lundi 7 octobre 2013 - par Pale Rider

Bayrou : entre grandeur et politique

Retour sur l’intervention de François Bayrou dimanche soir sur France Inter. Et réflexion sur le rapport entre conviction politique et exercice de la politique…

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Limousine
Les limousines du pouvoir

Bayrou est quelqu’un de très agréable à écouter, même quand il nous agace, même quand il n’est pas au mieux de sa forme, même quand il n’est pas au mieux de sa cohérence. Avec lui, c’est un festival d’intelligence, d’esprit caustique bien ajusté, de réflexions d’envergure.

Malgré toutes ces qualités, depuis sa tentative de rapprochement avec Borloo, je sais définitivement que je ne reprendrai pas ma carte du MoDem. Borloo est un sympathisant de la droite, l’ex-avocat de Bernard Tapie, le complice non repenti de Sarkozy. Il ne me paraît donc, pour reprendre un terme bayrouïen, ni « honorable » ni fréquentable. Bayrou m’a paru sincère, il veut y croire ; il est comme chacun d’entre nous quand nous pressentons que quelque chose cloche mais qu’on essaye de voir le meilleur en se masquant le pire, confondant bienveillance et aveuglement. Comment Borloo, Morin et consorts (Maurice Leroy, par exemple ?…) seraient-ils devenus fréquentables, eux qui ne se sont pas glorifiés par la droiture et la constance de leurs allégeances ou de leurs prises de position ?

Mais voilà : faire de la politique pour demeurer dans l’échec politique, c’est intenable. Bayrou a des admirateurs mais presque plus de troupes. Alors, il s’efforce de renouer avec tous les Judas qui l’ont trahi et leurs complices. Sur le papier, ou plutôt sur l’étiquette, certes ils sont « centristes ». Mais dans la réalité ? S’ils l’avaient vraiment été, en 2012 ils auraient fait campagne au sein du MoDem, où il y avait réellement (j’en témoigne) des gens penchant à droite qui distribuaient des tracts avec des gens penchant à gauche. Ce n’était pas toujours facile, mais nous partagions une certaine notion de droiture en politique qui se démarquait de la brutalité sans scrupules de l’UMP et de la corruption idéologique et morale du PS.

J’ai déjà dit que Bayrou devrait tenir sa ligne prophétique, avec le fardeau de solitude qui lui est associé. Hélas, il est certain que Bayrou, outre un bon nombre de militants MoDem de tendance écolo ou socialiste, va perdre de son aura.

Le dilemme de Camus

J’ai récemment trouvé dans un livre écrit par un anarchiste italien (Teodosio Vertone) sur Camus une citation que j’avais effectivement crayonnée dans ses Carnets : « La politique et le sort des hommes sont formés par des hommes sans idéal et sans grandeur. Ceux qui ont une grandeur en eux ne font pas de politique. » (Carnets I, décembre 1937, Gallimard, 1962, p. 99).

Réflexion au quotidien écrite par un jeune homme de 24 ans, cette citation est pourtant une clef d’interprétation remarquable. Elle décrit exactement le point de basculement du personnage de François Bayrou. Cet homme a de l’idéal et de la grandeur, et c’est peut-être pour cela qu’il est si malhabile en politique.

Alors, quelle est la solution ? Si on se contente de déclamer de beaux principes sans se salir les mains afin de les mettre en œuvre concrètement, c’est plus confortable mais pas plus noble. Où placer le curseur ? Camus ajoutait ceci en parlant des rêves que l’on nourrit : « Il faut ne pas s’y perdre et n’y pas renoncer. » Vaste programme ! D’ailleurs, plus tard, le seul homme politique que Camus soutiendra, sans succès, ce sera Pierre Mendès-France. PMF, référence de Bayrou et archétype de la carrière politique la plus admirablement ratée (l’adverbe n’a rien d’ironique) !

Je ne souhaite pas l’échec politique de Bayrou mais, entre sa réussite (de plus en plus incertaine) au prix de réconciliations au forceps, et son isolement assorti d’un discours courageux (qui, notons-le, porte ses fruits puisque, comme je l’ai déjà indiqué, on lui siphonne certaines de ses propositions), je préfère la posture camusienne ou mendésiste.

Aux uns les limousines du pouvoir. Aux autres la grandeur de l’Histoire. Il est rare qu’on puisse avoir les deux. On ne décide pas de devenir Havel ou Mandela. Cela est donné par surcroît… et par surprise…



18 réactions


  • Bonnenouvelle92 7 octobre 2013 21:19

    Y a-t-il quelque moyen de faire de la politique sans faire de compromis ?

    J’en doute !
    Je me dis toujours qu’il faut une dose certaine de courage et d’abnégation pour s’engager dans cette voie, en tout cas si ce n’est pas le pouvoir qu’on cherche mais le bien des autres....

  • morice morice 8 octobre 2013 12:32

    Je ne souhaite pas l’échec politique de Bayrou mais, entre sa réussite (de plus en plus incertaine) au prix de réconciliations au forceps, et son isolement assorti d’un discours courageux (qui, notons-le, porte ses fruits puisque, comme je l’ai déjà indiqué, on lui siphonne certaines de ses propositions), je préfère la posture camusienne ou mendésiste.


    vous confondez serviette et torchon : Bayrou n’a rien à voir avec les deux cités. Il est transparent, l’a toujours été et a les fesses très larges depuis qu’il ne fait que s’asseoir entre deux chaises. Bref, c’est un BOUFFON.

  • Qaspard Delanuit Gaspard Delanuit 8 octobre 2013 13:53

    Bayrou est sans doute un homme plutôt sincère et de bonne volonté. Mais c’est un homme du passé et complètement dépassé par la situation actuelle. Il n’a pas du tout compris ce qu’était l’Europe en réalité. Il s’est fait berné et ne pourra pas sortir la tête de son trou, et s’il y parvenait miraculeusement, son électorat ne le suivrait pas. 



  • vist 8 octobre 2013 15:07

    à l’auteur

    J’ai voté oui à votre article.
    J’ai déjà, furtivement, commenté vos articles sur le centre.

    quelques réflexions :

    - « the proof of the pudding is in the eating » : Bayrou a « mal » commencé, la bande des « 12 salopards », se qualifiaient les 12 « rénovateurs » de la droite dont il était, ensuite balladurien, ministre de l’éducation inefficace, cautionnant un budget très déficitaire, non ému dans son ministère par les agressions des fonctionnaires d’autorité sur les subordonnés (pas plus que tous les autres ministres, mais lui, il dit être différent), ensuite il y a eu ses comptes (2002) en partie invalidés par le CC (trajets aériens, costume non justifiés)

    - l’occasion unique : en 2007, Bayrou a fait une excellente campagne, que les Lib Dem britanniques ont imitée en 2010, mais Bayrou, qui avait la possibilité de casser le PS et de brider la droite, en négociant avec Royal un appel au vote au second tour, contre des dizaines de circonscriptions gagnables aux élections législatives, a hésité, l’erreur aura été fatale

    - ensuite, toujours « proof pudding », Bayrou n’a eu aucun état d’âme à aider le mariole Mariani, droite populaire, à une réélection difficile aux élections législatives ... alors a fortiori fréquenter Borloo et autres ...

    - sur le fond, Bayrou ignore l’écologie, grave erreur stratégique, alors que les Verts sont discrédités

    son logiciel européen date, tout comme d’ailleurs l’anti-UE Asselineau, qui diabolise l’UE mais ne dit jamais que si l’UE s’est imposée aussi facilement en France c’est à cause du scrutin majoritaire à 2 tours aux élections législatives, déni de représentativité ...

    la citation de Camus, l’intérêt est d’expliquer pourquoi : la majorité des individus de talent, scientifique, éthique, artistique, économique ... entreprennent, au lieu de viser une fonction politique ... la politique c’est très ingrat ... et attire surtout des arrivistes prêts à tout


  • Bulgroz 8 octobre 2013 15:38

    L’autre jour, Bayrou me demandait de passer chez lui dans son appartement parisien afin, me suppliait il, que je lui donne « les clés pour que je le sorte lui et le modem du merdier de cette campagne 2012 » (sic), “en retour” me promettait il , “je te dirai comment ne pas payer d’impôts sur les plus values de ventes de chevaux et aussi comment échapper à l’ISF” (resic)

    A l’heure dite, je sonne à la porte de l’appartement.

    Une vieille ridée dans un peignoir en laine tout miteux ouvre la porte. La dame a les yeux vitreux, elle a, de toute évidence, passé sa journée à écluser de mauvais vins rouges.

    Tiens, je me dis, il doit avoir une vieille tante.

    C’ était lui !!


  • vist 8 octobre 2013 15:50

    il y a aussi son utilisation légale mais douteuse des abattements ISF

    le costume est trop grand pour lui ... qui semble un provincial satisfait de son statut de bobo parisien

    Bayrou a été très mal entouré, insuffisance de cadres de valeur, mais cela concerne tous les partis sans exception ...


    • Pale Rider Pale Rider 8 octobre 2013 15:59

      @vist : Il est possible que votre supposition soit juste. Cependant, je me souviens d’un article du Canard Enchaîné, qui n’a pas l’habitude de faire de cadeaux, sur le patrimoine des candidats aux Présidentielles (ce devait être en 2007). Or, Bayrou était déclaré irréprochable financièrement par le Canard. Cela dit, le monde des chevaux de course n’est vraiment pas mon truc. J’ai toujours préféré les ânes, modestes équidés injustement déconsidérés alors qu’ils sont à la fois gentils et intelligents, ce qui suffit à les distinguer de la plupart des politiciens.


    • Bulgroz 8 octobre 2013 16:13

      si c’est le canard qui le dit !!!


    • vist 8 octobre 2013 16:13

      dans la liste UDI, ajouter de nombreux repris de justice, et Yade, l’incarnation s’il en est du vide absolu en politique ...

      dilemme concernant tout politicien non associé à une clientèle électorale : toute réforme ambitieuse est contraire à divers intérêts, à chaque réforme, un électorat de perdu ...
      c’est pourquoi Bayrou a toujours été très formel sur les idées de réforme

      difficile qu’il y ait rencontre entre un candidat exceptionnel, et les électeurs, il y a les circonstances

      à considérer les scores du bipartisme, en érosion mais majoritaire relativement, ou les scores des fausses alternatives (FN, aucune crédibilité idéologique, du néo-libéralisme à l’anti-capitalisme), il n’y a qu’une conclusion, c’est que les citoyens au sens collectif ont les élus qu’ils méritent (réélection de condamnés)


    • vist 8 octobre 2013 16:17

      en 2007, le Canard avait clairement diffusé l’information montrant que le futur normal 1er, moi président 1er, était aussi fraudeur 1er ... de l’ISF, avec Royal

      une Royal condamnée pour avoir exploité ses collaborateurs, de nombreux politiciens s’accaparent IRFM et enveloppe attachés, si non utilisé, incitation à « profiter » et à « exploiter »

      fraude d’un impôt « socialiste », par les faux socialistes


    • Pale Rider Pale Rider 8 octobre 2013 16:24

      @vist : Concernant Hollande (mais alors, ce devait être pour 2012), j’ai failli le dire. Je n’ai donc pas rêvé. Et le « mariage-pas-pour-tous » comporte quelques avantages fiscaux, les biens immobiliers de Hollande et de Royal étant séparés, bon moyen d’échapper à l’ISF.

      J’ai d’ailleurs signé, en ce qui concerne la suivante, la pétition destinée à engager une plainte contre Hollande : civilement, Trierweiler n’a aucun lien avec lui. Nous entretenons donc, aux frais de la République, une simple copine, encore plus étrangère au Président que Mazarine et Mme Pingeot ne l’étaient à Mitterrand.

    • vist 8 octobre 2013 16:35

      Hollande n’était déjà pas à la hauteur pour gérer un parti (bilan intellectuel nul en 11 ans) ou un Conseil général ...

      où est la pétition ?

      je la signerai !


    • Pale Rider Pale Rider 8 octobre 2013 16:56

      NE voici PAS le lien (même en texte brut, ça ne marche pas !). Mais vous tapez « pétition Hollande Trierweiler », et vous tombez dessus.



  • Bulgroz 8 octobre 2013 16:21

    Si c’est le canard qui le dit (suite) :

    Le Canard enchaîné daté du 14 mars 2007 a révélé pourquoi et comment le président centriste, François Bayrou ne paie pas l’impôt sur la fortune contrairement à ses petits camarades.

    François Bayrou est, aux yeux du fisc, non pas un homme politique, député des Pyrénées-Atlantiques, il est avant tout un exploitant agricole cotisant à la Mutualité sociale agricole et détient un numéro de TVA professionnelle. Par conséquent, son patrimoine relève,d’un point de vue juridique, de « biens professionnels » lui permettant ainsi de ne pas payer, quel que soit le montant de sa fortune, d’ISF. Pour le fisc en effet, un élu n’exerce pas une profession mais remplit une «  fonction élective ». Par conséquent, Bayrou n’est pas un homme politique mais un éleveur-naisseur de pur-sang !

    http://www.politique.net/2007122902-bayrou-agriculteur-impot-sur-la-fortune.htm


    • Pale Rider Pale Rider 8 octobre 2013 16:32

      @ Bulgroz : Oui, c’est tout à fait exact. Mais le défaut de raisonnement, c’est que l’ISF ne touche pas davantage les politiciens que les exploitants agricoles. Bayrou emploie, réellement et si mes souvenirs sont bons, deux personnes pour s’occuper de ses chevaux. Si l’exploitation agricole n’est pas une fiction, je ne vois pas où est le problème. Je rappelle que Bayrou avait repris l’exploitation suite à la mort de son père. Il ne s’agit donc pas d’un tour de passe-passe, mais tout au plus du maintien d’une situation préexistante.

      Donc : Bayrou est à la foi un élu et un éleveur, et paye ses impôts sur les revenus que lui assurent ces deux activités. Tout ça est de notoriété publique, contrairement aux comptes divers et aux traficotages des époux Balkany, par exemple. On sait d’ailleurs de qui ce couple admirable est l’ami : France Inter s’en pâmait de bonheur hier midi grâce à Claire Servajean...

  • Laconique Laconique 8 octobre 2013 17:34

    Je partage tout à fait vos réserves sur Borloo et Morin, Pale Rider. Ce sont des opportunistes sans consistance, qui tourneront toujours dans le sens du vent. Mais la question est : pour qui voter, dans les circonstances actuelles ? Nul doute que Bayrou est l’homme politique le plus lucide et le plus courageux de ces dernières années, le plus clairvoyant aussi, comme vous l’avez souvent mis en évidence. Dès lors, tant que lui, ou le Modem, seront présents à des élections, je voterai pour lui, « sans me soucier du fruit de l’acte » comme disent les hindous, car je ne vois pas pour qui d’autre je pourrais voter…


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