dimanche 14 décembre 2014 - par
Musique gratuite, vraiment si inconcevable ?
Taylor Swift a retiré sa musique de Spotify, au motif que ce site ne rémunère pas suffisamment les artistes. Elle est pourtant l'artiste au monde qui a gagné le plus d'argent en 2013 avec 39,7 millions de dollars. Mais cet immense marché de la musique suit-il un modèle viable et juste ?
Depuis des siècles les différents musiciens voulant vivre de leur art n'avaient qu'une seule solution, celle du spectacle. Du troubadour au concert privé, ce sont les classes sociales et par conséquent les moyens accessibles aux artistes qui déterminaient le type de musique produite.
Bien entendu, dans les sphères privées, faire de la musique était et reste gratuit, pour peu que l'on dispose d'un instrument, de fortune ou pas.
L'arrivée des premiers enregistrements sonores, dans la seconde moitié du XIXe siècle, a fondamentalement bouleversé l'accès à la musique tel qu'il était connu. La musique est ainsi devenu reproductible à souhait, et le "direct live" a cessé d'être le seul moyen d'en écouter. Le temps passant, l'inverse s'est produit, jusqu'à notre époque contemporaine où l'on peut aller voir un concert, un spectacle, acheter un CD audio ou un DVD de concert, télécharger de la musique sur internet, gratuitement ou pas, légalement, ou pas.
C'est ce fossé entre la musique légale et illégale qui déchaîne les passions depuis l'avènement d'internet, et me fait m'interroger sur la façon globale de penser "la musique". Et derrière le fait de payer pour écouter, il y a la question de la rémunération des artistes.
Revenons quelques siècles en arrière et prenons pour exemple Mozart ou Beethoven. Pour schématiser, ces compositeurs produisaient leur œuvres, souvent sur commande, pour des mécènes, des bourgeois ou aristocrates. Bref, pour des gens riches ayant les moyens de se payer la crème des compositeurs.
Pour la musique populaire, troubadours, trouvères, encore quelques siècles plus tôt, composaient et jouaient divers airs, chants, connus ou de leur invention. Dans cette jungle qu'était le monde occidental à cette époque, les meilleurs arrivaient à vivre de leur art, les autres... Trouvaient un autre emploi.
Aujourd'hui, quel est la situation ? Quelque part, elle est similaire : il n'est pas facile de vivre de son art. Nous assistons par contre à une petite dérive : on culpabilise nos comportements et télécharger de la musique, certes illégalement mais également pour certains de façon légale (streaming), serait devenu la meilleure façon de "tuer" un artiste.
J'ai pourtant l'impression que c'est l'inverse, et qu'internet et l'impossibilité de le contrôler rétabli un équilibre qu'il me navrait de voir perdu, et le public retrouve ainsi la place qui lui avait été volé de seul "juge".
Concrètement : depuis l'émergence des majors du disque, les fameux labels, la production en masse d'albums était soumise aux choix de certains, sur des critères hautement artistiques comme la rentabilité calculée de l'artiste, des prévisions de bénéfices, planifier combien de sousous iront dans la popoche de chacun, l'artiste en dernier. Bref, du monde de l'entreprise.
Du coup, télévision et radios aidant, la musique populaire a été imposée par certains et les masses, sous perfusions des médias que l'on "subit" (télé, radio). Ne pouvaient accéder à la reconnaissance du grand public que ceux que certains décideurs clés estimaient bankable. Quand aux gens qui produisaient une autre musique, alors bonne chance...
Internet, sorte de cours d'eau rapide et incontrôlable, a brisé ce cercle vicieux et a remis en contact direct public et artistes. Il a également rendu l'accès de toute cette industrie physique (cassettes, disques, dvd) à tout un chacun.
Le modèle qui était en cours s'est vu incapable de s'adapter à ce nouveau monde, où frontières et asservissements artistiques sont devenus caduques. Certains y ont vu un eldorado, mais en voulant imposer aux gens les règles de l'ancien monde, se brisent les dents et pestent contre le voleur caché dans chaque internaute.
Symptôme d'une génération de dirigeants qui ne comprennent pas ce qu'est réellement internet ? Je le crois. Soubresauts d'agonie des milliardaires qui ont fait 800% de bénéfices sur le dos des artistes et du public pendant des décénies et qui s'opposent farouchement à l'idée de ne plus faire "que" 50% de bénéfice ? J'en suis persuadé également.
Pourtant, certains artistes continuent de vivre de leur art. Certains se sont vus directement consacrés par le public, grâce à des initiatives comme le financement participatif (entre autre), preuve s'il en est que l'internaute est prêt à payer, mais refuse des codes dépassés.
Certains artistes continuent à ne jurer que par le contact physique avec le public. Qui ne veulent vivre que par la scène. Mon côté le plus absolutiste aurait tendance à penser que, tels leurs ancêtres qui n'avaient pas le choix et ne pouvaient vivre QUE par le spectacle, on peut aujourd'hui vivre de son statut de musicien et d'artiste uniquement par le même biais.
Que oui, il est peut-être plus sain d'être rémunéré en jouant sa musique, régulièrement, que de la jouer une fois, de l'enregistrer, puis de se remplir les poches en ne faisant... Rien de plus... Jusqu'à la fois suivante ! A condition bien sûr d'accepter de passer par ces divins intermédiaires, les labels, qui certes gagneront eux-même encore plus, mais qui rendront possible le miracle de s'enrichir en ne faisant que multiplier à votre place 5 minutes de talent (quand il y en a).