vendredi 20 août 2021 - par Sylvain Rakotoarison

Louis Mermaz, grognard du mitterrandisme triomphant

« L’Orne reste de droite. J’ai préféré, monsieur, changer de département plutôt que de convictions. » (Louis Mermaz, 1967).

C’était la réplique qu’a donnée le candidat de gauche à un électeur qui lui reprochait son parachutage en 1967 dans le département de l’Isère, de tradition de gauche. Louis Mermaz, ancien éléphant du parti socialiste, fête son 90e anniversaire ce vendredi 20 août 2021, né exactement quinze ans avant un autre éléphant, Laurent Fabius.

Louis Mermaz est probablement l’éléphant socialiste le moins connu du troupeau de l’époque du mitterrandisme triomphant. Sa notoriété résiduelle, il la doit à avoir occupé les fonctions de Président de l’Assemblée Nationale du 2 juillet 1981 au 1er avril 1986 (succédant à et précédant Jacques Chaban-Delmas). Élu par 295 voix contre 149 voix, il devenait ainsi le quatrième homme de l’État, derrière François Mitterrand, Alain Poher et Pierre Mauroy, et à ce titre, il avait une forte visibilité, n’hésitant pas à sanctionner des députés de l’opposition qui auraient fait des déclarations en séance pouvant diffamer le Président de la République.

Pourtant, à l’origine, François Mitterrand pensait plutôt placer le vieux Gaston Defferre au perchoir, mais ce dernier avait insisté pour un ministère régalien, malgré son âge (71 ans). Louis Mermaz, agrégé d’histoire, cultivé, était d’un abord assez distant et réservé, à la voix glaciale, aux propos souvent clivants, mais c’était peut-être du mimétisme, car il a été l’un des compagnons de route les plus anciens et les plus fidèles de François Mitterrand qu’il a rencontré pour la première fois en 1954 (il avait 23 ans) : « Je jugeais qu’il ne devait pas être d’un abord aisé, entouré qu’il était d’une petite foule de dévots, parmi lesquels il se déplaçait dans se commettre. ».

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Admirateur de Napoléon, Louis Mermaz a été le fils d’un ministre sous la Troisième République, mais peut-être faudrait-il plutôt préciser que son père était ministre plus qu’il était fils de ministre, car ce père n’était pas le mari de sa mère, puisque ce dernier était déjà marié à une autre quand il a été conçu. Son rêve d’adolescent fut alors de devenir député. Jusqu’au moment où il a révélé son ascendance (un père adultérin cinq fois ministre), Louis Mermaz vivait dans la trouille d’une telle révélation et craignait que cela ne provoquât un scandale politique. Son père Louis de Chappedelaine (1876-1939) était d’un autre siècle.

Les premières tentatives électorales de Louis Mermaz dans l’Orne furent des échecs. D’où son parachutage dans la ville de Vienne, près de Lyon, en Isère, où il fut élu député à l’âge de 35 ans en mars 1967. Pour l’aider, François Mitterrand l’avait soutenu d’une drôle de manière, très révolutionnaire : « Écoutez, Mermaz a 35 ans. Il peut bien faire un député. À son âge, Danton avait déjà été guillotiné. ».

Ainsi a commencé une très longue carrière de parlementaire, élu et réélu député de l’Isère de mars 1967 à septembre 2001, sauf deux fois, où il fut battu, en juin 1968 (absent du Palais-Bourbon jusqu’en mars 1973) et battu par Bernard Saugey en mars 1993 (absent du Palais-Bourbon de 1990 à 1997). Il y fut consacré au perchoir en 1981, mais aussi président du groupe PS à l’Assemblée Nationale du 23 juin 1988 au 2 octobre 1990. Ensuite, il a préféré la prudence de la stabilité en se faisant élire sénateur de l’Isère de septembre 2001 à septembre 2011, grâce du reste à une réforme du mode de scrutin des élections sénatoriales.

L’implantation locale de Louis Mermaz était totale puisqu’il faisait la pluie et le beau temps dans l’Isère, à une époque révolue du cumule des mandats : maire de Vienne de mars 1971 à mars 2001. Mais sa succession fut un échec. En effet, son premier adjoint Gérard Eudeline, qui vient de mourir à 86 ans le 15 juin 2021, fut battu par le centriste Jacques Remiller qui remporta aussi sa circonscription en juin 2002.

Louis Mermaz fut élu conseiller régional dans les années 1970 et 1980 ; il fut élu conseiller général de l’Isère d’octobre 1973 à septembre 1988, et surtout, il fut le président du conseil général de l’Isère de mars 1976 à mars 1985, une position importante dans le contexte politique (en plus du perchoir). Ponctuellement, une situation défavorable à la gauche lorsqu’en mars 1983, dès le premier tour, un jeune conseiller général RPR avait conquis la mairie de Grenoble, à savoir Alain Carignon.

Aux élections cantonales de mars 1985, l’enjeu était donc très important, celui de garder la majorité socialiste. En cas d’échec, ce serait interprété directement comme un désaveu pour François Mitterrand qui n’a pas hésité à l’aider en changeant l’implantation du nouveau synchrotron, initialement prévu à Strasbourg, pour Grenoble (du reste, son implantation à Grenoble était largement justifiée pour des raisons scientifiques et internationales). Cela n’a pas suffi et Louis Mermaz fut mis en minorité, Alain Carignon fut élu président du conseil général de l’Isère (cumulant avec la mairie de Grenoble), jusqu'à ce qu’une affaire politico-judiciaire l’ait fait chuter.


Comme je l’ai indiqué plus haut, et raconté dans ses mémoires publiées en 2013 ("Il faut que je vous dise", éd. Odile Jacob), Louis Mermaz fut un long compagnon de route de François Mitterrand, au même titre que Georges Dayan, Roland Dumas (qui avait aussi été élu député en 1967, battant Jean Charbonnel), Charles Hernu, André Rousselet, Pierre Bérégovoy, etc. Il a fait partie de ce "commando" qui a conquis le parti socialiste pendant le fameux congrès d’Épinay en juin 1971.

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Lors de la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle en mai 1981, Louis Mermaz rêvait d’être nommé Ministre de l’Intérieur. Mais il n’a eu "que" le perchoir, en échangeant avec Gaston Defferre. Néanmoins, cela ne l’a pas empêché d’avoir une carrière ministérielle remarquable, faible au premier septennat de François Mitterrand et plus étoffée au second septennat : Ministre de l’Équipement et des Transports du gouvernement de Pierre Mauroy du 22 mai 1981 au 22 juin 1981, puis Ministre des Transports du gouvernement de Michel Rocard du 12 mai 1988 au 22 juin 1988 (abonné aux ministères brefs d’avant-dissolution), puis, quittant la présidence du groupe socialiste à l’Assemblée, il fut nommé Ministre de l’Agriculture et de la Forêt dans les gouvernements de Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy du 3 octobre 1990 au 2 octobre 1992, puis Ministre des Relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement de Pierre Bérégovoy du 2 octobre 1992 au 29 mars 1993.

Peu de responsables politiques peuvent se targuer d’avoir poursuivi une carrière politique si brillante, malgré plusieurs échecs électoraux. Toutefois, Louis Mermaz s’est retiré de la vie politique, après une soixantaine d’années d’engagement politique, avec probablement un arrière-goût d’inachevé. En effet, après avoir été élu au perchoir, Louis Mermaz se considérait comme l’un des plus proches de François Mitterrand et il nourrissait une double ambition : être nommé Premier Ministre de François Mitterrand (qui lui a fait miroiter Matignon notamment en mars 1983 et juillet 1984), et aussi être désigné premier secrétaire du PS, en particulier en 1988 puis au fameux congrès de Rennes en 1990.

Or, au contraire de Pierre Mauroy et de Laurent Fabius (et aussi Lionel Jospin mais indépendamment de François Mitterrand), Louis Mermaz n’a eu ni Matignon ni Solferino. Pourtant, François Mitterrand lui avait dit très assuré (mais je le soupçonne d’avoir dit cela à beaucoup de ses interlocuteurs, même à François Bayrou à qui il avait confié : vous serez un jour Président de la République ! ça ne mange pas de pain !) : « Vous êtes l’un des deux ou trois qui pourraient me succéder. Vous avez un visage sévère, mais Poincaré était comme ça. ». Ou comment flatter un bon connaisseur de l’histoire de France en le comparant au grand Raymond Poincaré ? Quelques décennies après l’avoir comparé à Danton !

Si Louis Mermaz s’est progressivement écarté de la scène nationale à partir de 1993 (battu aux législatives et fin de la Présidence de François Mitterrand), ce n’est peut-être pas seulement à cause des aléas de la vie politique, mais aussi de deux terribles drames humains qui ont secoué sa vie personnelle, la disparition de ses deux enfants. Aujourd’hui, avec quelques autres vieux éléphants (comme Édith Cresson, Laurent Fabius, Roland Dumas, Lionel Jospin, Pierre Joxe, Robert Badinter et quelques autres), Louis Mermaz est la mémoire survivante du triomphe de François Mitterrand. Qui ne fut pas le triomphe de la France, bien au contraire, hélas…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 août 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Laurent Fabius.
Louis Mermaz.

Marie-Noëlle Lienemann.
Jean-Luc Mélenchon.
Danièle Obono.
François Ruffin.
François Mitterrand.
François de Grossouvre.
Le congrès de la SFIO à Tours du 25 au 30 décembre 1920.
Le congrès du PS à Épinay-sur-Seine du 11 au 13 juin 1971.
Le congrès du PS à Metz du 6 au 8 avril 1979.
Le congrès du PS à Rennes du 15 au 18 mars 1990.
Le congrès du PS à Reims du 14 au 16 novembre 2008.
Édith Cresson.
Pierre Joxe.
Patrick Roy.
Raymond Forni.
Georges Frêche.
Bernard Tapie.
Michel Delebarre.

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5 réactions


  • Lonzine 20 août 2021 22:43

    juste pour le timestamp


  • ETTORE ETTORE 21 août 2021 21:37

    Deux nécro à la suite....

    Un cirage de pompe à venir !

    Quel rythme ce Ra KoTo !


    • devphil30 devphil30 22 août 2021 07:37

      @ETTORE

      C’est ce que l’on appelle avoir des dossiers

      Merci au gérontologue de nous parler de ces vieux politiciens qui visiblement se porte très bien avec nos impôts et qui leur permettent après une carrière vouée à la France mais surtout aux avantages des fonctions de faire remonter l’espérance moyenne de vie.

      Hélas ce n’est pas le cas des Français moyen malgré cela le poudré les mettre en esclavage à vie par le recul de la retraite , par la complexification pour obtenir le nombre de trimestres et les piquer une fois qu’ils seront inutiles


  • mmbbb 22 août 2021 08:09

    n oubliez une necro de ce monsieur respectable : Bousquet , un ami proche de Mittérrand 


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