vendredi 2 octobre 2009 - par François Blocquaux

Requiem pour Christian Poveda

Christian Poveda a été exécuté ou assassiné. Sa disparition a suscité indignation et émotion ainsi qu’une prose abondante sur les dangers et l’évolution du métier de photo-journaliste.
 
Avant hier, à la télévision, chez Taddeï, la bande annonce du documentaire tourné par Poveda, Vida loca, a été projetée puis bissée quelques instants plus tard, au cas où l’on n’aurait pas compris les messages véhiculés par ce collage d’images de violence basique : des ados tabassant avec férocité un des leurs, une femme pâmée dans sa douleur, un cadavre difficilement ensaché dans un grand sac de plastique noir, les menaces proférées par un colosse membre d’un des deux gangs qui mettent le Salvador ( Quelle ironie que ce nom !) en coupe réglée,...
 
Et alors ? ai-je envie de dire. Quels enseignements et quelles vérités tirer de cette esthétique morbide et de cette débauche de haine et de sauvagerie, sous-tendue par les gros sous noirs de la drogue ?
 
Qu’apportent ces descriptions, que l’on ne savait déjà, et qui ne sont que la duplication, sous une latitude d’Amérique Centrale, d’autres horreurs, échos sinistres au vers d’Aragon « Et l’enfant de la femme inutilement né ».
Cela valait-il la peine que Poveda coure tant de risques, « traite » avec ces individus sans foi ni loi, joue avec eux à la roulette russe, et, au final risque sa vie et la perde ?
 
« Ne jamais manger avec le diable, même avec une grande cuiller » dit la sagesse des nations.
 
Qui dira la fascination perverse que ces mafieux ont exercée sur le reporter, à l’image de ce qui arriva il y a quelques années au journaliste Tillier qui décrocha une interview de Mesrine et s’en sortit miraculeusement, le corps criblé de balles, l’ennemi public l’ayant laissé pour mort ?
 
L’ivresse que procurent le franchissement des limites et le tutoiement de l’impossible, Poveda n’est pas le seul à y avoir succombé.
 
Le navigateur chevronné qui périt en mer, enlevé par une lame, ce couple de vulcanologes français enseveli par une éruption, ...autant d’exemples de fins tragiques, mais gratuites et suicidaires. 
 
Seule une monnaie funèbre et dévaluée rétribue ces comportements.
 


7 réactions


  • adeline 2 octobre 2009 17:35

    Vous lisez Grack, moi aussi je lis et relis son oeuvre complète et celle de AnnaHarrendt vous dites que ce journaliste est mort de trop avoir mis son nez dans la merde et c’est bien fait pour lui.... détrompez moi , je suis très perplexe la


    • François Blocquaux François Blocquaux 5 octobre 2009 12:28

      Ce qui m’a choqué c’est le manque de recul et de distance, qui altère le force de la démonstration.
      L’écriture ( Gracq, Arendt, qui l’un et l’autre avaient connu des situations dramatiques, Mai 40 et les camps ) oblige à une mise en perspective, à une temporisation, que l’on ne trouve pas chez Poveda, d’autant qu’il abandonne l’image fixe ( une photo ) au profit d’un medium plus sommaire, brutal et immédiat : la vidéo. 
      En tant que mode d’expression, la vidéo est, pour moi, l’équivalent du tag. Et je n’aime guère ce genre de revêtement de murs !
      A vous,


  • La fourmi autodidacte 2 octobre 2009 19:13

    La liberté de presse constamment menacée dans le monde…un clip de sensibilisation



  • Annie 2 octobre 2009 21:00

    Un roman intéressant pour comprendre le rapport entre un photographe ( de guerre en l’occurence) et son sujet : Le peintre des batailles d’Arturo-Pérez-Reverte.
    Sinon, pour Christian Poveda, que je ne connaissais pas, mais me semble mériter mieux que cette eulogie, parce que finalement vous ne pouvez que spéculer sur ses motivations, combien de journalistes, rédacteurs, pigites sont assassinés dans le monde mais plus particulièrement au Mexique si vous exposez la corruption, en Russie si vous faites des reportages sur la Tchétchènie, en Azerbaïdjan, si vous critiquez le gouvernement etc... Les plus grands photographes de guerre Don Mc Cullin, Roger Fenton, Tim Page etc. quelles qu’aient pu être leurs motivations, transcenderont toujours l’accusation d’être des accros aux sensations fortes. Parce que chacune de leurs photos témoignent de leur humanité.


    • François Blocquaux François Blocquaux 5 octobre 2009 12:36

      J’ai lu du Reverte, mais pas l’ouvrage auquel vous faites référence. Je vais combler cette lacune.
      Ne mettez pas dans le même sac Poveda, Don Mc Cullin, Capa, ...
      Ici, une image fixe, composée, dramatique, prise sous les balles ; là, du brut de décoffrage, gore, saccadé.
      Ici, un « tableau ». Là, un tag.
      Ne mettez pas sur le même plan un crapuleux système et un conflit armé.
      Bien à vous.


  • Gabriel Gabriel 5 octobre 2009 13:48

    @ l’auteur

    Et alors ? ai-je envie de dire. Quels enseignements et quelles vérités tirer de cette esthétique morbide et de cette débauche de haine et de sauvagerie, sous-tendue par les gros sous noirs de la drogue ?

    Il est certain que les oeufs ne doivent pas danser avec les pierres. Mais un choix se respecte, cela est un privilège qui se nomme libre arbitre et on en assume les conséquences. Je vous trouve donc un peu sévère.


    • François Blocquaux François Blocquaux 5 octobre 2009 17:33

      Poveda a-t-il eu le choix ? Je pense qu’il s’est, tel l’oiseau hypnotisé par le serpent que va l’avaler tout cru, laissé fasciner par cette brutalité et cette cruauté.
      Il avait signé une sorte de pacte avec le diable, et l’on sait ce qu’il en advient.


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