samedi 4 août 2018 - par Sylvain Rakotoarison

Charles Choné, le bon sens paysan en pleine ville

« Ferme dans son engagement, lucide et équilibré dans la conduite des affaires publiques, il avait un sens aigu du pragmatisme, hérité de ses origines terriennes. » (André Rossinot, actuel président de la Métropole du Grand Nancy, 9 mai 2018).
 



Les superlatifs ont fusé dans l’agglomération de Nancy pour cet homme exceptionnel : une « figure emblématique et incontournable de la vie publique de l’agglomération nancéienne durant ces dernières décennies » pour Laurent Hénart, maire de Nancy et ancien ministre ; un « homme moderne et attentionné, empreint d’un profond humanisme » pour André Rossinot, ancien ministre et ancien maire de Nancy ; un « ardent défenseur de la décentralisation, précurseur de l’intercommunalité et des enjeux numériques » pour Mathieu Klein, président socialiste du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle ; un « inlassable militant du développement économique (…), un homme aux convictions solides, humanistes et profondément européennes » pour Jean-François Husson, sénateur et président de la Scalen ; une « référence parmi le personnel politique lorrain (…), précurseur à bien des égards en matière d’aménagement du territoire, d’infrastructures, de nouvelles technologies et de développement économique » selon le journal régional "L’Est Républicain"…

J’ai appris avec tristesse la disparition de Charles Choné le mercredi 9 mai 2018 dans la matinée. Il allait atteindre ses 91 ans dans quelques semaines, affaibli par la maladie et effondré par le deuil : son épouse était partie quelques mois avant lui, en août 2017, après soixante-six ans de mariage. S’il était peu connu au niveau national, il ne pouvait pas ne pas être connu des habitants de l’agglomération de Nancy qui fut en partie dessinée par celui que de nombreux élus appelaient affectueusement "le grand Charles".

Il était l’un des rares élus à m’avoir "introduit" à la vie politique. Je me souviens d’une soirée en pleine semaine, il y a plus de trente ans et demi, où il m’avait accueilli avec d’autres élus. Il m’avait consacré du temps malgré ses très nombreuses responsabilités locales (citer tous ses titres était très long et était même une source de plaisanterie) sous une casquette qui m’avait fait le rencontrer, président du Centre des démocrates sociaux (CDS) de Meurthe-et-Moselle. Le CDS, composante démocrate-chrétienne de l’ancienne UDF, était le seul parti vraiment enthousiaste qui soutenait la candidature de Raymond Barre à l’élection présidentielle de 1988.

Si peu de grands élus croyaient dans cette candidature à cause du verrouillage systématique du RPR et de l’équipe de campagne de Jacques Chirac, alors Premier Ministre de la première cohabitation, beaucoup de sympathisants y croyaient, car la popularité de Raymond Barre reposait sur sa sincérité, sa stature, son sérieux et sa foi en la vérité. Hélas, il fut éliminé dès le premier tour par la conjonction des clivages de la cohabitation conflictuelle et du développement de la fièvre Le Pen, et je reste encore aujourd’hui persuadé que si Raymond Barre avait été élu en 1988, nous n’en serions pas là aujourd’hui sur le plan économique, nous n’aurions pas eu cette dette si élevée qui va encore plomber les générations prochaines. Mais je m’égare dans de l’uchronie.

Charles Choné, lui, sombrait rarement dans les diversions philosophiques. Il voyait la politique non pas comme une thèse de sciences politiques, mais comme une action concrète au service de ses contemporains. D’une voix un peu rocailleuse, celle de l’agriculteur qu’il était depuis 1958, quand son frère et lui ont repris l’exploitation de leur père et de leur grand-père, des yeux qui pouvaient un peu surprendre et interroger au même titre que ceux de Jean-Paul Sartre, mais on ne s’interrogeait pas longtemps en regardant son petit sourire en coin : l’œil brillait par une sorte de tendresse bon enfant.

J’ai d’ailleurs toujours été étonné par le "bon sens paysan" dans la vie politique. En Meurthe-et-Moselle, où beaucoup de conseillers généraux étaient des agriculteurs dans les années 1980 et 1990, j’ai toujours pu remarquer que leurs points de vue étaient souvent pertinents : loin de se laisser conditionner par les pressions médiatiques ou la dictature de l’instantané, ils restaient sur des fondamentaux et voyaient les choses souvent de manière très juste. Comme eux, Charles Choné était d’abord un homme libre, et s’il a eu des responsabilités partisanes sur le plan départemental, il a toujours gardé sa liberté d’action, de réflexion et d’expression, personne du national n’a jamais osé lui imposer des consignes et quand l’UDF s’est émiettée en 2002, il a choisi de rejoindre l’UMP par simple souci d’unité (tétanisé par le résultat du premier tour de l’élection présidentielle le 21 avril 2002), mais sans grand enthousiasme.

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Né le 19 juin 1927, Charles Choné, jeune agriculteur, accepta d’entrer au conseil municipal de sa commune, Ludres, en mars 1959 (sollicité par les élus de l’époque). Il fut élu maire de Ludres dès mars 1963 et ne quitta cette fonction qu’en mars 2008, après huit mandats (il a ainsi travaillé avec 106 élus municipaux ludréens). À l’époque, Ludres était une petite commune rurale de 1 100 habitants située à une dizaine de kilomètres au sud de Nancy.

Quand il a quitté ses fonctions politiques en 2008, Ludres comptait 6 700 habitants et faisait pleinement partie de l’agglomération de Nancy. Je me souviens de cette petite ville dans les années 1970, un village en fait, qui n’avait même pas l’eau courante en permanence, qui était une destination de balade dominicale pour les citadins, il y avait de quoi faire de l’équitation, le tout pour se retrouver dans la nature, pas loin de la grande ville.

Ce fut à la fin des années 1970 et au début des années 1980 que Charles Choné a développé considérablement sa ville (entre 1975 et 1982, la population est passée de 1 600 à 5 400 habitants, plus que triplée !). Ce maire historique avait tellement anticipé l’évolution qu’il a fait acquérir ou construire à sa ville des équipements pour une commune de 15 000 habitants (deux écoles maternelles et primaires, un collège, un accueil pour la petite enfance, une résidence autonomie, une médiathèque, une école de musique, une salle de spectacle de 1 000 à 1 500 places où se sont produits notamment Bernard Lavilliers, Francis Cabrel, Jean-Louis Aubert et Yannick Noah, etc.).

Dès 1965, Charles Choné a créé la première zone industrielle privée de France (avant la loi d’orientation foncière). Il a démarché lui-même les entreprises pour qu’elles s’y établissent et celles-ci ont apporté les ressources nécessaires aux ambitions du maire (la zone, appelée Dynapôle, accueille actuellement 310 entreprises, et est directement reliée à Paris, à Lyon, à l’Allemagne, à la Suisse et au Luxembourg, grâce à sa proximité immédiate des autoroutes A33 et A330).

À partir de ce moment-là (1965), il a toujours été en avance d’une guerre technologique. Il a su comprendre l’évolution économique et sociale et préparer sa commune puis l’agglomération de Nancy à se "moderniser". Ce fut à Ludres en 1998 que fut ouvert l’un des premiers complexes de cinéma UGC, avec 14 salles comprenant 3 000 fauteuils (à la ZAC Chaudeau). À l’époque, contesté par de nombreux habitants, ce complexe est maintenant très fréquenté par les Nancéiens. Il faut rappeler que ce cinéma était prévu …dès 1968 !



Avec les nouvelles technologies, il fut parmi les maires les plus en avance avec l’un des premiers réseaux câblés de télédistribution de France, devançant plusieurs fois la loi avec des essais de télévision locale en 1976 et 1985 (avant de lancer télé-Ludres en 1997), et bousculant, au niveau de l’agglomération, le monopole de France Télécom sur Internet et le très haut débit.

Visionnaire, Charles Choné avait fait adopter un plan d’occupation des sols (POS) puis PLU pour répartir de façon réfléchie et organisée le territoire réservé aux habitations, à la zone industrielle et à une aire de loisirs. Seul, son projet de stade de 30 000 places ne fut pas pris en compte.

Charles Choné avait initialement bataillé contre l’organisation régionale d’études et d’aménagement de la Lorraine qui ne voulait développer que le nord de Nancy (vers Frouard, Pompey, etc.) et pas le sud. N’hésitant pas à utiliser ses fonctions de conseiller général (voir plus loin) et même à faire pression sur le rectorat de Nancy (il organisa une manifestation le 17 mars 1984), il a obtenu, au bout de vingt-deux ans d’un combat acharné, l’ouverture en 1988 d’un collège à Ludres, le collège Jacques-Monod.

Avec ses fonctions de maire, il a multiplié les responsabilités dans l’agglomération de Nancy dont faisait partie Ludres et a renforcé son expertise reconnue sur l’intercommunalité, les finances locales, la fiscalité et l’urbanisme. Vice-président du District de l’agglomération nancéienne de 1974 à 1992, Charles Choné fut l’un des fondateurs en 1975, puis élu président de la très stratégique Agence de développement et d’urbanisme de l’agglomération nancéienne (ADUAN, devenue Scalen le 2 mars 2017) de 1980 à 1992 (trésorier de 1975 à 1980, vice-président de 1992 à 2008, puis président d’honneur) qui remodela l’agglomération pendant deux décennies.

Une vidéo montre justement Charles Choné présenter en mars 2017 l’augmentation des compétences de l’ADUAN qui, au départ, était en opposition avec la ville de Nancy et qui a permis de créer un outil de développement économique et urbain pour tout le bassin Nancy Sud Lorraine.



Charles Choné fut élu vice-président de la Fédération des agences d’urbanismes de France de 1989 à 1998, président du Conseil d’architecture de l’urbanisme et de l’environnement de Meurthe-et-Moselle de 1992 à 1998. Au niveau départemental, il fut également président de l’Association des maires de Meurthe-et-Moselle de 1989 à 2001 (président d’honneur après 2001), ce qui lui a permis d’ouvrir un service d’aide à la décision des élus dans les domaines administratif, juridique, financier et informatique.

Sur le plan départemental et régional, Charles Choné fut élu conseiller général du canton de Jarville de mars 1985 à mars 1998 et à ce titre, il fut élu vice-président du conseil général de Meurthe-et-Moselle chargé des affaires scolaires de 1985 à 1988, puis délégué aux grands projets et affaires économiques, et délégué aux transports de 1993 à 1998. Il fut élu aussi conseiller régional de Lorraine de mars 1986 à mars 1998, délégué à l’enseignement secondaire, rapporteur du groupe technique de planification Éducation et apprentissage, président de la commission transports au conseil régional de Lorraine de 1989 à 1998. Parmi les projets qui lui tenaient à cœur, l’autoroute A32, le TGV Est, l’aéroport régional, le diester pour les transports en commun, l’aviation d’affaires, etc.

Son bâton de maréchal fut la tête de l’agglomération de Nancy entre mars 1992 et mars 2001 avec deux objectifs : la solidarité entre communes et le destin partagé, tout en maintenant le respect de l’identité communale. D’abord président du District de l’agglomération nancéienne (créé en 1959), Charles Choné, expert en intercommunalité (domaine souvent compliqué pour certains élus locaux), a compris très vite la grande opportunité (en dotation financière), offerte par le gouvernement de l’époque, de transformer la structure intercommunale unissant les communes du Grand Nancy de district urbain en communauté urbaine. En 1996, il fut donc le premier président de la Communauté urbaine du Grand Nancy, jusqu’en 2001, puis vice-président de 2001 à 2008 (le maire de Nancy de l’époque, André Rossinot, est le président du Grand Nancy depuis 2001 : historiquement, il y a toujours eu une alternance pour la présidence de l’agglomération entre le maire de Nancy et le maire d’une autre commune de l’agglomération).

Engagé aussi au niveau national dans l’intercommunalité, Charles Choné fut vice-président de l’Assemblée des districts et communautés de France de 1992 à 2001, et président de l’Association des communautés urbaines de France de 1996 à 1997.

On aurait pu (à juste titre) reprocher à Charles Choné sa propension aux cumuls des mandats (à l’époque possible) et des responsabilités. Il l’a fait en conscience, considérant que ces nombreux leviers lui apportaient l’efficacité dans la réalisation de ses nombreux projets. Il a été également chargé de mission auprès du Ministre de l’Équipement, des Transports et du Tourisme de 1994 à 1994 (le ministre en question était Bernard Bosson, également secrétaire général du CDS), très honoré d’utiliser ses compétences locales dans l’exercice de ses fonctions ministérielles (Bernard Bosson avait été Secrétaire d’État aux Collectivités locales puis aux Affaires européennes entre 1986 et 1988).

De tempérament centriste (il a voté Jean Lecanuet en décembre 1965), il était fortement marqué par la guerre et était un partisan enthousiaste de la construction européenne et du principe de subsidiarité. Je me souviens de certaines discussions avec lui à propos du référendum sur le Traité de Maastricht une semaine avant les élections sénatoriales, en septembre 1992, au moment où beaucoup de maires ruraux y étaient passablement hostiles (ce qui démontrait d’ailleurs que les ruraux avaient souvent du bon sens, mais pas toujours !). Dans cette optique d’unité du continent, il n’était pas étonnant que le maire Charles Choné cherchât à nouer des jumelages entre sa ville Ludres et des villes européennes : Furth im Wald en Allemagne (en 1987), Domazlice en République tchèque (en 1994) et Furth bei Gottweig en Autriche (en 1999).

Néanmoins, son ambition de devenir sénateur n’a pas pu se concrétiser. Après un premier tour de piste en septembre 1983 (avec son seul mandat de maire), Charles Choné a raté de quelques voix son élection au Sénat en septembre 1992 (il était alors aussi élu départemental et régional). Il était l’un des rares candidats aux sénatoriales à avoir rencontré tous les maires et grands électeurs de Meurthe-et-Moselle, si bien que ses campagnes sénatoriales lui ont permis de renforcer son implantation et son influence locale. Bien plus tard, le 7 juillet 2014 à Ludres, Charles Choné a reçu en présence du sénateur Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier Ministre, la médaille d’honneur du Sénat.


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Un internaute qui a travaillé plusieurs années aux côtés de Charles Choné a écrit ces quelques mots très justes en réaction à l’hommage de "L’Est Républicain" : « "Le" Charles, c’était une institution. Évidemment, ses amis et ses ennemis vont se confondre en regrets et compliments. Tu parles ! Il va bien se marrer. Il avait cette manière de rigoler à la Bouvard, en tressautant des épaules, avec le regard malicieux et matois du paysan à qui on ne la fait pas. » (11 mai 2018).

Affirmant que Charles Choné « avait le sens de la formule qui donnait aux situations complexes le caractère d’une évidence presque banale », Jean-François Husson, dans son hommage, a rappelé la conclusion du livre que l’élu écrivit en 1988, "La République dans tous ses états" (livre de témoignage sur la fiscalité et les institutions), avec une formule de Voltaire qui peut être une recommandation avisée pour l’avenir : « C’est n’être bon à rien, de n’être bon qu’à soi. ». Charles Choné manquera beaucoup aux Nancéiens. Condoléances à sa famille et proches.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 mai 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Charles Choné.
Bernard Bosson.
Le CDS.
La construction européenne.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Olivier Lejeune.
Roger Mari.

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1 réactions


  • Dom66 Dom66 4 août 2018 19:28

    Mon Pôvre Rakoto, effectivement on s’en br**le un max de ton gus ?, d’ailleurs moi je ne le Choné pas… et puis il ne faut pas dé Choné


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