lundi 14 décembre 2020 - par Sylvain Rakotoarison

Patrice Duhamel, ancien manager de l’information

« Il est frappant de voir qu’aujourd’hui, tout le monde ou presque se réclame du gaullisme. Aucune personnalité historique française n’est aussi consensuelle. Cinquante ans après, la personnalité du Général De Gaulle dépasse tous les clivages. Et l’homme du 18 juin symbolise cette unité nationale qui reste un objectif essentiel pour tous les Présidents de la Cinquième République. » (Patrice Duhamel, 2020).



Le journaliste politique Patrice Duhamel a 75 ans ce samedi 12 décembre 2020. Il est le frère du politologue Alain Duhamel de cinq ans son aîné et le père du journaliste Benjamin Duhamel qu’il a eu avec sa compagne Nathalie Saint-Cricq elle-même journaliste (chef du service politique de France 2 depuis 2012), issue d’une grande famille de journalistes de presse écrite. En revanche, aucun lien de famille avec l’universitaire Olivier Duhamel qui a été également député européen socialiste.

Patrice Duhamel a eu beaucoup de fonctions managériales dans l’audiovisuel français. Il est actuellement éditorialiste notamment sur LCI et, sans vouloir le critiquer, car il a un ton plutôt sympathique et humble, je trouve que la valeur ajoutée de ses prestations est un peu faible de nos jours. Un journaliste n’est pas monsieur tout le monde et lorsqu’on se prête au jeu du commentaire de l’actualité, ce qui nécessite une grande culture générale, politique, économique, sociale, etc., il faut aller au-delà des simples jeux de réflexion sans travail. Il faut préparer ses sujets pour apporter rigueur et compréhension des événements d’actualités.

Le travail se voit toujours, comme celui de Maurice Szafran qui, sur LCI, le soir du 9 décembre 2020, a annoncé ce qu’allait dire Jean Castex le lendemain dans sa conférence de presse très attendue sur les mesures sanitaires mises en œuvre pour la période des fêtes. Il venait de recevoir le sms d’un proche de l’Élysée et sa lecture a été le fruit sans doute d’un grand travail de réseautage pour trouver les bons interlocuteurs, ceux qui savent et qui sont prêts à parler (généralement, comme disait Bernadette Chirac, ceux qui savent ne parlent pas et ceux qui parlent ne savent pas !).

Pour Patrice Duhamel, il semble ne carburer que sur ses lauriers. Bon, il a bien le droit puisqu’il a largement dépassé l’âge de la retraite. Enfin, en France, l’âge de la retraite des journalistes est plus proche des 85 ans que des 65 ans. C’est simple, sur les plateaux, on a l’impression parfois que c’est un EHPAD !!! Allez, je ne donne aucun nom…

Je suis mauvaise langue car Patrice Duhamel travaille vraiment mais hors des plateaux. Par exemple, il a rencontré Valéry Giscard d’Estaing en mai 2020 car il est en train de réaliser un documentaire sur les 100 premiers jours des Présidents de la Cinquième République. Pourquoi 100 jours ? Je me souviens qu’on avait parlé des 100 jours de Mitterrand, des 100 jours de Macron. Sans doute un reste napoléonien. Pourtant, les 100 jours de Napoléon, c’était plutôt à la fin de son pouvoir, pas au début.

Eh oui, Patrice Duhamel qui rencontrait Valéry Giscard d’Estaing. À écouter ou lire les nombreuses réactions après son décès, Valéry Giscard d’Estaing avait rencontré beaucoup de monde en une année. Patrice Duhamel, lui, fut interrogé au téléphone par LCI dès le soir de l’annonce de la mort de VGE, le 2 décembre (encore une journée symbolique pour les Napoléon). Réaction à chaud. Patrice Duhamel pouvait faire valoir son expérience puisqu’il a même dit que le "giscardisme" lui a collé à la peau pendant des décennies.

En effet, Patrice Duhamel a commencé sa carrière de journaliste en 1970 au service économie à la première chaîne de l’ORTF (TF1), et qui était le Ministre de l’Économie de l’époque ? Valéry Giscard d’Estaing. Dans ce genre de travail, l’information souvent arrive des ministères, soit pour des données chiffrées, soit pour avoir une idée des projets du gouvernement. En 1974, Patrice Duhamel a ainsi couvert la campagne présidentielle de VGE, et il s’est retrouvé directeur du service politique de TF1 de 1974 à 1981. Un poste d’autant plus stratégique que l’ORTF a éclaté et les différentes antennes ont pris leur indépendance.

Dans ses "Cahiers secrets", Michelle Cotta évoque par exemple cette interview de Georges Marchais, en pleine invasion soviétique de l’Afghanistan, en direct de Moscou, le 11 janvier 1980 dans le journal de 13 heures sur TF1 : « Patrice Duhamel, qui l’interroge, et Mourousi en sont comme deux ronds de flan. (…) Tant d’années pour montrer un autre visage du communisme ! Tant d’années passées à mettre l’accent sur les divergences entre le PC français et le PC russe ! (…) De l’eurocommunisme, du programme commun, il ne reste rien. Aujourd’hui, on peut parler d’alignement. Même si, avec ce culot d’enfer dont il ne se départit pas, le secrétaire général du PC français lance depuis le Kremlin : "Les alignés, c’est Giscard et son gouvernement !". Voilà un moment de télévision que je n’oublierai jamais. ».

Ce furent Patrice Duhamel et Yves Mourousi qui ont inauguré l’interview traditionnelle du Président de la République à 13 heures le jour de la Fête nationale. C’était le 14 juillet 1978 sur TF1. Patrice Duhamel a expliqué sur LCI le 14 juillet 2020 les motivations du Président Giscard d’Estaing : « Il cherchait un nouveau mode d’expression, vivant, pas une allocution mais une interview à bâtons rompus. Le rituel, c’était de commencer l’entretien par des questions sur la dépense, le défilé, pour justifier que ce soit fait dans la foulée du 14 juillet. Je pense aussi que parler à cette date lui est apparu naturel, et qu’il voulait en faire un moment solennel en nous recevant à l’Élysée. (…) Cet été 1978, il était au zénith : la majorité, divisée entre giscardiens et chiraquiens, venait de gagner les élections législatives alors que la gauche avait beaucoup progressé. Donc, il avait sa majorité, un âge flatteur, tout se passait bien pour lui. ».

En 1980 et 1981, il a aussi animé l’émission politique "Le Grand Débat" (interview longue d’un invité politique) mais l’émission n’a pas duré à cause de l’élection présidentielle et du changement de majorité. En particulier, Patrice Duhamel a posé la fameuse question sur les ministres communistes à François Mitterrand dans "Le Grand Débat" du 31 mars 1981, pendant la campagne présidentielle (comme prévu, François Mitterrand n’a pas voulu répondre clairement, on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses propres dépens).



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Lors de la victoire de la gauche, Patrice Duhamel a sur le nez une étiquette de giscardisme encore plus prononcée que Jean-Pierre Elkabbach. Reconversion temporaire. Il est passé un temps sur RMC comme directeur des programmes puis est revenu à la télévision comme directeur de l’information de La Cinq en 1987, la chaîne française de Silvio Berlusconi voulue par François Mitterrand pour assurer ses arrières après son échec aux élections législatives de 1986.

Encore un changement de majorité et Patrice Duhamel est arrivé en 1993 sur France Inter comme directeur des programmes, puis directeur général de Radio France chargé des antennes. En 1996, il est retourné à la télévision publique comme directeur général de France 3 chargé de l’antenne, puis directeur général de France 2 chargé de l’antenne, jusqu’en 1999 où il a évolué dans la presse écrite comme directeur général adjoint du "Figaro Magazine" avant de revenir à France Télévisions comme directeur général chargé des antennes entre 2005 et 2010.

Comme on le voit, les deux frères sont très différents. Alain Duhamel a toujours fait du contenu, analysé au jour le jour la vie politique, avec le délice du passionné, avec ses propres sources qu’il cultive avec patience. Malgré plusieurs propositions, il a toujours refusé des fonctions managériales (genre directeur d’une chaîne etc.) et même politiques, au contraire de son frère Patrice Duhamel qui n’a fait que cela à partir des années 1980, c’est-à-dire qu’il a fait moins du contenu que de l’organisation de contenus.

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C’est un bel exemple pour comprendre les deux trajectoires de carrière pour les cadres de haut niveau en général. La trajectoire managériale, traditionnelle, on gravite les échelons de sous-chef à chef, de chef à surchef jusqu’au plus haut niveau, mais les places disponibles sont de plus en plus rares au fil de la progression de carrière. Et l’autre échelle, moins voyante, celle de l’expertise, on peut aussi monter "haut" mais sans charge organisationnelle, aux États-Unis, on peut les appeler les "fellows" et leurs salaires sont sensiblement les mêmes que dans la filière managériale (ce qui ne paraît pas être le cas en France, moins valorisés).

Une question maintenant : son giscardisme supputé est-il bien réel ? À en lire son livre "Les Flingueurs, anthologie des cruautés politiques" (éd. Plon), sorti en 2014 (coécrit avec Jacques Santamaria), Patrice Duhamel ne semble pas faire bénéficier Valéry Giscard d’Estaing d’un traitement de faveur : « Il y a enfin quelques superbes perles. Et notamment celle-ci, à propos de sa défaite de 1981, qu’il qualifiait en privé de "non victoire" : "Aucun roi de France n’aurait été réélu au bout de sept ans". Une manière très giscardienne d’évoquer la campagne et la polémique des derniers mois de son septennat sur la "dérive monarchique". ».

Effectivemnt, Patrice Duhamel a sorti quelques essais sur l’histoire de la Cinquième République, la plupart du temps en collaboration avec le réalisateur et homme de radio Jacques Santamaria avec qui il a coécrit le scénario du téléfilm sur la vie de De Gaulle diffusé les 2 et 9 novembre 2020 (j’y reviendrai peut-être). Ces livres sont néanmoins plutôt décevants, peu de style, beaucoup de clichés, des petites informations connues depuis longtemps, aucune révélation… au contraire des ouvrages de son frère. À chacun son métier.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 décembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu




Pour aller plus loin :
Patrice Duhamel.
André Bercoff.
Jean-Louis Servan-Schreiber.
Alfred Sauvy.
Claude Weill.
Irina Slavina.
Anna Politkovskaïa.
Le Siècle de Jean Daniel selon Desproges, BHL, Raffy, Védrine et Macron.
Claire Bretécher.
Laurent Joffrin.
Pessimiste émerveillé.
Michel Droit.
Olivier Mazerolle.
Alain Duhamel.

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4 réactions


  • sirocco sirocco 14 décembre 2020 19:56

    « Manager de l’information »... un des qualificatifs ronflants donnés par Rakoto aux lécheurs d’anus.


  • chantecler chantecler 15 décembre 2020 11:57

    J’aime bien « en pleine invasion soviétique de l’Afghanistan ».

    Heureusement qu’il n’y a pas d’Afghanistan en Europe avec ses Talibans , ça serait une tout autre ambiance .

    Pour Rakoto soviétique , socialiste c’est le mal .

    Mais libéral , américain , c’est parfait : vous le voyez écrire invasion américaine de l’Amérique Latine , de l’Irak, du Vietnam , de la Corée ?

    Ou encore invasion anglo saxonne ?

    Quand on représente l’axe du bien on peut tout se permettre ....


  • troletbuse troletbuse 15 décembre 2020 15:28

    Les Duhamel, les bons larbins du pouvoir. Pouaaahhh


  • ETTORE ETTORE 15 décembre 2020 16:59

    Ce qui est quand même bien avec Rakoto...

    C’est qu’avec lui, ce sont toujours les disparus qui sont les....meilleurs.

    Alors, les Duhamel....Attention, à ce que le grand Saint Cricq ne vous croque !

    En fait....c’est un grand nostalgique, ou un nécrophage épicurien...

    Sais pas ! J’hésite, j’hésite, mais alors, j’hésite !


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