lundi 9 novembre 2009 - par JA_FS

Les naufragés des journaux

Le 15 octobre, Acrimed (Action-CRItique-MEDias) organisait une conférence à la Bourse du Travail de Paris sur le thème de « la fin des journaux et l’avenir de l’information », titre du dernier livre de Bernard Poulet, rédacteur en chef à l’Expansion. Sorti en février de cette année, je l’avais lu « en vitesse ». Cette conférence fut donc l’occasion de revenir sur les points importants soulevés par l’auteur, mais aussi celle d’écouter les discussions et questions posées par l’assemblée, essentiellement composée de professionnels de l’information (nés bien avant Internet) et travaillant pour l’AFP, France Télévision, de grands groupes d’édition…

La crise de la presse est à la fois une crise structurelle et conjoncturelle. L’industrie est sinistrée. C’est le chaos parce que l’objet des journaux imprimés n’est pas un produit comme les autres. L’information de qualité est l’une des conditions du fonctionnement de nos démocraties. Or la gratuité et Internet viennent modifier en profondeur la chaine de valeur traditionnelle de l’information.

D’ailleurs, plutôt que de parler de crise de la presse (ce qui en soi ne veut pas dire grand chose), il est préférable de parler de crise de la production d’information d’actualité générale et politique, celle dont la qualité tire le débat démocratique vers le haut ou vers le bas.

Hum…

Impossible de louper cette insistance à rattacher la qualité de l’information au support imprimé et payant. Et pourtant, tout le monde s’accorde pour dire que cette qualité baisse d’année en année, en raison essentiellement d’un manque de moyens, de ressources et de compétences ou de formation. Certains blocages sont culturels.

En tout cas, je n’avais pas saisi à quel point certains journalistes voient Internet comme un ennemi, tout du moins le principal responsable de la crise des journaux payants ; le discours est catastrophiste (à mon avis crispant – un jeune journaliste de 25 ans s’est vu dire qu’il avait choisi le mauvais métier). Internet est pris comme un support et non comme un réseau de systèmes (dont l’imprimé fait partie) ; personne n’a parlé non plus de ce nouveau journalisme de lien, mais tout le monde sait que cette révolution du numérique n’en est qu’à ses débuts. On parle de transformations anthropologiques.

Dès que l’on parle de contenu (Content Producer) au lieu d’information, le journaliste se braque. J’ai un peu l’impression que le débat est plus rhétorique qu’autre chose puisqu’ils font justement référence à la crise de la production d’information. Si l’on veut faire de la rhétorique, autant dire « création » d’information. (Mais comme le mot a déjà été décliné en marketing pour un créateur d’automobile et d’autres produits ou services, mieux vaut éviter…)

Crise du journalisme, crise de la presse et des journaux, le vrai problème, c’est la question du financement de la production d’information de qualité, du reportage, de l’enquête, de l’investigation. Avec la fragmentation des supports, qui a commencé avec la radio dans les années 1920, puis la télévision dans les années 1960, la publicité s’est vaporisée un peu partout, faisant inexorablement baisser les sources de financement de la presse. Et le problème avec la diversification de ses activités informationnelles sur Internet, c’est que les recettes de la publicité on-line compensent d’à peine 10% les pertes enregistrées sur le papier. On le répète, une industrie qui fait naufrage.

Il fut ensuite question de la valeur de l’information et de l’actualité autour de Rupert Murdoch qui a choisi d’appliquer le modèle économique du double marché à l’information publiée sur Internet : information payante pour le client, recette publicitaire de la part d’annonceurs. Toujours aux Etats-Unis, le terminal Bloomberg est un autre exemple illustrant que certains sont prêts à payer pour une information de qualité : Bloomberg loue un terminal de lecture avec l’accès à une information sur mesure, très qualitative pour… 1900 $ par mois (ai-je bien entendu ??) Une remarque judicieuse entendue sur place : où est la R&D dans les médias en France ?

Acrimed, la fin des journaux

Acrimed, la fin des journaux

C’est donc une crise de la production d’information, de la qualité de l’information, de l’exploitation des journalistes à qui l’on demande toujours plus en donnant toujours moins et donc de la désaffection de l’audience (toutes tranches d’âge confondues). C’est même une mutation de la chaine de valeur de la production d’information puisque les médias ont de moins en moins de journalistes, sous-traitent de plus en plus à des agences de presse, perdent de plus en plus d’argent, et sont sur le point de ne même plus pouvoir payer ces agences de presse. Avez-vous signé la pétition pour que l’AFP puisse ne pas changer de statut et rester un service public ? Le serpent semble avoir bientôt fini de se mordre la queue.

A également été évoquée l’idée que l’économie de marché ne fonctionne pas pour financer la presse et qu’il faut donc penser au mécénat. Why not ! Même si culturellement, la France est loin de ressembler aux Etats-Unis. Et pourquoi ne pas financer les supports de l’information adoptés par les jeunes générations plutôt que vouloir leur en imposer certains. Il a aussi été souligné combien les contours de la presse d’information sont bigarrés et combien il existe des marchés de niche et de positionnements particuliers (mais jamais de presse gratuite), comme celui du Canard Enchaîné ou encore du magazine payant XXI, dont les résultats affichent 30 000 ventes par trimestre avec un prix de vente au numéro de 15 euros.

Finalement, j’ai eu l’impression d’assister à une conférence de journalistes plein d’amertume, celle d’avoir perdu « ce lien en rapport avec la masse » ou tout du moins l’idée que l’on s’en fait historiquement dans un paysage monomédia (nombreux sont ceux qui l’on vécu), alors que l’industrie du marketing, dont les entreprises pour lesquelles ils travaillent dépendent largement depuis longtemps, se reconfigure justement autour de la personnalisation et du réseau Internet. J’ai eu l’impression d’entendre des journalistes qui se sentent dépossédés d’une fonction dont des financiers copieraient la forme et ne chercheraient qu’à faire des profits (qui sont de toute façon l’un des paramètres de gestion d’une entreprise dans une économie de marché). Les médias seraient devenus si vérolés par le marketing que leur orientation éditoriale ne dépendrait plus que du besoin des annonceurs ; il est mieux de parler de stress au travail (que tout le monde vit) plutôt que de l’Angola (dont tout le monde se fout).

Quant à l’avenir, il sera au bouquet d’information, choisie à la carte. Autrement dit, une information à deux vitesses : une pour les riches et une pour les pauvres, cette info low-cost que l’on retrouve dans les gratuits. La presse gratuite serait-elle la presse des pauvres ?

Tout ceci est un peu en vrac, vous l’aurez compris. Si ces thèmes vous intéressent, je vous conseille d’aller voir ce reportage sur Stratégies à propos des modèles économiques de la presse avec de très bons intervenants. Et si vous souhaitez discuter de tout cela ici, la parole l’écrit est à vous bien sûr !



3 réactions


  • Zertiop 9 novembre 2009 15:55

    J’ai personnellement entendu ce type de discours pas mal de fois. En fait il y a un angle qui n’est jamais adopté dans le parallèle entre info écrite et info électronique, c’est que si il y a crainte des journalistes papier, c’est parce que internet a virtuellement étendu l’espace des médias jusqu’à l’infini. La question qui se pose au bout c’est jusqu’où la pléthore d’informations qui en naît peut être compatible avec la réalité presque mathématique des besoins du public, qui compose avec des tonnes de sources, et comment ce véritable brouillard d’information peut permettre, ici ou là, l’installation de projets viables. Ce n’est pas anodin, parce que cette mutation des voies de passage de l’info s’opère sur un fond de crise de la légitimité des journalistes particulièremetn sévère. Du coup la question revient à se demander ce qui fonde l’identité de ces projets viables : leur modèle économique ou la nature de leur action ? ça change le point de vue. Il y aurait beaucoup à dire sur le penchant de certains à théoriser sur les modèles économiques sans poser en amont le travail de réflexion que la profession a à accomplir sur elle, et peut être aussi sans voir les solutions qui sont déjà à l’œuvre sous leur nez du côté de la presse spécialisée où l’expertise se paie cher. Toujours est-il que ces théoriciens ont tous un point commun : l’impossibilité de repérer des solutions qui résistent au temps les amène à finir par parler du mécénat. Why not, mais c’est quand même mince.



  • JA_FS jackFischlum 9 novembre 2009 18:23

    Je pense que vous mettez le doigt (ou la plume) là où il faut. Regagner cette légitimité à trier, hiérarchiser, filtrer l’information devrait être le but ultime d’un média faisant travailler des journalistes dans une société où l’information devient si abondante (trop abondante ?).

    Or il n’en est rien, tout du moins pour l’instant. Peut être que ceci illustre la défiance des citoyens à l’égard des médias traditionnels et la qualité en baisse du contenu que l’on y trouve. Le mécénat est une des réponses, car il est pour l’instant le seul modèle qui permettrai de redonner une certaine indépendance aux journalistes (vis à vis des marchands et des gouvernants).

    En tout cas, il est flippant de se rendre compte que c’est au moment où nous avons le plus besoin des journalistes que les médias qui les emploient s’effondrent...


  • Théophraste Renaudot Théophraste Renaudot 10 novembre 2009 11:23

    Pour prolonger la réflexion, inscrivez-vous au débat CELSA - ACP du 26 novembre : « Quel avenir pour le journalisme ? »


Réagir