vendredi 3 février 2006 - par didier

Volte-face médiatiques et absence d’autocritique de la presse

Les médias d’informations sont trop souvent les caisses de résonance des mêmes évènements, dont l’importance se mesure artificiellement à l’aune du nombre de lignes, de mots ou d’images que les journalistes ou/et animateurs leur consacrent. Chacun exprime son opinion sur ce dont « tout le monde parle », colle à l’actualité pour se sentir à l’épicentre du séïsme informatif. Puis la machine médiatique s’emballe, déraisonne, jusqu’à un seuil limite qui la court-circuite. Un nouveau réflexe d’adhérence impose alors une nouvelle mode.

Nous vivons actuellement un fait médiatique hors norme, que peu d’observateurs - à ma connaissance - ont analysé sous cet angle. Ce qu’on appelle communément " l’affaire d’Outreau " est à ce titre un vrai cas d’école.

Le même évènement donne lieu à deux surenchères médiatiques successives, radicalement opposées : la première consiste à accabler les prévenus, influencée par le retentissant procès " Dutrou" . Tout comme pour " l’affaire Baudis ", une grande partie des médias d’informations, emportée par le fantasme des réseaux pédo-criminels, a préjugé de la culpabilité des accusés d’Outreau. Aucun journaliste -ou presque- ne dénonçait à l’époque les méthodes arbitraires du juge et les dysfonctionnements de l’appareil judiciaire - police comprise - dans l’instruction du dossier.

Mais en général, lorsque les journalistes se fourvoient ainsi, ils se font par la suite d’une extrême discrétion, à défaut bien sûr de faire leur mea culpa. Pour l’affaire d’Outreau, c’est tout le contraire : la victime a changé, mais le ton se fait toujours aussi véhément et péremptoire. Les coupables idéaux d’hier se sont transformés en gens simples et doux, à l’image de chacun d’entre nous, et cette justice, qui démantelait enfin une organisation monstreuse, est devenue - a posteriori bien évidemment - une institution dangereuse et inique.

Ces deux interprétations opposées du même fait judiciaire, mais similaires dans leur approche évènementielle, synthétisent tristement l’impasse dans laquelle s’engouffrent les principaux médias d’informations, sans le moindre état d’âme.

Le réflexe d’adhérence impose la surenchère, afin de se singulariser. Ce n’est pas le choix du sujet essentiel qui distingue les différents médias en position dominante, c’est, dans le meilleur des cas, son traitement à géométrie variable (avec, dernièrement, les fameuses caricatures du Prophète).

Se pose alors la question cruciale du pluralisme de l’information.



4 réactions


  • argoul (---.---.18.97) 3 février 2006 13:17

    Vous avez raison sur l’analyse mais le diagnostic peut être affiné. Je crois qu’il existe, dans l’univers mental français, une « guerre de religion » latente qui remonte au moyen-âge (Cluny vers 1100). Je crois que les guerres de religions ouvertes sont le sel de la politique pour les Français qui n’ont - donc - jamais appris l’attitude de compromis des politiques adultes (chrétiens/cathares ou hérétiques, protestants/catholiques, révolutionnaires/royalistes, girondins/montagnards, calotins/sans-culottes, dreyfusards/antidreyfusards, communistes/partisans du monde libre, etc.). Je crois que reconstituer sans cesse une opposition binaire bien/mal, droite/gauche, libéraux/jacobins, humanistes/autoritaires (et j’en passe) est un (mauvais) réflexe journalistique, mais bien ancré du côté germanopratin (voir par ex. ma note sur Villepin vu par le NObs). Je crains donc qu’il s’agisse moins de « surenchère » que d’incapacité à raisonner autrement qu’en noir et blanc. Ce qui nous prépare des lendemains difficiles...


  • (---.---.41.103) 3 février 2006 16:07

    > ... que peu d’observateurs - à ma connaissance - ont analysé sous cet angle ...

    L’association ACRIMED (Action-CRItique-MEDias) a déjà relevé et analysé le rôle des médias dans cette affaire. Un dossier complet est consultable sur leur site : www.acrimed.org.

    Bonne lecture.


  • Sic Transit (---.---.97.141) 5 février 2006 08:58

    C’est ce qu’on appelle « hurler avec les loups ». Quelque chose d’à la fois moutonnier et féroce. Comme en plus c’est spectaculaire, c’est certainement plus intéressant pour les médias en terme d’audience. Les médias me font parfois penser à ces pleureuses professionnelles que dans l’antiquité on faisait venir aux enterrements pour hurler et pleurer.

    Il y a certainement aussi, concernant les médias et leur audience, une forme de psychologie des foules. Même les blogs n’y sont pas immunisés lors des buzz divers, et ces mouvements de foule de l’opinion prennent le pas sur l’intelligence collective et le recul et l’autonomie critique.


  • diaugene (---.---.108.28) 24 février 2006 16:36

    Je crois qu’on a la presse qui nous ressemble. Les contrastes parfois surprenants de l’etoffe gauloise etant bien anterieurs a la naissance de la presse, je trouve personnellement qu’elle reflete assez fidelement une identite parfois (trop souvent ?) versatile et contradictoire, la notre ! Il suffit de questionner quelques observateurs etrangers pour s’en convaincre. La presse, bien integree au concert populaire, dispense l’information qu’attendent ses lecteurs.

    Ca peut deplaire aux « puristes », mais poser la question du pluralisme de l’information....c’est ouvrir la porte a des derives dangereuses. Chacun est libre de lire, ne pas lire, zaper, choisir son media. Didier, dans son zele d’enseignant, nous proposerait-il des « lectures dirigees » ?


Réagir