mardi 26 décembre 2006 - par Paul Villach

Rêver en couleurs avec « Question d’éducation » ?

Le premier numéro du journal de l’Éducation nationale, « Question d’éducation », de septembre-octobre 2006, a-t-on écrit ici-même sur AgoraVox, avait donné dans l’édifiant, façon « réalisme socialiste », avec jolie professeure, sereine et inspirée, à son tableau devant une classe qu’on devinait pendue à ses lèvres - le rêve ! - et scène de gamins se taquinant gentiment pour illustrer la violence scolaire : bel euphémisme !

Voici que le numéro 2 de novembre-décembre 2006 a choisi en couverture d’illustrer la « formation profondément rénovée » des IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres) par une photo pour le moins inattendue : un jeune homme noir en buste, lunettes à monture d’écaille, sourire rayonnant, envahit tout le champ de la photo, tandis qu’apparaît floue à l’arrière-plan, derrière son épaule, une jeune femme blanche qui sourit un peu jaune. À oser s’interroger sur le message que ce journal ministériel veut délivrer, on sait qu’on prend le risque de déclencher un tir de barrage de vigiles mal éveillés enclins à voir du « racisme » partout. Qui sait d’ailleurs si le journal ministériel ne compte pas sur leur manque de discernement pour dissuader d’avance toute interrogation sur son opération ? En quoi cette photo choisie vous gêne-t-elle, objecteront-ils ? Si elle représentait un blanc, poseriez-vous la même question ?

Un paradoxe

Assurément et rigoureusement la même ! Car pour capter l’attention, ce journal use du leurre de l’insolite et même du paradoxe : est-ce que la photo en gros plan d’un individu, quel qu’il soit, est de nature à illustrer la réforme d’une institution ? Quel surplus d’informations la photo d’un jeune homme ou d’une jeune femme peut-elle donner sur cette prétendue rénovation des IUFM ? Pourtant, si le journal a choisi tel type de jeune homme plutôt que tel autre, n’entend-il pas livrer ainsi des informations supplémentaires ? Le paradoxe a donc une solution.

Une métonymie et un symbole

Cette solution réside-t-elle dans la métonymie qu’on trouve dans cette image, puisque toute image est une métonymie présentant la partie pour le tout et/ou l’effet pour la cause : ce jeune homme est-il donc l’effet provoqué par la cause que serait la rénovation des IUFM ? Faut-il, en outre, voir en lui le symbole de la minorité noire française et donc en déduire que cette minorité est la grande bénéficiaire de la réforme des IUFM ? Le personnage donne, en tout cas, l’impression d’en être convaincu par son sourire éclatant et par son regard planté dans celui du lecteur, selon le procédé de l’image mise en abyme qui feint de créer une relation interpersonnelle pour rendre le message plus persuasif. Un contraste violent tend à confirmer cette lecture : le deuxième personnage, une jeune femme blanche, est rejeté délibérément, flou, en arrière-plan, tandis que le jeune homme noir rayonne au premier plan. Et les deux personnages ne s’opposent pas seulement par la qualité de leur sourire mais aussi par leur apparence physique : la prestance dynamique du jeune homme tranche avec la grâce un peu éteinte de la jeune femme.

Une contradiction entre photo et texte

Or, cette lecture n’est nullement confirmée par les deux pages intérieures consacrées à la réforme des IUFM. On y apprend qu’elle comporte quatre volets principaux : le rattachement des IUFM aux universités, des stages obligatoires en entreprise, une formation bivalente pour enseigner deux disciplines, et un suivi pédagogique des nouveaux professeurs. Qu’est-ce que ces projets ont à voir avec la signification possible de la photo de première page ? Rien ! La photo choisie paraît hors-sujet.

Un leurre de diversion sous forme de métaphore ?

Puisqu’on ne saurait soupçonner le journal d’ avoir commis pareille bévue, on en déduit donc qu’il assigne à cette photo une autre fonction . - S’agirait-il, dès lors, d’un leurre de diversion ? Le journal n’aurait-il pas usé d’une simple métaphore pour faire croire à une rénovation profonde des IUFM, dont la radicalité serait identique à l’opposition entre l’image de ce jeune homme noir à lunettes d’intellectuel et l’image stéréotypée que l’on a, par intericonicité, d’une minorité noire identifiée à tort à des jeunes de banlieue à capuche ou aux joueurs majoritaires de l’équipe de France de football  ? - Mieux, le journal n’aurait-il guère emprunté, aux personnages qu’il exhibe, que leur couleur de peau ? Les idées de « visibilité des minorités » et de « discrimination positive » étant à la mode, le journal s’en serait servi aussi pour signifier que « la formation profondément rénovée des IUFM » opposerait à l’avenir les IUFM d’hier à ceux de demain... comme le blanc au noir ! Histoire de faire croire que les fameux IUFM tant décriés reprennent des couleurs !
- Mais, intericonicité aidant, on est amené à se demander si ces couleurs ne s’apparenteraient pas un peu à celles des universités américaines, non seulement dans leur diversité ethnique - ce qui est éminemment souhaitable - mais surtout dans leur fonctionnement particulier - ce qui l’est peut-être beaucoup moins.

On ne voit pas, en tout cas, ce que l’enseignement a à gagner avec des professeurs « bi-praticiens », quand la maîtrise d’une seule discipline requiert déjà tant de temps et d’efforts pour un enseignement décent : on voit plutôt ce que l’enseignement va y perdre. Dès lors, "chassez le naturel, il revient au galop ! " Trahi par son inconscient, le journal ministériel aurait-il donc commis un « lapsus imaginis », au point d’illustrer sans le vouloir le projet de rénovation des IUFM en renvoyant le lecteur à la charge symbolique traditionnelle du blanc et du noir dans la culture occidentale, après l’avoir fait rêver en couleurs ? Frantz Fanon, psychiatre antillais, avait excellemment analysé, en 1952, le mal-être de ses compatriotes dans un essai intitulé Peau noire et masque blanc. Viendrait-il maintenant à l’idée du journal ministériel d’inverser les ingrédients de ce mal-être et de promouvoir la norme d’une « peau blanche à masque noir » ?



20 réactions


  • chantecler (---.---.4.20) 26 décembre 2006 10:40

    @ Paul Villach ! Je ne sais quoi ajouter à ton article,j’ouvrirai mon Larousse ou irait sur Wikipédia pour vérifier les sens de termes que je n’utilise pas tous les jours,ce qui n’est pas une corvée....Par contre,j’aurais aimé un lien pour avoir une idée de la photo et de certains articles de ce bimestriel.


    • chantecler (---.---.4.20) 26 décembre 2006 10:42

      rectif:irai


    • Paul Villach Paul Villach 26 décembre 2006 10:53

      C’est la rédaction d’’AGORAVOX qui a oublié de mettre la photo que je lui ai adressée avec l’article ! Je viens de lui demander de la publier. Excusez-la : les lendemains de fêtes sont parfois difficiles ! Paul VILLACH


    • chantecler (---.---.4.20) 26 décembre 2006 11:01

      A qui le dis-tu et pas seulement les lendemains de fête !


  • Le furtif (---.---.145.82) 26 décembre 2006 11:03

    S’il vous plait monsieur Villach, ouvrez le paquet et dites-nous ce qu’il y a dedans...

    Meilleurs voeux

    Le furtif


  • CAMBRONNE CAMBRONNE 26 décembre 2006 11:22

    Cher professeur

    Interessant comme d’habitude mais on sent les lendemains de fêtes. Je vous soupçonne fort de vous être livré à un exercice de style cher à nos professeurs de Lettres qui nous faisaient trouver dans chaque auteur des subtilités qui lui auraient probablement parfaitement échappé . Pour exprimer le fond de ma pensée de manière plus rustique , vous sodomisez les diptères .

    Et d’ailleurs votre étudiant noir est il africain d’afrique ou antillais , peule ou congolais ?

    Ces propos pour simplement vous agacer car je suis la plupart du temps d’accord avec vous .

    Salut et fraternité .


    • (---.---.246.170) 26 décembre 2006 15:26

      Cher Cambronne, détrompez-vous ! Ce que vous prenez pour une misère faite à des mouches, est très sérieux ! Voyez un commentaire un peu plus bas ! Paul Villach


  • docdory docdory 26 décembre 2006 13:26

    @ Paul Villach

    Ce journal « question d’éducation » qui semble être le journal officiel de l’éducation nationale , et n’existe que depuis peu , puisqu’il s’agit du numéro deux , est vraissemblablement envoyé gratuitement aux membres du corps enseignants , qui , tels que je les connait , n’iraient pas dépenser leurs émoluements trop maigres à leur goût pour acheter cette prose « bien-pensante ».

    J’imagine donc qu’il est tiré en quadrichromie à quelques dizaines de milliers d’exemplaires , rédigé par une bonne dizaine de fonctionnaires à plein temps , et encore plus de secrétaires et spécialistes en typographie , payés par les citoyens contribuables que nous sommes tous , consomme un hectare de forêt à chaque parution , et va probablement directement , ou après un bref coup d’oeil , à la poubelle ...

    A notre époque caractérisée par une abyssale dette publique , la République Française pourrait parfaitement se dispenser de ce genre de dépense somptuaire , et utiliser ces fonctionnaires à faire un travail utile , ce n’est pas ça qui manque !!! ( Par exemple surveiller les cours de récréation pour éviter d’affreux drames ... )


  • Anouchka (---.---.47.196) 26 décembre 2006 15:21

    A mon humble avis la jeune fille est d’origine Nord-Africaine. Le message subliminal est qu’il va y avoir de la discrimination positive dans l’air et qu’on peut compter sur les IUFM pour mener ce type de recrutement. Mais votre analyse était cependant très intéressante et, comme l’a signalé un précedent commentateur, j’ai pu enrichir mon vocabulaire. Cela me permettra de briller quand je passerai à la télé smiley


  • ZEN zen 26 décembre 2006 15:52

    Analyse intéssante pour elle-même.De la bonne sémiologie qui me rappelle le Roland Barthes de ma jeunesse et son école...

    Il n’y a pas de « lapsus imaginis », je pense qu’il y a eu volonté délibérée de faire jeune, innovant, moderne...pour masquer la misère pédagogique et préparer les esprits aux mesures forcément « modernes » qui s’annoncent...De grosses ficelles quand même !...


    • ZEN zen 26 décembre 2006 15:54

      Analyse INTERESSANTE , je rectifie


    • geveka geveka 3 janvier 2007 02:34

      Question :

      Qui produit cette « misère pédagogique » ?

      Personnellement je n’en reviens pas de tant de négativité. Peut on espérer un jour lire quelque chose qui nous informera sur les réussites dans l’éducation ? Si il y a faillite, vous les enseignants, vous avez le devoir de trouver des solutions, de faire des propositions.


  • Zamenhof (---.---.246.122) 26 décembre 2006 18:35

    Non, cette photo ne me gêne pas ! mais elle me fait rigoler doucement : c’est vrai que la photo n’a certainement pas été choisi au hasard, mais savamment concoctée par des « créatifs » de la « communication » - comme on dit maintenant ! - ça sent le « réalisme socialiste », euh non, le « politically correct », à plain nez, bref la propagande obligée et bien pensante.

    Et puis ç’est ça aussi que d’apliquer les méthodes de l’« entubage » commercial (en d’autres termes la pub, pardon ! la « communication » !) à des journeaux « sérieux », à tout en fait, ça répand une drole d’ambiance, c’est le premier vice de notre société, et c’est lié à tout le reste ....


  • La Taverne des Poètes 26 décembre 2006 20:13

    Eh bien moi, je vois juste un jeune type à côté duquel pose une jeune femme. Point. Comme quoi, une image peut être sujet d’interprétations diverses et même, dans mon cas, de pas d’interprétation du tout. Si ! Il faut reconnaître que le type a une expression bien plus naturelle et intéressante que l’autre personne. Il dégage plus d’optimisme et de bonne humeur. Mais, bon ça, c’est subjectif.

    Sinon, vous en pensez quoi des bandes rouges et du rond rouge ? Serait-ce pas une infiltration de l’esprit syndico-communiste ?

    Merci d’avoir fait connaître une publication qui passe inaperçue !


  • Le péripate Le péripate 26 décembre 2006 22:10

    Vous faites une remarque dont vous n’avez peut-être pas vu vraiment toute la portée, à propos des universités américaines. En effet, si l’on regarde attentivement, la jeune femme n’est pas blanche. Elle est latino. Or, on est latino seulement au USA. Conclusion (personnelle, bien sûr). Cette photo est une photo américaine, c’est à dire que le jeune homme et la jeune femme sont américains. Le pays où l’on est ou blanc, ou noir, ou latino.

    Reste à savoir pourquoi une revue française utilise des photos américaines.

    Le Peripate.


  • (---.---.37.37) 26 décembre 2006 22:21

    Sodomie de dipteres, comme quelqu’un l’a dit. Franchement, ecrire ca ou rien, a la fin de l’article c’est pareil...


  • clairette (---.---.135.40) 29 décembre 2006 13:56

    Je viens juste de voir l’article, je n’ai pas eu le temps de le lire en entier et j’ai aussi parcouru quelques commentaires.

    Toutefois, je regarde attentivement la photo et je vois que le « jeune homme » n’a rien de « jeune » à moins que l’on soit encore un jeune homme en frisant la quarantaine ! Ou alors il vient de reprendre des études de formation à l’âge adulte, ce qui me paraît tout à fait louable et plus conforme à son âge...

    Il me paraît aussi que la jeune femme (plus une jeune fille non plus) est de type latino. Alors je pencherai comme l’a dit un intervenant pour une reproduction de photo étatsunienne...

    M. Villach, pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? (avant que je reprenne une lecture approfondie)

    merci et cordialement.


  • Oeil de Lynx (---.---.247.112) 4 janvier 2007 17:17

    Moi ce que j’y vois, c’est très simple : c’est que le métier d’enseignant, parce qu’il est de plus en plus difficile, risque de repousser de plus en plus les jeunes français « de souche » et que l’on devra faire appel pour ce métier d’O.S intellectuel à de plus en plus de jeunes français originaires de nos ex-colonies.

    Ce phénomène a commencé dans les années 60 : quels étaient les français « d’origine » qui voulaient alors balayer nos trottoirs, assembler nos automobiles dans les chaînes de montage, ou construire dans le BTP ? Nos immigrés.

    Aujourd’hui cette désaffection touche de nouveaux métiers moins « manuels » comme ceux de la santé (infirmières, médecins généralistes etc..) et de l’éducation : tous ces métiers qui s’exercent au contact d’humains sont de plus en plus difficiles et demandent beaucoup de sacrifices et d’engagement. (Je précise que je suis enseignant...)

    Et les plus courageux et les plus volontaires pour les exercer vont être de plus en plus les français issus des « minorités visibles » qui ont soif d’intégration et de reconnaissance.

    C’est peut-être le double message que veut transmettre cette photo :

    1) Message à usage actuel : « Français, que vous le vouliez ou non, attendez-vous à voir devant vos enfants plus en plus de jeunes enseignants français d’origines diverses ».

    2) Message d’anticipation plus subtil aussi derrière lequel on peut deviner un effet d’ annonce : « Français, quand même les français »d’ailleurs« ne voudront plus eux-mêmes exercer ce métier impossible, il faudra faire appel à de jeunes coopérants étrangers : et à cela aussi, il faudra vous y faire ! »

    Voilà : ce n’est qu’une simple interprétation, modeste, parmi tant d’autres possibles....


  • Krokodilo Krokodilo 4 janvier 2007 17:49

    Corrigez-moi si je me trompe, mais la vogue des professeurs « bi-praticiens » a commencé à cause du problème des langues vivantes, lorsqu’on a décidé soudainement qu’il était bon de faire une initiation aux langues à l’école primaire, ce qui veut dire en fait à l’anglais, et parfois à l’allemand... A prix constant, naturellement.

    Puis on a remonté la chaîne : les IUFM devront former et certifier cette nouvelle capacité des instits (pardonnez-moi, j’aime bien l’ancienne appellation), qui eux-mêmes devront, pour présenter le concours, choisir une langue en option, etc.

    Pour garder la théorie du plurilinguisme facile et souhaitable pour tous, on tord la structure dans tous les sens jusqu’à ce qu’elle s’adapte au dogme ! Car envisager que la théorie puisse être fausse ou inadaptée... Ce n’est pas dans les habitudes des rectorats et de tous les hauts conseillers pédagogiques de l’Education nationale.


    • (---.---.237.196) 4 janvier 2007 19:07

      À ma connaissance, si on excepte les « Lettres classiques » (Français, Latin, Grec), le collège a connu, à partir des années 60, les PEGC (professeurs d’enseignement général de collège), recrutés en hâte, y compris parmi les instituteurs, pour faire face à la vague démographique d’alors : ils enseignaient sans broncher 2 disciplines plus ou moins connexes. Ils ont été en général intégrés parmi les « certifiés » par promotion interne. Paul Villach


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