lundi 5 novembre 2007 - par JL ML

Nouvelle menace sur la liberté de la presse ?

Le 29 octobre dernier, le comité Balladur sur la modernisation des institutions a remis son rapport à Nicolas Sarkozy. Son texte contient notamment la proposition de créer un « Conseil du pluralisme » qui serait entièrement entre les mains du pouvoir et qui pourrait même prononcer des sanctions contre la presse.

Parlant du pluralisme, le thème abordé par le comité Balladur concerne essentiellement le pluralisme politique dans les médias audiovisuels : « Il serait opportun que la Constitution elle-même comporte un titre consacré à la protection du pluralisme et prévoie qu’un organisme unique serait chargé de veiller à son respect, dans les conditions définies par la loi. » Le comité recommande que « le champ de compétence de cette institution nouvelle recouvre celui résultant de la fusion de trois autorités existantes : le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), la Commission des sondages et la Commission nationale de contrôle de la campagne pour l’élection présidentielle ».

Mais le rapport propose d’aborder également la question des autres médias : presse écrite et organes de communication électronique.

Il reconnaît qu’avancer sur ce terrain est « délicat » : « En effet, s’il est admis que l’actuel CSA adresse aux éditeurs de services de radio ou de télévision des "recommandations" portant sur le contenu même de leurs programmes et qui ont, en jurisprudence, valeur de décisions faisant grief, l’usage de prérogatives de même nature à l’égard de la presse écrite ou des organes de communication électronique serait perçu comme un recul de la liberté de la presse et de la liberté d’expression. »

Aussi le comité « souhaite-t-il que le Conseil du pluralisme ne dispose, dans ces deux derniers domaines, que d’un pouvoir de recommandation simple ».

Mais, ajoute le comité, « le besoin existe d’une institution disposant d’une vision globale des questions relatives au pluralisme et qui soit en mesure d’intervenir avec des instruments variés selon la nature des problèmes posés : fonctions consultatives, recommandations aux pouvoirs publics, avis ou autorisations dans le cadre des procédures administratives, sanctions, rapports annuels sur l’état du pluralisme ».

« Avis, autorisations, sanctions » : les prérogatives de cette "institution" apparaissent tout à coup beaucoup plus contraignantes ! Si l’on comprend correctement la volonté des membres du rapport Balladur, la presse serait alors bel et bien placée sous la surveillance d’une instance de contrôle politique pour ce qui est d’interpréter le pluralisme exercé par les médias.

La composition des membres de ce futur Conseil du pluralisme serait uniquement institutionnelle : « Neuf membres désignés pour un mandat de six ans non renouvelable. Deux de ses membres, dont le président, pourraient être nommés par le président de la République, deux par le président de l’Assemblée nationale et deux par celui du Sénat. Trois autres membres, issus du Conseil d’Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes et désignés par ces trois institutions, renforceraient l’indépendance du Conseil. »

Nous sommes un certain nombre de journalistes et de citoyens à nous être engagés pour la promotion d’un Conseil de presse en France. Nous avons créé pour ce faire l’Association de préfiguration d’un Conseil de presse en France (APCP ; http://apcp.unblog.fr).

L’intérêt de ce type d’instance est double :

- Elle offre une possibilité de réguler (non de contrôler) l’activité journalistique : saisie des plaintes du public, etc.

- Elle échappe au pouvoir politique et institutionnel : elle serait en effet animée collégialement par les journalistes, les éditeurs et le public.

Jusqu’à aujourd’hui, la profession est restée très réticente à l’idée d’une telle instance de régulation. Peut-être évoluera-t-elle quand elle comprendra que la France n’est pas tant que ça à l’abri d’une menace d’imposition par le pouvoir d’un système de régulation.

En effet, les conseils de presse existant dans le monde (et qui fonctionnent globalement bien) ont souvent vu le jour pour empêcher la réalisation de menaces de réglementation agitées par les pouvoirs publics pour réguler l’activité médiatique...



7 réactions


  • Forest Ent Forest Ent 5 novembre 2007 12:04

    Dans le même temps, le gouvernement se propose de supprimer les seuils de détention actionnariale pour la presse écrite et pour l’audiovisuelle.

    http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=30383


  • Vilain petit canard Vilain petit canard 5 novembre 2007 13:38

    De même qu’en son temps, le Ministre des Libertés locales avait pour fonction de renforcer le pouvoir des polices municipales et le rôle judiciaire des maires, le futur « Conseil du pluralisme » de Balladur a pour but le renforcement du contrôle de la presse. Rien d’étonnant, les mêmes auteurs produisant les mêmes effets.

    Quant à ce que vous demandez, c’est une sorte d’Ordre de la Presse. Ça permettrait d’échapper partiellement au contrôle du pouvoir (et encore...), certainement pas à l’accusation d’opacité qui ne manquerait pas de se faire jour...

    Il ma paraît plus profitable de lutter pour imposer par voie législative un seuil minoritaire de participation aux entreprises de presse et de communication, mais ça n’a pas l’air d’en prendre le chemin.


    • JL ML Jean-Luc Martin-Lagardette 7 novembre 2007 15:06

      Non, vous n’y êtes pas ! D’abord, je ne demande rien, ensuite il ne s’agit pas, mais alors pas du tout, d’un ordre, du type Ordre des médecins ou des avocats, mais d’un conseil, de type associatif.

      Je ne demande rien : je suggère au contraire de ne pas attendre qu’on impose qq chose d’en haut, mais que nous nous prenions en mains, nous journalistes, avec les éditeurs et le public, pour régler de façon tripartite les problèmes et les dérives médiatiques. Cela permettrait à ceux qui souffrent des excès des médias d’avoir un recours possible. Cela permettrait aux journalistes de s’expliquer, notamment sur les contraintes dans leur travail, etc.

      Et pour mettre cela en place, nous n’avons pas forcément besoin de loi...

      Pour connaître la philosophie du projet, je vous invite à vous rendre sur notre blog dont l’adresse est indiquée dans l’article.


  • jesuisunhommelibre jesuisunhommelibre 5 novembre 2007 14:40

    Encore des commissions, des commissaires du peuple, des organes de censure.

    Quel besoin de vouloir en permanence tout contrôler ?

    Cette critique s’adresse de la même façon à la commission Balladur et à l’auteur de l’article avec sa commission de journalistes et de citoyens.

    Si vous accordez un minimum de dignité et de respect aux lecteurs, il n’est nul besoin de comité de contrôle. En regardant, écoutant ou lisant un journal le citoyen fait un choix qui est aussi valable que celui de voter. Ou alors, il faut remettre en cause le droit de vote ...


    • JL ML Jean-Luc Martin-Lagardette 7 novembre 2007 15:13

      Il ne s’agit aucunement d’un organe de censure mais d’un comité réunissant les professionnels et des citoyens pour réagir contre les abus. Le jour où vous êtes victime de ces abus, vous pouvez en souffrir, vous et ceux qui vous sont chers, et vous n’avez pas beaucoup de moyen pour demander correction ou réparation quand l’info vous concernant est fausse ou injuste. Le droit de réponse légal est très peu respecté, surtout en audiovisuel. La justice est débordée et coûte très cher.

      Un Conseil de la presse est une instance qui existe en de nombreux pays et sert aussi à rapprocher les médias et leurs lecteurs.


  • brieli67 5 novembre 2007 15:17

    ou plutôt celle concoctée pour ce coup d’état.

    Le suffrage universel pour désigner le chef du gouvernement ne peut qu’entraîner ces dérives de pipolisation et donner les produits qu’on connait. La France et la Pologne sur la même ligne ! Avec un régime parlementaire ce sera plus démocratique cf Grèce Allemagne le politique plus respecté des débats plus sainsetr la presse et les médias cantonnés aux bruits de couloirs ...


  • armand armand 5 novembre 2007 18:18

    La commission Balladur propose rien de moins qu’un retour au système bonapartiste du ’Prince-Président’ Louis Napoléon, qui a existé entre 1848 et 1852 avant que celui-ci ne s’empare de tous les pouvoirs par un coup-d’état. Cela vaut aussi pour le contrôle de la presse.


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