mardi 10 septembre 2013 - par Pale Rider

Bayrou et la solitude du prophète

Pas de doute : François Bayrou est écouté. Ses idées sont reprises, voire appliquées… par d’autres. Malheureusement, il tente régulièrement et maladroitement d’échapper à la solitude électorale à laquelle le condamne l’habitude d’avoir raison trop tôt…

Dans son numéro du 15 mars 2012, Le Point avait titré sur Bayrou « Le prophète », et cela sans rire. Pour un homme politique, c’est un éloge suprême, inégalable, car les politiques se signalent surtout par leur vision à (très) courte vue et donc par leur médiocrité. La politique à la petite semaine à laquelle nous sommes soumis depuis des décennies en témoigne.

Cependant, ce compliment, ce titre, peut sonner comme une malédiction, comme pour le prophète Jérémie qui, il y a deux millénaires et demi, se faisait déjà vilipender parce qu’il annonçait des événements défavorables et prônait une voie difficile à son peuple.

En démocratie, si le prophète a raison contre tous, ou raison avant tous, il devient inéligible, ou alors aux marges, puisque trop rares sont celles et ceux qui auront le discernement de promouvoir ses idées ou de choisir le chemin étroit du salut et non la voie large de la perdition.

Choisir l’intégrité

Or, il est dans le destin des prophètes de garder leur intégrité, ce qui se paye par une certaine solitude. Mendès-France en fit l’expérience. Jimmy Carter, miraculeusement élu à la Maison Blanche, ne le fut qu’une fois. En littérature, Albert Camus fut marginalisé par l’intelligentsia de Saint-Germain-des-Prés parce qu’il refusait le terrorisme, y compris le terrorisme d’État, ramant alors à contre-courant de la bien-pensance de son époque.

Cette solitude du guetteur, de la sentinelle, doit être assumée, acceptée. Je ne dis pas : cultivée. Cela est inutile : la solitude vient, voire demeure d’elle-même. Pour cela, c’est très simple : il suffit de rester fidèle à ses idées et de ne pas les brader ou les ramollir.

De ce point de vue, Bayrou est tout à fait remarquable. Pour prendre un exemple récent, au sujet de la Syrie, là où Jean-François Copé, après avoir applaudi les discours martiaux de François Hollande, s’est mis à les critiquer dès que le vent eut tourné, Bayrou s’en est tenu à un discours moins manichéen que les autres (ni bellicisme, ni esprit de Munich), appelant nos dirigeants à la plus extrême prudence, et cela avec une constance qui l’honore et lui évite le ridicule dans lequel tant d’autres pataugent. Il ne doit pas dévier de cette ligne.

Or, certains symptômes ne laissent pas de m’inquiéter. Quand Bayrou trouve Fillon fréquentable (ce qu’il semble effectivement être… par contraste avec Copé), comment ne pas s’en offusquer, alors que toute la politique de Sarkozy est passée entre ses mains serviles pendant cinq ans pleins ? Quand Bayrou tente une alliance avec Borloo, celui qui a mangé la soupe sarkozyste, qui tergiverse, qui conclut des accords avec des gens aussi flous, hétéroclites, contestables, éventuellement renégats, que Maurice Leroy ou Hervé Morin, comment ne pas être profondément inquiet ? Et maintenant que MM. Fillon et Borloo, à mots couverts ou découverts, ne semblent plus allergiques au Front National, comment est-il imaginable que le MoDem aille, à la suite de son chef, pactiser, même pour des scrutins ponctuels, avec des leaders qui ont aussi peu de morale et aussi peu de constance ?

On peut se rabattre sur Alain Juppé, homme paradoxal qui, bien qu’ayant été le plus atteint par les rigueurs de la justice, est certainement un des politiciens de droite les plus honorables. Néanmoins, avant de fréquenter Alain Juppé, ne faudrait-il pas attendre qu’il démissionne d’abord de cette ridicule et compromettante association des « Amis de Nicolas Sarkozy » ?

Si je ne reprends toujours pas ma carte du MoDem, c’est à cause de cette hésitation de Bayrou entre la voix prophétique et les alliances avec des politiciens lamentables. Et tant pis si Bayrou a de mauvaises perspectives sur le plan électoral, et tant pis si un destin à la De Gaulle lui échappe.

S’il n’en reste qu’un, que ce soit celui-là

La grande (et amère) victoire de Bayrou, n’est-ce pas de voir que nombre de ses idées lui ont été pompées ? Le redressement productif (malgré son côté grand guignol, Montebourg est quand même un des rares ministres qui se bougent et qui restent globalement fidèles à leur ligne), le « produire en France », l’assurance universelle loyers impayés, entre autres exemples, ne sont-ce pas les fruits indirects des propositions avancées par le MoDem en 2012 ?

J’espère que Bayrou aura l’occasion d’exercer le pouvoir à une place qui reste à déterminer. Cependant, même si cela n’arrive pas, il aura sa place dans l’histoire de notre pays, où sa voix est extrêmement utile. Il est tout de même révélateur de constater que sa présence médiatique est actuellement très supérieure à sa surface électorale, et les émissions où il est invité sont une oasis d’intelligence. Rien ne se perd, tout se récupère.

 

Il n’est d’autre vrai centre que le MoDem et Bayrou est son prophète.



9 réactions


  • Bonnenouvelle92 10 septembre 2013 14:33

    Le métier de prophète est bien difficile.

    Le proverbe ancien, déjà repris par la Bible « nul n’est prophète en son pays » est extrêmement dérangeant et difficile à vivre dans une société où il faut une certaine notoriété pour « exister » et se faire entendre.
    Les compromis et compromissions peuvent s’expliquer par ce désir légitime d’avoir voix au chapitre.... Y a-t-il moyen d’échapper à cette logique ? Je le voudrais bien mais n’en suis pas certain.
    En tout cas, rien ne vaut d’écouter d’un bout à l’autre sa conscience. La fin ne justifie jamais les moyens. A mon sens en tout cas. 


  • Emin Bernar Emin Bernar Paşa 10 septembre 2013 14:51

    Bayrou est le meilleur pour la France ! mais trop bon pour les les français...

     


  • gaspadyn gaspadyn 10 septembre 2013 23:32

    PALE RIDER j’aime votre article parce qu’il est mesuré et sonne vrai. Vousn’étalez pas un militantisme fanatique mais une attirance intellectuelle troublée par des relations inquiétantes, incompréhensibles de la part d’un homme comme Bayrou.

    S’il n’était pas eurokraturiste je pourrais voter pour lui.

    Je pense que c’est une des très rares personnalités respectables.


  • TSS 11 septembre 2013 00:15

    J’espère que Bayrou aura l’occasion d’exercer le pouvoir à une place qui reste à déterminer.

    Il fut un ministre de l’Education Nationale....Transparent... !!


    • Abou Antoun Abou Antoun 11 septembre 2013 10:13

      Il fut un ministre de l’Education Nationale....Transparent... !!
      Plus occupé à écrire des best-sellers à monter des écuries qu’à gérer son ministère. Un imposteur victime de ses hésitations, de ses mauvais choix, de ses trahisons, et qui essaie aujourd’hui de se refaire une virginité. En France ça marche, c’est en ne faisant rien, en ne disant rien qu’on devient populaire et bankable en politique.
      Bayrou n’est qu’un cheval de retour ayant bouffé la soupe balladurienne et chiraquienne. Un espoir pour la France, laissez moi rire !


    • gaspadyn gaspadyn 12 septembre 2013 21:09

      ABOU : transparent ????? à cette époque j’avais une liaison avec une maîtresse, très sensuelle, et je l’ai accompagnée à Paris pour la manif géante déclenchée par je ne sais même plus exactement quelle décision de Bayrou.

      Je ne suis pas un habitué des manifs ; j’en ai « fait » quelques unes, mais jamais comme celle-là ! De toute la journée on a dû bouger, càd avancer, de 10 m tout au plus tellement il-y-avait de monde.

      Et Bayrou a eu l’intelligence de retirer son projet, et plus tard, de reconnaître plusieurs fois qu’il avait commis une erreur. Attitude tout à fait respectable dont devraient s’inspirer un tas de politicards pourris.

      Quant à ses livres, je ne pense pas ( mais vous apporterez la preuve du contraire) qu’il les ait rédigés à son bureau pendant ses heures de travail.

      Ils sont d’ailleurs très agréable à lire.


  • Laconique Laconique 11 septembre 2013 12:43

    Très bon article. Bayrou plane en effet bien au-dessus de toutes les mesquineries et stratégies à courte vue de la classe politique française. Il est un des seuls à posséder une vraie vision, et une vraie cohérence basée sur des valeurs. Vous déplorez qu’il se rapproche de Borloo et d’autres politiciens qui ne lui arrivent effectivement pas à la cheville. Mais n’oubliez pas que le grand dessein de Bayrou, ça a toujours été l’union nationale. Pour ce faire, il sera bien forcé de s’allier avec des gens qui ne le valent pas, mais qui le rejoignent sur l’essentiel. Cela se réalisera un jour, bientôt, j’en suis convaincu, et François Bayrou ne passera pas à côté de son destin. Seulement, il faudra sans doute des circonstances exceptionnelles pour en arriver là...


  • speeder speeder 13 septembre 2013 12:47

    bon article, on pourrait rajouter également le statut de l’auto-entrepreneur issu directement du small business act de la campagne de 2007 de François Bayrou, mais mal fagoté par le gouvernement fillion parce que l’idée ne venait pas d’eux.

    Quand on a une idée, c’est celui qui a trouvé l’idée qui est le mieux capable de la faire réussir.
    Le produire en France, Bayrou avait parlé des filières dans chaque domaine, ce que n’a pas fait Montebourg, à par poser en marin sur des magazines, il n’a rien fait de concret à ce jour. Piégé par son 1er ministre qui ne l’a pas suivi pour l’affaire Arcelor, voilà le problème de la gauche aujourd’hui.

    Je ne sais pas si Bayrou est un prophète, ce que je sais, c’est que ses programmes ont toujours été cohérent en 2007 et en 2012.
    Mais comme on vit en médiacratie, c’est celui qui gueule le plus fort qui a toujours raison, les médias sont friands des coups de gueules. Ca fait des parts de marché en plus pour les publicités.

    Tout le monde en politique a oublié les 3 mots sur les frontons de nos mairies et surtout les médias
    Liberté, égalité, fraternité
    Parce que se sont les médias qui font l’élection aujourd’hui.

    Alors que Bayrou rediscute avec Borloo, je ne m’inquiète pas plus que cela, je préfère qu’il discute avec lui qu’avec Marine Lepen.

    Le problème du centre, comme dans tous les partis politique, c’est un problème d’égo, il suffit de regarder l’UMP aujourd’hui pour voir ce qu’il se passe. C’est identique à gauche et ne parlons pas des verts. Je ne comprend pas que les écolos soient de gauche. Si on est écologiste, on est pour le consensus et cela n’est ni de droite, ni de gauche.

    A force que les médias jouent avec le feu pour avoir la une, c’est notre pays tout entier qui est sacrifié.

    L’avenir, on peut en douter comme la plupart des français qui ont le moral à zero mais je ne les comprend pas trop, car c’est eux qui ont élu le président...

    Vaste sujet, j’ai voté Bayrou en 2002, 2007 et 2012, pour les 2eme tours, j’ai voté blanc à chaque fois


    • Pale Rider Pale Rider 13 septembre 2013 13:26

      Merci, Speeder, pour cette intéressante réflexion.

      Juste une rermarque : mieux vaut effectivement discuter avec Borloo qu’avec Le Pen, mais si Borloo discute avec Le Pen ? Los amigos de nuestros amigos son nuestros amigos. D’où mon extrême réserve par rapport à ces tractations, d’autant plus que Bayrou n’est pas suspect de complaisance avec le FN. Encore faut-il que ça n’ait pas lieu, même indirectement.

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