samedi 12 janvier 2013 - par Lukas Stella

Quand l’omission crée l’illusion

Un flot d'images surabondantes et de préjugés conformistes, largement diffusés et rabâchés par tous les moyens, crée un réel artificiel où nous croyons vivre. Ces images que nous consommons quotidiennement par les flux de distractions et d'informations sont prises pour la réalité d'un monde qui nous échappe.

"Dans ce vieux monde de machines informatisées, nos prothèses de communication numérique nous isolent chaque jour un peu plus en réduisant au minimum les relations humaines, et nous conditionnent insidieusement jusqu’à notre manière d’appréhender et de comprendre notre situation de survie." 

"L'invention de la crise", Éditions L'Harmattan, 2012.

 

L'accumulation des représentations fragmentées répandue par les médias de masse crée une réalité morcelée du monde où les interactions, les liaisons et les rapports sociaux entre individus ont été exclues. L'ensemble dans son fonctionnement interactionnel n'y est plus accessible, le système global n'est plus compréhensible. L'info en représentation est une mise en scène de morceaux choisis juxtaposés, recomposés en dehors de leur histoire, séparés de leurs situations particulières, une succession de clichés conformes au système. Comme expérience quotidienne de la déformation fragmentée du monde, l'information spectacle est une formation au consentement, l'intégration servile à la réalité marchande. 

Tout ce qui n'est pas compatible avec le monde des affaires se retrouve exclu du spectacle de l'information. Ce qui n'est pas dit dans la communication d'informations est souvent plus important que ce qui est exprimé. Les omissions en disent plus long sur les intentions que son contenu.

Les infos ne vous diront jamais qu'en quelques dizaines d'années, les 1 % les plus riches se sont approprié 99 % des mass-médias. Ils diffusent maintenant de partout leur point de vue, protégeant ainsi leurs intérêts. Les autres médias suivent par peur d'être dépassés. Leur manière de voir les choses, répandue de partout, est une idéologie qui domine tellement le monde, qu'elle n'est même plus perçue comme la propagande de la classe dominante. Ce conditionnement a envahi tout l'espace de son temps. Tout ce qui pourrait nuire aux intérêts des actionnaires de ces multinationales médiatiques est effacé de la réalité qu'ils produisent. Ce qui est tu en dit beaucoup plus sur le fonctionnement.

Suite au krach des Subprimes, nombre de chefs d'État ont déclaré qu'ils allaient réglementer les spéculations financières et s'attaquer aux paradis fiscaux. Les attaques contre la banque suisse UBS ont abouti à la fin du secret bancaire. Elles ont permis de faire croire à une action de grande ampleur contre les évasions fiscales. Mais ce qui n'a pas été dit et qui en dit long, c'est que UBS représentait à peine 2 % des avoirs évadés américains (3 % des français). Cette grande opération politico-médiatique a occulté 98 % des évasions fiscales américaines, masquant le trafic des grands trusts internationaux anglo-saxons et des multiples sociétés offshore par lesquelles transitent plus de 13 500 milliards de dollars.

La Suisse a été prise comme bouc émissaire, et les sanctions surmédiatisées ont permis aux 98 % des évasions fiscales d'être plus florissantes que jamais, bien à l'abri à l'ombre des projecteurs. Les paradis fiscaux sont en pleine expansion dans le silence médiatique. Ce trafic maffieux se développe dans un secret hyperprotégé, ce qui le rend très efficace et prospère.

Ce qui est mis en avant de la représentation du monde cache ce qui gêne les affaires, qui disparaît ainsi du spectacle de l'info. Ce qui n'est pas communiqué est toujours plus important pour la compréhension du fonctionnement des interactions du système. Le conditionnement à la soumission fonctionne par représentations de morceaux isolés du contexte, de parcelles détachées de leur situation en faisant abstraction de l'ensemble, et omissions de l'essentiel trop injuste et trop scandaleux.

La critique de la production de camelotes beaucoup trop éphémères est toujours passée sous silence. Il est aujourd'hui techniquement possible de produire de la qualité en moindre quantité. La plupart des marchandises pourraient avoir une durée de vie deux fois plus longue pour un coût de production similaire, ce qui permettrait d'en produire deux fois moins, et ainsi d'augmenter le pouvoir d'achat et réduire la pollution. Cela pourrait provoquer du chômage, à moins que l'on réduise le temps de travail équitablement par une juste répartition des richesses. Mais ce sujet reste tabou, car il remet en cause tout le système.

La question qui ne sera jamais posée dans les représentations des mass-médias, consiste à savoir qui paye pour l'austérité dans un monde qui n'a globalement jamais été aussi riche. Ce n'est pas une crise de manque de richesse, au contraire. Il y a beaucoup trop d'argent qui circule dans les réseaux trop juteux de la spéculation financière qui parie à la baisse sur les dettes des États affaiblis par leur renflouement des banques, et sur les risques d'une économie ravagée par la récession qu'ils ont eux-mêmes provoquée.

Le volume des dettes des États dépend des notes que les agences de notation américaines leur ont données. Lorsque la note baisse, les taux d'intérêt de la dette augmentent. Ce qui n'est pas dit par la propagande de la soumission, c'est que cette note n'est pas le résultat d'une enquête sérieuse, approfondie et impartiale sur la solvabilité de cet État, mais seulement une référence indexée sur les cours du marché des dérivés, un baromètre des spéculations en cours, un outil financier au service des gangsters de la mondialisation. 

On omet de vous dire que la hausse des taux d'intérêt sur les dettes des États correspond étonnamment aux gains engrangés par les spéculateurs qui misaient sur la baisse. Par ailleurs, en France, le paiement de ces intérêts est une somme à peu près équivalente à la totalité des impôts sur le revenu. On peut donc considérer que ces impôts passent directement dans les poches de ces milliardaires, qui ont organisé ces dettes par des taux d'intérêt prohibitifs et une évasion fiscale sans faille, mise en place dans le secret et le silence médiatique. Ainsi, c'est la majorité des populations qui payent pour surgonfler les fortunes gigantesques d'une poignée d'escrocs, ce petit groupe fermé de la haute bourgeoisie. 

Sous prétexte de sauver l'économie, le renflouement des banques par des États serviles a facilité les trafics des spéculateurs de l'ombre et stimulé les affaires des truands de la finance mondiale. Les liquidités abondent sur les marchés parallèles opaques et les bulles spéculatives recommencent à gonfler dangereusement.

Les informations ne diront rien sur un nouveau krach majeur, bien plus important que celui de 2008, qui semble aujourd'hui plus que probable. Les gouvernements, déjà désarmés, n'auront plus d'argent pour sauver le système, car ils se sont fait plumer et ont déjà tout donné pour les banques et les sauvetages abracadabrantesques des pays en faillite. Pillant les États et ruinant l'économie, ces milliardaires maffieux raflent tout ce qu'ils peuvent avant les autres, et surtout avant qu'il ne soit trop tard...

C'est le black-out médiatique sur ces seigneurs de l'escroquerie globale qui règnent sur un monde d'illusions et de risques, complexe et obscur, le milieu des affaires louches où tout n'est qu'objet de profits et de surexploitation, grands destructeurs de la nature et de la vie sur une planète ravagée. Leur seul projet consiste à en faire plus, en gagner beaucoup plus ; baisser les salaires, les diviser par deux et même plus, supprimer la sécu, les allocations chômage et les retraites, parier sur tout et n'importe quoi, dérober tous les dividendes, s'accaparer tous les intérêts, s'emparer de tous les gains le plus vites possible, monter de nouvelles grandes escroqueries fumeuses encore plus lucratives, tant qu'il est encore temps.

Peu m'importe de prévoir l'imprévisible dans la confusion et les contradictions d'un monde en perdition, à savoir si l'euro s'écroulera avant le dollar, si la bulle financière crèvera avant que la guerre n'éclate, si le réchauffement climatique sera plus meurtrier que les pollutions chimiques ou nucléaires, si les mouvements populaires l'emporteront sur la répression et montée du fascisme... De toute façon, il semble évident que si on les laisse faire, la misère et le "bien pire" restent à venir.

Ce système, qui prétend pouvoir tout contrôler, ne peut fonctionner que si l'on y croit, sans aucun doute. Mais dès lors que les informations deviennent contestables, que les politiciens sont pris pour des menteurs, que les spécialistes experts apparaissent comme des manipulateurs, que la pub devient ridicule et l'exploitation insupportable, alors le conditionnement n'opère plus, l'idéologie dominante se fissure et s'effrite, et les usurpateurs de pouvoir, égarés dans la confusion générale, ne maîtrisent plus grand-chose. Quand l'irruption du désordre déchaîne l'irrespect des règles et le refus des contraintes émergent de multiples possibilités imprévisibles, révélant au grand jour la vitalité des désirs dans l'ébauche spontanée d'un changement inévitable.

 

Lukas Stella

Les inventeurs d'incroyances



1 réactions


  • Deneb Deneb 12 janvier 2013 10:18

    « Ces images que nous consommons.... »
    Je m’arrête là. La sémantique indiquant que l’on consomme de l’immatériel est le cheval de Troie des majors qui nous poussent à la confusion matériel-immatériel, pour que l’internet devient une entité mercantile, au détriment de la liberté d’expression et la liberté tout court.


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