vendredi 2 novembre 2007 - par sonia

No-lita, no limites ?

Ou comment une marque de vêtements italienne quasi inconnue crée le meilleur buzz de l’année en dévoilant sur des immenses affiches une jeune femme anorexique dans toute sa nudité. De nombreuses voix se sont élevées dans les médias dénonçant la perversité, la complaisance, ou la manipulation de cette campagne. Pour ma part, j’évoquerai la manière dont No-lita s’introduit dans un espace encore peu investi par les marques, celui de la maladie psychique.

Depuis les années 90, la marque envahit de plus en plus l’espace publique, désormais elle s’empare aussi du champ de l’intime. Comme le montre Naomie Klein, dans son ouvrage No Logo, le but de toute marque est d’occuper le maximum d’espace. Ainsi, éducation, philosophie, art, idéologie... sont récupérés par une marque pour se créer une image identifiable. Par exemple, Nike joue au philosophe avec son célèbre slogan « Just do it » et Coca-Cola éduque les enfants en sponsorisant des écoles américaines...

Cette fois la marque No-lita tape fort en récupérant une maladie, l’anorexie, sous prétexte de la dénoncer. La marque se place en institution de santé publique (elle a d’ailleurs obtenu le soutien du ministère de la Santé en Italie) et s’immisce ainsi dans l’intimité de l’être humain dans ce qu’elle a de plus « sacré ».

Le photographe Oliviero Toscani avait déjà utilisé pour Benetton la maladie du sida, provoquant alors déjà un scandale... Aujourd’hui pour No-lita, il va plus loin en exploitant l’anorexie. Contrairement au sida, qui est certes une terrible maladie, l’anorexie n’est pas un virus touchant seulement le corps, mais l’expression de la souffrance et de la névrose d’un sujet. C’est en cela que la marque pousse encore plus loin les limites de l’intrusion dans l’intimité de l’être humain ; l’anorexie est plus qu’une maladie classique, elle est une maladie mentale. Et l’on est en droit de se poser la question de l’utilité de « dénoncer » une telle maladie. Imaginez-vous pertinent une campagne contre la schizophrénie ou la dépression ?

Et cette affiche nous met de force en position de voyeur et même (certes, le mot est fort) de violeur. Car on impose à notre regard le mise à nu totale d’un sujet. La maigreur inhabituelle de la jeune femme la dénude davantage. Son corps semble transparent, sans limite entre l’extérieur et l’intérieur. On voit littéralement le squelette de la jeune femme, elle n’a plus la chair nécessaire pour la protéger.

Le malaise est d’autant plus important que ce corps vulnérable et sans protection n’est que le reflet du désordre intérieur dans lequel se trouve la jeune femme. No-lita s’introduit de force dans le psychisme de la jeune femme, l’affiche nous donne à voir toute la souffrance morale qu’elle peut éprouver. Car ce corps décharné est le reflet de la souffrance et de la maladie mentale de la jeune femme. Cette mise à nu ressemble bien à une mise à mort.

On pourrait objecter qu’exposer son intimité dans ce qu’elle a de plus trash existe déjà : téléréalité, blogs, livres « confessions » sont autant de symptômes d’une société du spectacle vouée à la transparence. Ce qui est nouveau, c’est l’exploitation de cette tendance par une marque et son intrusion sans complexe dans l’âme d’une personne en souffrance.

Depuis qu’Isabelle Carot a posé pour, dit-elle « dénoncer cette terrible maladie », son blog a explosé et la jeune femme ne cesse de courir les plateaux de télévision. A la fois victime et complice, il semble que la jeune femme se soit donnée « corps et âme » au bûcher médiatique en échange d’une fulgurante célébrité... Participant de plain-pied à un formidable plan médiatique entièrement gratuit : blogs, marketing viral, promotion télévision... la marque No-lita doit savourer son succès. Car dans ce jeu, ni la marque, ni Isabelle ne sont dupes. En revanche public et médias se font mener en bateau... Jamais campagne médiatique n’aura été autant manipulatrice, quant à l’anorexie, jamais celle-ci n’aura été autant célébrée...

Sonia Gozlan



8 réactions


  • Francis, agnotologue JL 2 novembre 2007 14:19

    Cet article est très fin. Je suis d’accord avec vous sur ce que «  »cette affiche nous met de force en position de voyeur«  » sinon de violeur parce que «  »Son corps semble transparent, sans limites entre l’extérieur et l’intérieur. On voit littéralement le squelette de la jeune femme, elle n’a plus la chair nécessaire pour la protéger.«  »


  • jakback jakback 2 novembre 2007 16:36

    A quoi d’autre pourrait bien servir la Pub, hormis nous manipuler ? a informer, il serait naïf de le croire !


  • Bobby Bobby 2 novembre 2007 19:16

    Les publicitaires n’ont qu’une seule loi... faire acheter ! (liée... à la vente de leur « produit »)

    Tous les moyens seront bons... dans cette « économie de marché » et les techniques de vente sont de plus en plus souvent élaborées par de véritables techniciens... qui font passer le bénéfice ponctuel de la réussite individuelle (la leur et celle de ceux pour qui ils ont « travaillé » !) avant celui de l’ensemble social qu’ils pervertissent ainsi ! fort « basiquement »...

    Je n’ai pas vu les images dont vous parlez.... peu me chaud ! mais votre analyse me fait penser que la publicité pour le freinage d’une voiture de marque... ne fait pas appel à une réaction bien différente ! (pub ensuite retirée de la circulation par voie judiciaire).

    Faut il, pour vivre, devoir se séparer de ce fléau à grande échelle de la pûblicité ?... des lieux-communs qu’elle utilise comme vecteurs à ses fins mercantiles ?

    Un certain retour vers une qualité intellectuelle n’est-il pas « La » condition néçessaire... à notre simple survie ?

    Bien à vous


  • Aspiral Aspiral 2 novembre 2007 21:29

    Le contraste est nécessaire au « plaisir ». Quand on profane le sacré, on ne peut que connaitre une escalade de scandales, dont on se blase de plus en plus vite. Jusqu’à la violence, fille du viol !


    • Bobby Bobby 3 novembre 2007 18:18

      @ aspiral,

      je comprends ! « Aussi longtemps qu’on pensera trouver les solutions aux problèmes personnels ou sociaux en cherchant leur cause, et la cause de la cause, la finale sera toujours la fabrication de boucs émissaires et puis d’autres et ainsi de suite, dans une ambiance de guerre civile ! »

      Je crois que rien n’a changé !

      Bien à vous.


  • anny paule 3 novembre 2007 14:37

    Dans l’opacité du Politique et de la Finance, dans le LABYRINTHE de la « concurrence libre et non faussée », que reste-t-il à l’être humain, hormis sa propre transparence, (ici celle insupportable de l’image de l’anorexie) à offrir en pâture aux vautours ? Ce que vous dénoncez est éminemment pertinent... Encore faudrait-il que le « public » dans son ensemble y soit sensible ! Les médias traditionnels ne sont pas près de publier ce type d’analyse, hélas !


  • BUOT-BOUTTIER BUOT-BOUTTIER 3 novembre 2007 19:31

    Cette pub, qu’il s’agisse de son dessein ou non, présente tout de même l’avantage de jeter un pavé dans la mare et de lancer le débat autour du diktat sociétal (mode, magazines, médias...) qui impose un ensemble de règles normatives aux corps des jeunes filles, des femmes et depuis peu des jeunes hommes. Isabelle Buot-Bouttier


  • Fares 8 novembre 2007 01:57

    Lancer un débat mené par qui ? Ceux qui sont à l’origine du problème n’ont aucun intérêt à le résoudre : ce serait scier la branche sur laquelle ils sont assis. Les publicitaires ne sont pas ceux qui résoudront les problèmes qui découlent inévitablement de leur fonds de commerce.

    Voir : http://souk.blogsite.org/2007/06/limage-de-la-femme-travers-la-publicit.html


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