lundi 3 mai 2021 - par Fergus

À un an de la présidentielle, la gauche reste incapable de fédérer ses forces

C’est un fait avéré : un an avant le 1er tour de la présidentielle de 2022, les partis de gauche sont « éparpillées façon puzzle » pour reprendre la célèbre image du film Les tontons flingueurs. Dans un pays où le centre de gravité politique se déporte toujours plus vers la droite, ce constat est mortifère. Sauf accident, les Français devraient donc élire l’an prochain soit un président de droite, soit une présidente d’extrême-droite…

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Hidalgo, Jadot, Mélenchon (photo Slate)

En termes d’état des lieux, à 12 mois du premier tour de la présidentielle, l'enquête réalisée – en collaboration avec le Cevipof et la Fondation Jean Jaurès –, par Ipsos-Sopra Steria pour le quotidien Le Monde du 24 avril est évidemment à considérer avec beaucoup de prudence. Dans un paysage politique étonnamment figé, elle n’en est pas moins édifiante : les deux favoris de la prochaine élection, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, recueillent respectivement 25 à 29 % et 26 à 28 % d’intentions de vote, ce qui les place de facto en situation idéale pour rejouer le duel du second tour de 2017. Loin derrière ces deux-là, c’est la soupe à la grimace dans les états-majors de l’opposition hors Rassemblement national.

Les Républicains, donnés largement vainqueurs en 2017, espéraient un rebond après l’échec de François Fillon, plombé par ses malversations financières. À un an de la présidentielle, il n’en est rien : le candidat de droite est mesuré à 16 % s’il se nomme Xavier Bertrand, à 11 % s’il s’agit de Valérie Pécresse, et à 8 % dans le cas, hautement improbable, d’une investiture du falot Bruno Retailleau (ni l’ennuyeux Michel Barnier ni le velléitaire François Baroin n’ont été testés). De quoi donner des sueurs froides aux caciques du parti LR qu’une telle contreperformance risquerait de reléguer durablement dans un rôle de supplétifs du vainqueur.

Restent les partis de gauche. Et là, force est de constater qu’en l’absence d’une large alliance de ce côté de l’échiquier politique, c’est une nouvelle bérézina qui est annoncée par cette enquête dans la continuité des précédentes enquêtes. Qu’on en juge : dans les différentes hypothèses de droite testées par les sondeurs, l’autoproclamé candidat Europe Écologie Les Verts (EELV) Yannick Jadot – bien loin de la vague verte sur laquelle il croyait pouvoir surfer – n’est mesuré qu’à 10 %, Anne Hidalgo, tête de gondole du subclaquant Parti socialiste, plafonne entre 8 et 9 %, et Jean-Luc Mélenchon, le champion inoxydable de La France insoumise (LFI), culmine à 8 %, plus de 11 points en retrait de son excellent résultat du 1er tour de 2017 !

La seule – et ô combien ténue ! – possibilité de qualification d’un candidat de justice sociale et de progrès écologique pour le 2e tour passe à l’évidence par une alliance Vert-Rose-Rouge. Une union plébiscitée par une large majorité des électeurs de gauche. Or, ce n’est pas, loin s’en faut, le scénario qui se profile, comme l’ont illustré ce week-end les déclarations d’Anne Hidalgo et Jean-Luc Mélenchon, chacun prêchant tout à la fois pour sa paroisse et, de manière à peine subliminale, pour sa personne. Officiellement, il y a trop de divergences de fond sur des sujets essentiels comme l’Europe, l’atlantisme, la fiscalité ou l’énergie. Certes ! Mais en réalité, ce sont surtout les questions d’ego qui constituent la principale pierre d’achoppement. Une réalité que n’ont pas manqué de souligner ces dernières semaines plusieurs éditorialistes et élus de droite sur le ton de l’ironie : « Chez les caciques de gauche, c’estUn pour tous, tous pour moi !” » Pas faux, hélas !

N'en déplaise aux électeurs de gauche, il n’y aura donc pas – sauf énorme surprise – d’alliance Vert-Rose-Rouge, mais probablement une alliance Vert-Rose sur la base d’une plateforme de projet négocié dont le candidat a, une fois surmontés les derniers blocages, toutes les chances de se nommer Yannick Jadot ou Anne Hidalgo. En cumulant les intentions de vote de ces deux-là sur la base de l’enquête Ipsos, l’on parviendrait à un total de 18 à 19 % s’il ne fallait compter sur une inévitable déperdition de voix des électeurs des deux partis les moins favorables à ce type de compromis électoral. Il est néanmoins envisageable qu’une telle alliance, si elle voit le jour, soit mesurée entre 14 et 16 %.

Un potentiel électoral historiquement faible

Cela permettrait-il de qualifier le ou la candidate de la gauche Vert-Rose pour le 2e tour de la présidentielle ? Sans doute pas, même s’il se crée dans l’électorat une forme de dynamique en soutien de l’union des écologistes et des socialistes. Et cela pour une raison simple : le total des voix de gauche se situe actuellement à un niveau historiquement faible, dans une fourchette de 28 à 30 %. Sans l’apport des électeurs de La France Insoumise, cela condamne les uns et les autres à faire de la figuration ou à produire du témoignage dans l’attente d’un échec inéluctable !

En réalité, celui qui détient la clé d’une possible qualification d’un candidat de gauche au 2e tour de la présidentielle, en lieu et place de Marine Le Pen ou, plus probablement, d’Emmanuel Macron – de loin le plus fragile des deux du fait de son exposition aux aléas de la conjoncture –, n’est autre que Jean-Luc Mélenchon. Or, le leader de LFI rejette toute possibilité de participation à un projet commun élaboré sur les bases d’un compromis. Et cela bien qu’il y ait entre les partis de gauche au moins autant de points de convergence que de points de divergence. Non seulement Jean-Luc Mélenchon affirme qu’aucune alliance de ce type n’est possible – alors qu’elles sont si fréquentes chez nos voisins sans que leur démocratie en souffre –, mais il campe sur ses certitudes, persuadé, du haut du piédestal où il a hissé son ego, que c’est lui qui s’imposera comme le candidat de gauche le plus performant, le seul à même de bouter le président sortant hors du jeu.

Lucidité ou aveuglement ? L’avenir le dira. Mais entre une image personnelle dégradée et la possibilité d’émergence d’une dynamique en faveur d’une alliance Vert-Rose induite par un vote utile des électeurs de gauche, le pari de Jean-Luc Mélenchon est des plus risqués. Si, malgré tout, le candidat de LFI gagne son pari, rien – en l’état actuel du potentiel électoral étique de la gauche – ne permet de penser que cela sera suffisant pour dépasser le score de 2017 et accéder au 2e tour de la présidentielle sous les seules couleurs de La France Insoumise. S’il perd ce pari, Jean-Luc Mélenchon pourrait chuter à la 5e place du scrutin et, victime de la dynamique Vert-Rose, retomber au mieux sur son score de 2012, soit celui des seules voix de l’électorat radical.

Pour que la gauche ait une chance d’être représentée au 2e tour de la présidentielle, il n’y a, n’en déplaise à l’ego des uns et des autres, pas d’autre solution qu’une large alliance dès le 1er tour susceptible d’atteindre un seuil d’au moins 23 %. À cet égard, l’initiative « œcuménique » d’EELV était – et reste – le seul moyen d’y parvenir. Dans un premier temps, en élaborant un projet basé sur les nombreux points de consensus, puis enrichi de compromis sur les autres points majeurs. Dans un deuxième temps, en organisant une primaire destinée à désigner le candidat de cette union.

Cela peut-il se faire ? Hormis une fraction de naïfs ou de candides, pratiquement personne ne croit à l’émergence d’une telle alliance Vert-Rose-Rouge. La voix de la déraison devrait donc l’emporter. Mais gare à celui ou celle qui – pour servir ses intérêts personnels ou ceux de sa boutique dans l’optique des législatives – aura tué ce processus dans l’œuf : il ou elle portera dans l’opinion la responsabilité d’un nouvel échec de la gauche et de la prévisible poursuite par un exécutif de droite d’une politique de régression sociale et de mépris des enjeux environnementaux !




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