mercredi 11 janvier 2012 - par Albert Ricchi

7 mesures pour une meilleure contribution de la finance et des banques à la collectivité

Un nombre toujours plus important d’économistes et d’intellectuels proposent des solutions pour refonder le système économique et éviter une grave dépression en Europe et dans le monde.

Mais si de vraies solutions existent pour sortir définitivement de la crise, les gouvernements des plus grands pays ne sont pas prêts à prendre toutes les mesures nécessaires pour enlever le pouvoir aux acteurs financiers afin de satisfaire les besoins fondamentaux de la société…

L’aventure désastreuse de la banque franco-belge Dexia est un bon résumé des effets de la déréglementation financière actuelle : de la privatisation du Crédit Local de France en 1996 au démantèlement de Dexia en 2011, en passant par la création de Dexia, sa plongée à corps perdu dans la spéculation, son refinancement sans contrepartie par les Etats français, belge et luxembourgeois en 2008, la continuation de ses activités spéculatives jusqu’au naufrage final en octobre 2011.

Ce seul exemple montre que l’espace économique européen et plus généralement le marché mondial exigeraient que l’on prenne enfin des mesures nouvelles strictes pour assurer une meilleure contribution du monde de la finance à la collectivité.

- Confier à nouveau la création monétaire à l’Etat
Il n’est pas normal que les banques privées puissent aujourd’hui emprunter à 1% auprès des banques centrales pour prêter ensuite aux Etats entre 3 et 7%. L’Etat doit reprendre le contrôle de la création monétaire et retrouver la possibilité de monétiser sa dette en revenant sur la loi de 1973.

- Créer un grand pôle public bancaire
Les immenses profits des activités de détail des banques montrent que cette activité est un oligopole non concurrentiel qui vit, telle une sangsue, sur le dos de l’économie réelle et de ses clients. L’Etat pourrait donc instaurer une plus grande concurrence en créant une grande banque publique (autour de LCL ?) qui proposerait ses services à des tarifs raisonnables.

- L’Etat doit devenir actionnaire des banques aidées
En cas de problème, quand une banque aide un individu ou une entreprise, ce n'est jamais gratuitement qu'elle le fait : elle consent un prêt ou un placement…Aujourd'hui, pourquoi devrait-on traiter les banques différemment ? Au lieu de dilapider l'argent, les états devraient devenir actionnaires et faire des placements dans les banques. C'est ce qu'ont fait Gordon Brown au Royaume-Uni et Barack Obama aux Etats-Unis quand les banques étaient menacées de faillite. Ils ne les ont pas renflouées gratuitement, ils ont investi dans ces banques avec des actions et placements. Et seulement un an après, les contribuables ont tiré profit de cet accord !

- Séparer à nouveau les banques de dépôt et d’affaires
Pour protéger les banques de dépôt des excès des marchés, la Grande Dépression avait enfanté le Glass Steagall Act en 1933, du nom d'un sénateur démocrate de Virginie. Celui-ci a instauré une incompatibilité entre les métiers de banque de dépôt et de banque d'investissement, créé le système fédéral d'assurance des dépôts bancaires et introduit le plafonnement des taux d'intérêt sur les dépôts bancaires. Son abrogation en 1999 par l’administration Clinton porte une lourde part de responsabilité dans la crise actuelle et il faut donc revenir dessus.

- Encadrer strictement les bonus
Quand tout va bien, les banquiers touchent des bonus colossaux et quand tout va mal, ils sont aidés par l’Etat et si leurs bonus sont réduits, ils restent néanmoins très confortables. Il faut donc instaurer une nouvelle tranche d’IR pour les très hauts salaires (au-delà de 500 000 euros par exemple) et systématiser l’étalement du paiement des bonus ainsi que la possibilité de bonus négatifs.

- Instaurer une taxe significative (0.1 à 1%) sur toutes les transactions financières
Cela permettrait de réduire la spéculation à court terme et le fardeau des dettes contractées par les Etats. La taxe Tobin représente avant tout un moyen d’affronter des intérêts économiques et financiers qui sont hostiles à toute politique de contrôle des mouvements de capitaux. Ces intérêts, favorisés depuis vingt ans par des politiques néolibérales, ont été privilégiés au détriment des revenus du travail. Contrairement aux remèdes appliqués d’ordinaire lorsqu’éclatent les crises financières, la taxe Tobin aurait un rôle préventif.

Dans une sorte de frénésie propositionnelle en vue de l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy multiplie les annonces comme celle d’une taxe Tobin française avant la fin 2O12. Mais c’est se moquer du monde car Il y a à peine un mois le secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, Pierre Lellouche, s’opposait au vote par le Sénat d’une telle taxe, estimant que la France "ne peut légiférer seule" car ce serait "contre-productif" et cela "nuirait à la place financière de Paris"…

- Instaurer une taxe sur les fusions et acquisitions
Les rachats d’entreprise sont souvent l’occasion pour les actionnaires d’extraire toujours plus de valeur sous la forme de licenciements. Ce coût pour la collectivité devrait être compensé par une taxe exceptionnelle en fonction du montant de la transaction, ce qui limiterait également les rachats d’entreprise à l’utilité douteuse.

Toutes ces mesures, peu ou prou, sont proposées par des intellectuels venus de toutes les familles de pensée, de la gauche (Frédéric Lordon, Jacques Généreux, Emmanuel Todd) du centre (Jean-François Kahn), du libéralisme humaniste (Jean-Luc Gréau, Maurice Allais), du libéralisme étasunien (Paul Krugman, Joseph Stiglitz, Robert Reich) ou d’ailleurs (Jacques Sapir, Paul Jorion).
Si elles étaient toutes adoptées par le couple Merkozy mais aussi par la social-démocratie européenne, elles changeraient sans doute la face de l’Europe et du monde…


Photo Creative Commons : chiffre 7 par THEfunkyman (http://www.flickr.com/photos/djou/295471609/)



9 réactions


  • kiouty 11 janvier 2012 08:20

    Mais y a pas que ça, faut aussi interdire les produits dérivés CDS / CDO, interdire les transactions à termes (faire du casino boursier avec de l’argent qu’on n’a pas), limiter les rémunérations actionnariales, interdire les stock-options qui lient l’intérêt des dirigeants d’entreprises à ceux des actionnaires, annihiler les paradis fiscaux, les blacks pools.

    Enfin, y a plein de trucs dans la finance, il s’agit pas juste de mettre les banques au pas, ça, comme on l’a vu, ça ne marche qu’un temps, il faut frapper beaucoup plus fort !


    • Albert Ricchi Albert Ricchi 11 janvier 2012 16:18

      @ Kiouty

      Tout à fait d’accord avec vous. Ce sera l’objet d’un nouvel article avec 13 autres mesures pour encadrer la finance.

      Merci pour votre commentaire.
      Albert

       


  • devphil30 devphil30 11 janvier 2012 10:11

    Ce sont des joueurs de casino qui sont en train de faire sauter la banque ......


    Hélas les solutions peuvent mener à des dénouements dramatiques comme l’histoire nous l’a montré entre le milieu de 19 ième siècle et le 20 ième siècle.
    Les banquiers saignent les populations et les états et se repaissent sur la misère qu’ils contribuent à faire grossir.

    Philippe

  • Robert GIL ROBERT GIL 11 janvier 2012 10:14

    Vous croyez que la monnaie est créée par l’état ? Vous vous trompez : ce sont les banques privées qui créent la monnaie et qui en perçoivent les intérêts. Si c’était l’État qui créait la monnaie comme ce fut le cas après guerre, il pourrait l’investir directement lui-même sans devoir payer le moindre intérêt jusqu’au remboursement.

    Voir ce PPS :

    http://2ccr.unblog.fr/2012/01/11/comment-pousse-la-monnaie/


  • J-J-R 11 janvier 2012 10:23

    Vos propositions pleines de bon sens sont très pertinentes. J’y ajouterais une réforme de l’agence France trésor qui mette fin aux conflits d’intérêts. Il est anormal que les statuts de cette agence chargée de négocier la dette française entremêlent les intérêts des banques privées et trésorerie de l’Etat. On a créé là un organisme « hybride » peu transparent.
    Allez sur le site officiel de l’AFT et vous saisirez de suite.

    Mais voilà, le Président actuel qui se voulait réformateur n’a rien fait, tant soi peu, pour rééquilibrer les rapport entre le monde de la finance et la « puissance » publique. Sa taxe tobine pour la taxation des transactions financières a déjà été voté par le gouvernement de L. Jospin nous apprend le Canard Enchainé mais cette loi est inapplicable sans laval des institutions européennes. Encore un coup de « com » sans lendemain.....
    Quand à Hollande, il ne fera guère plus. Le toutou des financiers passe son temps à noyer le poisson dans l’eau. Tous deux ont partagé des agapes à l’ombre des caméras à l’occasion des dîners du Siècle.    


  • BA 11 janvier 2012 14:01

    Mercredi 11 janvier 2012 :

     

    Nouveau record de sommes déposées par des banques auprès de la BCE : 485 milliards d’euros.

     

    Les banques de la zone euro ont déposé 485,898 milliards d’euros entre mardi et mercredi auprès de la Banque centrale européenne (BCE), soit un nouveau record.

     

    Depuis décembre, le montant de ces dépôts vole de record en record.

     

    Le dernier record avait été annoncé mardi, avec 481,935 milliards d’euros déposés par les établissements bancaires entre lundi et mardi.

     

    Selon les économistes, plusieurs facteurs expliquent le montant élevé des dépôts, rémunérés au taux de 0,25% par la BCE, un montant bien plus faible que ce que les banques pourraient en tirer si elles parvenaient à placer ces capitaux sur le marché.

     

    Ils grimpent à chaque regain de tension sur les marchés depuis la crise financière de 2008 puis celle de la dette en zone euro. Les banques de la région ne se font plus suffisamment confiance pour se prêter entre elles comme elles le font en temps normal, et préfèrent placer leurs excédents de liquidités auprès de la BCE.

     

    En outre, fin décembre, la BCE a opéré une importante injection de liquidités, prêtant 489 milliards d’euros à plus de 500 banques de la région, sur une période de trois ans.


  • BA 11 janvier 2012 22:57

    Doucement vers l’abîme.

     

    En ce début d’année, les dix-sept pays de la zone euro cheminent plus que jamais vers l’abîme. Aucune des deux urgences ayant fait l’objet de plusieurs « sommets historiques » ces derniers mois n’ont été traitées : la Grèce se dirige vers un défaut total d’ici au mois de mars, et l’Europe n’a toujours pas mis en place de mécanisme de sauvetage crédible.

     

    De ce fait, alors que la crise grecque entre dans sa troisième année, la parole politique est sérieusement décrédibilisée. Il y a longtemps que les dirigeants européens ont perdu leur triple A auprès des marchés financiers ou plutôt, devrait-on dire, des épargnants qui, dans le monde entier, se demandent s’il est bien raisonnable de leur faire encore crédit.

     

    Comment en serait-il autrement ? Depuis plus de deux ans, les Européens répètent que le sauvetage de la Grèce est une question de survie pour la zone euro. Que le projet européen lui-même serait en ruine si l’on échouait à Athènes. Que c’en serait fini du rêve d’une Europe puissante, capable de faire jeu égal avec les autres grands blocs économiques de la planète... Or que font-ils face à l’obstacle ? Ils renâclent, tergiversent, posent des conditions, gagnent du temps, bref se montrent incapables de résoudre la crise d’un pays représentant à peine 3 % de la richesse du continent. Hier, à Berlin, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont une fois de plus sonné l’alarme. Mais ils ont aussi donné un sentiment d’impuissance alors que quatre signes inquiétants, en ce début d’année, montrent que la catastrophe n’est pas loin.

     

    Le premier, on l’a vu, est l’imminence d’un défaut grec. Le second est la montée de la défiance vis-à-vis de tous les pays de la zone euro à l’exception de l’Allemagne : hier, pour la première fois, des investisseurs ont prêté à des taux négatifs à Berlin, autrement dit ils ont préféré payer l’Etat allemand pour placer leurs liquidités auprès de lui plutôt que de prendre le risque de les conserver ailleurs. Le troisième est le gel des transactions entre banques, celles-ci ne se faisant plus confiance entre elles. Le quatrième est le repli sur le court terme  : pour les Etats comme pour les entreprises, les horizons de prêt se raccourcissent.

     

    Un sursaut massif est indispensable pour éviter que tout le système financier européen ne se grippe et n’entraîne le continent dans l’abîme. Il sera vite trop tard.

     

    Nicolas Barré.

     

    http://www.lesechos.fr/opinions/edito/0201832353127-doucement-vers-l-abime-272970.php


    • daily.logan 13 janvier 2012 12:35

      Merci Bruno pour cet article flamboyant !

      Et tout à fait en ligne avec le sujet de l’article.

      Ne manquent que les liens Bloomberg vers les taux grecs et italiens.

      Au fait, vous avez déserté Turgot ; je peux désormais utiliser MON pseudo sur ce site : merci !!!


  • Fred59 15 janvier 2012 11:51

    Merci pour cette compilation très complémentaire, voici quelques suggestions qui peuvent sans doute s’intégrer dans votre vision :

    - Le préalable requis pour n’importe quelle action : sortir de l’UE (quand Orban décide de nommer deux administrateurs supplémentaires à la Banque Centrale hongroise, l’UE projette de lui retirer son droit de vote : ceci est éclairant)

    - L’arrimage de la monnaie à un étalon stable, or ou polymetallique, afin de garantir sur un long terme la stabilité monétaire (Dr Fekete)

    - Renforcer les fonds propres des banques par la création monétaire, et empêcher la circulation inflationniste de cette monnaie en contraignant les banques à un taux de couverture des prêts à 100% (Irving Fischer)

    - L’obligation, pour contracter des futures, de gager intégralement les sommes couvertes (Lordon) de façon à limiter ces instruments à la pure couverture des risques en excluant la spéculation. Ne pas avoir peur d’une fuite des cerveaux financiers : ils gangrèneront d’autres cieux.

    - Développer et soutenir les systèmes d’échange locaux (SEL) ,les sociétés coopératives (one man, one vote) et certains types de micro-crédit (plutôt version ’Cigales’ que version ’France-Actif’) pour désensibiliser partiellement le pays réel des turbulences monétaires.

    - Assainir le calcul du PIB pour prendre en compte qu’une marée noire, par exemple, lorsqu’elle nécessite des dépenses, ne « produit » rien de positif (Amartia Sen)


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