jeudi 2 avril 2009 - par Sylvain Rakotoarison

Nouvel Hees pris à Radio France ?

C’est désormais officiel, Jean-Luc Hees deviendra le nouveau patron de Radio France alors que son prédécesseur, Jean-Paul Cluzel, candidat éconduit, laisse une maison en très bon état.


Ce n’était pas un poisson d’avril. Le 1er avril 2009 au matin, le président de Radio France Jean-Paul Cluzel a reçu un coup de téléphone du secrétaire général de l’Élysée Claude Guéant pour l’avertir qu’il ne serait pas reconduit à un second mandat. Un coup de fil confirmé dès le début de la soirée par "Le Monde".


Décision prise

En effet, comme prévu par la nouvelle loi sur l’audiovisuel public, Nicolas Sarkozy a décidé de proposer Jean-Luc Hees au Conseil supérieur de l’audiovisuel pour succéder à Jean-Paul Cluzel le 12 mai 2009. Cette annonce aura lieu dans la journée du 2 avril 2009.

Le CSA devrait entériner cette décision (quel argument recevable pourrait-il sérieusement invoquer contre une nomination présidentielle ?) ainsi que les commissions parlementaires concernées au Parlement (il faut l’absence d’un rejet des trois cinquièmes).

Cette annonce met fin aux nombreuses rumeurs qui fleurissaient ces trois derniers mois.


Beaucoup de succès à l’actif de Jean-Paul Cluzel

Jean-Paul Cluzel avait espéré jusqu’au bout sa reconduction.

Il l’avait encore déclaré le 27 mars 2009 sur Canal Plus en affirmant que les reproches qu’on lui faisait (une malheureuse photo pour le calendrier d’Act’Up et les impertinences de l’humoriste Stéphane Guillon qui tient une chronique quotidienne sur France Inter) étaient très négligeables par rapport aux grands succès qu’il a obtenus en cinq ans de mandat : pacification des relations sociales malgré une gestion plus rigoureuse des deniers de l’État (le budget de Radio France provient essentiellement de la redevance), hausse régulière de l’audience des stations et en particulier de France Inter, mise en ligne d’un site Internet performant pour France Info, préparation de la radio numérique et démarrage du grand chantier de la rénovation de la Maison de la Radio.

Jean-Paul Cluzel, étiqueté chiraquien mais se revendiquant centriste, pourrait penser avec raison que cette décision présidentielle est profondément injuste. Mais les considérations politiques ne récompensent pas toujours (rarement ?) les compétences techniques. Car elles prennent en compte d’autres aspects qui dépassent la gestion même d’un organisme.


Trop d’indépendance ?

Les reproches à propos de Stéphane Guillon sont très significatifs d’ailleurs : on confond souvent l’humour et l’analyse politique (les Guignols de l’Info aussi, qui ont fêté leurs vingt ans). Ce qu’on peut se permettre par l’humour pourrait être odieux par le sérieux d’un éditorial.

La réalité, c’est que Jean-Paul Cluzel se refusait à toute intervention auprès des journalistes. Lui apportait sa vision de la radio et la mettait en œuvre ; les journalistes faisaient leur boulot. C’était peut-être un handicap sous le regard de l’Élysée.

Une indépendance confirmée par cette anecdote qui en dit long : prévu bien avant la polémique sur Dominique Strauss-Khan, un livre coédité par Radio France qui recueille les chroniques de Stéphane Guillon sur Canal Plus est sorti le 19 mars 2009 (juste après le Salon du Livre de Paris). Une date bien mal venue, en pleine polémique et avant la décision présidentielle. Aucun collaborateur n’a osé avertir Jean-Paul Cluzel de cette parution et ce n’est que la veille de la sortie que Stéphane Guillon lui a adressé un exemplaire du livre (au lendemain de son entretien avec Nicolas Sarkozy !).


Quelques imprudences de communication

Jean-Paul Cluzel a commis certainement quelques erreurs de communication depuis de début de l’année. Sa participation imprudente au calendrier d’Act’Up avait surpris la plupart des employés de Radio France alors qu’il pensait l’avoir fait sous le sceau de l’anonymat (ce qui ne l’a pas empêché de l’assumer pleinement). Il a senti la nécessité de plus s’investir dans les médias pour présenter les bons résultats de sa société (il est vrai qu’en grand commis de l’État, Jean-Paul Cluzel est peu connu du grand public).

Le 1er avril 2009 au matin, avant le coup de téléphone fatal, Jean-Paul Cluzel répondait encore aux questions du journal "Le Monde" et avait ironisé, certainement très maladroitement, sur Jean-Luc Hees : « Lui qui est si moderne et dont les capacités stratégiques sont bien connues ? (sourire) Cet homme qui, il y a quelques années lors d’un comité de direction de Radio France, avait déclaré : "L’Internet, c’est la mort de la radio !" ? Moi, je crois au contraire qu’Internet constitue une formidable opportunité à saisir pour notre média. ».

On imagine la tête de Claude Guéant en lisant cette réponse alors que Jean-Luc Hees était considéré comme le candidat de l’Élysée. Peut-être un élément pour précipiter les événements et en finir avec les supputations ? Car le Président de la République devait au départ revoir très prochainement Jean-Paul Cluzel pour lui faire part de sa décision. Un coup de téléphone a semblé maintenant suffisant.


Qui est Jean-Luc Hees ?

Jean-Luc Hees, qui a 57 ans, est un journaliste qui connaît bien la radio publique. Il a été longtemps correspondant de France Inter à Washungton. Il a publié des livres sur la politique américaine qu’il connaît bien comme cette histoire des Présidents américains ou cet essai sur Barack Obama à la suite de ses chroniques dans "Charlie Hebdo".

Ensuite, il présenta longtemps le journal de treize heures sur France Inter, ce qui le fit connaître du grand public.

De 1997 à 2004, Jean-Luc Hees fut directeur de France Inter. Il fut remercié par Jean-Paul Cluzel lorsque ce dernier arriva à la tête de Radio France. Ce sera d’ailleurs avec beaucoup d’amertume qu’il lui laissera les clefs de la maison car il y a eu incompatibilité entre les deux hommes.

Selon Jean-Paul Cluzel, Jean-Luc Hees n’a jamais eu beaucoup de projets pour la radio et n’a pas vraiment montré de réelle vision à long terme.

Depuis deux ans, Jean-Luc Hees assurait sur Radio Classique (la concurrente de France Musique) une émission culturelle "Hees bien raisonnable" puis la tranche matinale.


Hees pion de l’Élysée ?

Le nouveau président de Radio France sera-il un Hees pion de l’Élysée ? Lui-même s’affirme ni de droite ni de gauche, mais il a publié une histoire de la campagne présidentielle de 2007 au titre évocateur : "Sarkozy Président ! Journal d’une élection" (éditions du Rocher).

Il est certain que pour Jean-Luc Hees, cette nomination à un âge déjà avancé de sa carrière constitue en quelques sortes une consécration qu’il ne devra qu’à la seule volonté du Président de la République. Sera-t-il pour autant un relais de l’Élysée auprès des rédactions ? C’est peu probable car lui-même journaliste sait que l’indépendance des journalistes est une donnée ancrée dans leur forte personnalité. Les journalistes l’ont souvent montré : ni allégeance ni rébellion.


Hees, nouveau manager

Ayant accompli la majeure partie de sa carrière à France Inter, Jean-Luc Hees pourrait sans doute bénéficié d’un préjugé favorable de la part des salariés qui préféreraient toujours un personnage maison plutôt que le parachutage d’une personnalité qui ne connaît pas la société (comme par exemple Jean-Marie Cavada).

La nomination d’un journaliste à la tête de Radio France rendra évidemment plus importante encore sa première décision : le choix du prochain directeur général délégué. L’actuel directeur général délégué Martin Ajdari devrait en effet quitter ses fonctions à la fin du mandat de Jean-Paul Cluzel pour en principe devenir directeur général de l’Opéra de Paris auprès de Nicolas Joel (Jean-Paul Cluzel avait été lui-même nommé directeur général de l’Opéra de Paris par Jack Lang en 1992).

La question demeure cependant celle-ci : un simple animateur de radio est-il capable de manager une entité de 4 000 employés dotée d’un budget de 600 millions d’euros ? Nommée à la tête de Radio France par François Mitterrand lors de son accession au pouvoir en 1981, Michèle Cotta, chroniqueuse sur RTL, s’était posé la même question car elle avait connu le même sort et la même angoisse, qu’elle oublia bien vite en devenant dès l’année suivant présidente de la Haute autorité de l’audiovisuel.


Après tout, même sans expérience, cela dépend d’abord de la personnalité.


Bonne route à Radio France !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (2 avril 2009)


Pour aller plus loin :

Radio France et Jean-Paul Cluzel, nouveau symbole de l’indépendance ?

Jean-Luc Hees nommé PDG de Radio France.

Radio France, le bon élève de l’audiovisuel.

Jean-Paul Cluzel sur Canal Plus.

Rumeurs sur la nomination de Jean-Luc Hees.

Quand Jean-Luc Hees dirigeait France Inter.

La réforme de l’audiovisuel public.






14 réactions


  • Souricette 2 avril 2009 11:45

     C’est aller un peu vite en besogne que de reprendre les déclarations de Cluzel au Monde et les resservir quasiment brut de décoffrage.
    D’abord concernant l’audience des chaînes, Cluzel n’est pour rien dans le succès de France Info. Ensuite le Mouv’ est quasiment à l’agonie et France Musique, loin d’augmenter son audience, a décroché significativement depuis la mise en place de l’absurde nouvelle grille en septembre dernier, pour passer loin derrière Radio Classique.
    Ensuite, Cluzel a engagé des travaux de rénovation pharaoniques à l’intérieur du bâtiment, notamment au grand auditorium, dont l’ampleur devrait intéresser la Cour des comptes — du moins c’est à souhaiter. L’affaire du démontage du grand orgue spécialement construit pour la Maison de la Radio dans les années 60 et de l’installation d’un nouvel instrument, dont le coût de démontage-construction à neuf aurait monté à plus de 5 millions (cf Le Point et le Monde de janvier 2008) est emblématique d’un mode de gestion dont Cluzel n’a pas la primeur, mais avec lequel il n’a pas rompu. Par exemple, peut-on justifier que Radio-France entretienne DEUX orchestres symphoniques pour un rayonnement international aussi médiocre (comparez avec l’unique orchestre de la BBC) ?
    Non, le départ de Cluzel ne sera pas une perte. Surtout après l’indéfendable histoire du calendrier Act-Up.


    • Emile Red Emile Red 2 avril 2009 12:01

      A ben c’est sûr, un pédé patron de chaîne, faut pas dec, non mais, et si en plus il devient copain des bobos ultra gauchistes d’act up, il faut le virer.

      En attendant, la comptabilité de Radio France est saine et la cours des comptes n’a rien trouvé à redire.
      Si le nouveau se comporte comme celui qui l’a nommé, je ne donne pas cher de la peau de notre service publique, en attendant il pourra toujours augmenter son salaire de 172%, personne n’y trouvera rien à redire.
      Et puis une fois Guillon viré, ça fera des économies, vous serez enfin heureuse, Souricière.


    • fjr 2 avril 2009 15:28

      Pour les orchestres de la Beeb, je me permets de renvoyer à Wikipedia :
      http://fr.wikipedia.org/wiki/Orchestre_symphonique_de_la_BBC
      A priori, la radio publique britannique disposerait de 5 orchestres...

      Quant aux audiences radio, c’est malheureusement un fait constaté par l’ensemble des groupes de radio (dont le plus touché, NRJ) que dans un cadre de concurrence accrue par internet et plus généralement par l’irruption du numérique (ipods...), les radios thématiques marquent le coup.
      Dans ces conditions, c’est bien normal que le Président de Radio France considère avoir fait du bon boulot en installant sa maison au 1er rang des groupes radiophoniques en France en termes d’audience cumulée.


  • mylena mylena 2 avril 2009 12:47

    Sylvain et Emile ont la mémoire courte, point faible des polémiques sur les personnes.

    Quand Cluzel a été nommé, il était présenté comme un suppôt du chiraquisme, l’ami de Juppé, etc... qui allait remettre de l’ordre et la culture RPR.

    Le voilà maintenant victimisé par les bons apôtres de l’anti-sarkozysme qui lui trouvent toutes les vertus. Peut-être même qu’il est viré parce qu’il est homo ! on voudrait bien nous le faire croire .....

    Son départ est peut-être injuste, mais est-ce si nouveau que cela ?

    Qui disait qu’il fallait que "les têtes tombent et qu’on disent lesquelles". C’était pas un sarkolâtre !

    Sur les sommets, l’oxygène a toujours été plus rare. Ceux qui s’y trouvent le savent parfaitement et ils savent bien comment ils sont arrivés jusque là, alors arrêtons les larmes de crocodile.


  • furio furio 2 avril 2009 13:16

    Alors pour être clair, nous les auditeurs de France Inter ! Cluzel ou Hees on s’en tape comme de notre première chemise. Par contre Cluzel a bien participé à un essai de mise sous bâillon de MERMET ! Alors pour tout vous dire, nous on exige, que GUILLON, PORTE, MERMET entre autres puissent continuer à faire leur formidable "boulot". Si HEES vire comme comme un malpropre ce bon à rien sioniste de val, on applaudira !!!


    • daniel daniel 2 avril 2009 21:45

      Hees ou Cluzel....l’un comme l’autre ne peuvent que respecter "l’indépendance" des journalistes, et des humoristes (ou prétendus tels). La question est de savoir comment, par qui et sur quels critères ils sont recrutés. Mieux vaudrait aussi se souvenir que tous ceux qui paient la redevance ne militent pas nécessairement avec Porte et Mermet. Ceci oblige à plus d’équilibre. Radio Vatican ou Radio Libertaire peuvent dire ce qu’elle veulent (Europe 1, RTL ou skyrock aussi)pour un public ciblé. Radio France a des devoirs plus ambitieux.


  • cimonie raoul 2 avril 2009 13:34

     Cluzel, Hees ou un autre importe peu. Si France inter fait d’excellents scores (de plus en plus d’auditeurs), 
    c’est aussi parce que Cluzel a laisse une totale liberte a ses journalistes. La seule chose qui est scandaleuse, c’est la nomination par le ... comment ca s’appelle deja ? le caniche ? 
    On en verra bien les consequences... 


  • Grégory 2 avril 2009 14:37

    "Les journalistes l’ont souvent montré : ni allégeance ni rébellion."

    Ca se saurait ! 


  • JoHo JoHo 2 avril 2009 15:04

    Eh bien moi j’ai assez confiance en Jean-Luc Hees. smiley
    J’aime beaucoup ses articles et ses livres, comme son style plutôt libre et franc. En tant que grand connaisseur des médias en général et de la radio publique en particulier, je pense que son arrivée à Radio France est plutôt une bonne nouvelle : la liberté de ton ne devrait pas en souffrir (j’aurais beaucoup plus craint pour Mermet et consorts avec un autre que lui) et sa grande culture sera gage de qualité pour la radio publique et ses programmes. J’ai du mal à le voir comme "l’homme de", j’ai foi en son indépendance d’esprit.
    Bien sûr en tant que collaborateur à Charlie Hebdo (dont les chroniques étaient les plus intéressantes du journal, d’ailleurs) il est peu probable qu’il vire Val ! smiley
    Je peux me tromper, mais encore une fois je pense qu’il est le meilleur choix en ce moment.


  • Jonathan Malentin 2 avril 2009 17:56

    Moi qui suis (très) à gauche et auditeur de France Inter, j’aime bien Hees, depuis que j’ai lu ses chroniques flamboyantes dans Charlie. M’étonnerait qu’il vire Guillon, pas du tout son style. Wait and see.


  • Battement d’elle 2 avril 2009 18:25

    il va pouvoir faire la promotion de qui vous savez !

    http://www.acrimed.org/article1569.html
    « L’honneur perdu de Jean-Luc Hees ? » (PLPL)

    Publié le 16 avril 2004

    Lu dans PLPL n°19 (avril 2004) :

    « Le lundi 2 février 2004, l’émission " 90 minutes " (Canal Plus) a diffusé une enquête sur les techniques sirupeuses des laboratoires pharmaceutiques pour gagner les faveurs des journalistes. Extraits :
    " Ce que nous avons par ailleurs découvert au cours de cette enquête, c’est qu’en novembre 2002, le directeur de France Inter avait animé le colloque annuel de Novartis, l’un des premiers laboratoires pharmaceutiques mondiaux. Dans la brochure du colloque, son éditorial rend hommage au laboratoire, puis ont trouve son curriculum vitae. Dans la lettre qu’il nous a envoyée, Jean-Luc Hees s’explique sur cette collaboration avec Novartis :
    "Il est parfaitement exact que j’ai accepté en novembre 2002 de participer, un samedi après-midi sur mon temps libre, à titre privé, avec le rôle de meneur de débat, non à une quelconque manifestation commerciale, mais à un colloque réunissant 2000 médecins." "
    Le reportage ne précise pas si la prestation du docteur Hees fut rétribuée, et si oui combien... »

    En juillet 2003, le Dr Martin Winckler a été " débarqué " prématurément de sa chronique matinale sur France Inter par Jean-Luc Hees. Plusieurs de ses chroniques dénonçaient les agissements des laboratoires pharmaceutiques. Or, leur organisation professionnelle, le Leem, est un des principaux annonceurs publicitaires de France Inter.

    Voir le site de Martin Winckler, et, ici-même L’actualité des médias n°6 (12- 25 juillet 2003) , A quoi sert un "médiateur" ? L’exemple de France Inter, Stéphane Paoli, co-propriétaire de France Inter, Philippe Val se charge de l’épuration de l’Observatoire français des médias, Philippe Val recycle son éditorial purificateur sur France Inter.
    P.-S.


  • Emile Red Emile Red 2 avril 2009 18:47

    L’antichambre du politiquement correct made in Charlie Val Hebdo se renforce, on a pas fini d’entendre des leçons de morale.


  • Coat nonz 2 avril 2009 19:33

    Et le nouveau patron de France Inter est... Philippe Val !!!


    • Christoff_M Christoff_M 3 avril 2009 03:49

       il faut se méfier des petits hommes bruns, apres Hitler et Berlusconi, Sarkozy serre la vis en période de crise et renforce son controle sur les médias... Hess et Val au controle de la propagande officielle...

      De Morand sera tres bien Guillon peut se faire du soucis surtout s’il parle de la femme ou du fils de notre nouveau duce !!


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