissance. Cela dit je comprend votre réaction (enfin je crois) : il y a d’excellents blogueurs et de mauvais journalistes (et inversement). Mais bon, ne généralisons pas. Mon papier n’évoque que l’aspect juridique qui separe blogueurs et journalistes.


Réagir