mercredi 16 octobre 2019 - par Sylvain Rakotoarison

Christian Jacob, syndic de faillite chez Les Républicains ?

« La décadence d’une société commence quand l’homme se demande : "Que va-t-il arriver ?" au lieu de se demander : "Que puis-je faire ?". » (Denis de Rougement, 1977).

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Il a même eu les applaudissements de l’ensemble des députés lors de la séance du mardi 15 octobre 2019, quand le Président de l’Assemblée Nationale, Richard Ferrand, l’a félicité de sa brillante élection. Des élections internes ont en effet eu lieu le week-end dernier, les 12 et 13 octobre 2019, à l’issue desquelles Christian Jacob a été élu président du parti Les Républicains au premier tour avec 62,6% des voix, et avec une participation de 47,4%.

Reprenons le fil. Le parti Les Républicains a réalisé une très mauvaise performance aux élections européennes du 26 mai 2019 avec la liste de François-Xavier Bellamy qui n’a obtenu que 8,5% de voix, perdant les trois cinquièmes de ses sièges de 2014. Fort de cette pression, le président de LR Laurent Wauquiez a dû remettre sa démission le 2 juin 2019, laissant vacante une présidence qui est devenue de moins en moins "intéressante". En attendant l’élection des adhérents, l’ancien ministre radical Jean Leonetti, vice-président, a assuré l’intérim de la direction.

Les hypothèses de leadership durable de la droite républicaine s’effacent de plus en plus rapidement : Jean-François Copé, Laurent Wauquiez… ne sont décidément ni Jacques Chirac, ni Nicolas Sarkozy ! Alors qu’en 2017, c’était la fuite des cerveaux de LR, 2019 reste le non-retour des cerveaux (le 13 octobre 2019, l’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin a confirmé sur LCI qu’il n’était plus LR). Pour autant, LR n’est pas (encore) une coquille vide.

Au contraire de 2012 et de 2017, le scrutin interne de 2019 fut à la fois hors d’une division irrattrapable (rivalité entre François Fillon et Jean-François Copé), mais pas sans réel débat sur la ligne générale du parti.

Christian Jacob s’est présenté à la présidence de LR le 21 juin 2019 un peu par défaut. Président du groupe LR à l’Assemblée Nationale depuis le 23 novembre 2010, il était poussé par la plupart des notables, barons, grands élus de LR pour gérer la maison au moins jusqu’aux prochaines élections municipales où LR a beaucoup à perdre (car ce parti a beaucoup gagné en mars 2014) et même jusqu’à la prochaine élection présidentielle de 2022.

En face de lui, Guillaume Larrivé, député d’Auxerre, plein d’ambition, s’est présenté le 28 juin 2019, tandis que le député électron libre du Vaucluse Julien Aubert s’est déclaré le 29 juin 2019. Les deux ont manqué de notoriété même s’ils sont connus des cadres depuis quelque temps. Guillaume Larrivé a voulu surfer sur la vague Wauquiez en poursuivant la droitisation de LR (démarche sans intérêt en raison du modèle préféré à la copie…), tandis que Julien Aubert, qui tient un excellent blog depuis quelques années, défend plutôt des positions souverainistes et se réfère à Philippe Séguin (attention, le Philippe Séguin de l’époque Maastricht en 1992, pas celui qui était en faveur du TCE en 2005 !).

L’élection de Christian Jacob n’a pas été un déshonneur. Certes, il n’y a eu que 131 514 adhérents inscrits (au lieu de 234 556 en 2017, montrant la grande efficacité de la présidence de Laurent Wauquiez en un an et demi), mais il y a eu presque la moitié de participation, exactement 47,44% (au lieu de 42,46% en 2017), ce qui, pour le contexte défavorable, était plutôt encourageant. Christian Jacob a obtenu 62,58% des voix (soit 38 712 votes), face à Julien Aubert avec 21,28% et Guillaume Larrivé avec 16,14%.

Le seul intérêt d’une hypothèse Guillaume Larrivé (qui a fait un très mauvais score), c’était de mettre LR dans les rails d’une nouvelle et durable ambition personnelle mais c’était forcément trop tôt (qui est Guillaume Larrivé ? quelles sont ses réussites ?). Sans doute que Guillaume Peltier, qui est très bien implanté au sein des militants LR, se mord aujourd’hui les doigts de ne pas avoir voulu tenter l’aventure, il aurait pu créer la surprise. 2019 aurait pu être l’appel d’air pour initier un nouveau leader, mais ce n’est pas donné à tout le monde d’être un jeune Jacques Chirac dans sa version de 1967 !

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Rappelons que le 10 décembre 2017, Laurent Wauquiez a été élu président de LR avec 74,64% des voix (soit 73 554 votes). Bien que désavoué par Nicolas Sarkozy, on pourrait dire qu’il représentait l’extrasarkozysme (extra comme extraterrestre), étant donné qu’il voulait aller dans une sorte de comportement sarkozyen. En face de lui, il y avait Florence Portelli (maire de Taverny), avec 16,11% des voix, et Maël de Calan, avec 9,25%. Florence Portelli représentait le courant filloniste et a quitté LR depuis le 5 juin 2019, adhérant dès novembre 2017 au mouvement de Valérie Pécresse, tandis que Maël de Calan représentait Alain Juppé (qui a quitté LR également).

En élisant Christian Jacob, les adhérents de LR ont choisi le statu quo : on gèle l’affaire. On évite les aventures (à la Wauquiez, à la Larrivé), on se concentre sur les "territoires", on se replie sur les collectivités locales, les mairies, les communautés d’agglomération, et évidemment, on prépare les municipales de mars 2020 en particulier, et enfin, on réfléchit sur 2022. Chose acquise : Christian Jacob ne sera pas le candidat LR à l’élection présidentielle de 2022. C’était évident et il l’a répété le 14 octobre 2019 sur France Inter.

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Ceux qui en douteraient auraient tort d’en douter : s’il y a une chose dont Christian Jacob a hérité de son origine de syndicaliste agricole, c’est la lucidité et le réalisme. Il sait qu’il n’est pas un énarque ni un intellectuel, qu’il n’a pas la stature pour devenir Président de la République, et qu’il n’aurait aucune envie de devenir candidat. En revanche, il pourrait être un excellent président gestionnaire de LR. Pourquoi ? Parce que justement, ses actions ne seront pas viciées par son ambition personnelle. Il pourrait éviter les passions personnelles, rationaliser les initiatives.

Christian Jacob a déjà une belle expérience politique alors qu’il va avoir 60 ans dans un mois et demi, le 4 décembre 2019 : il a d’abord été le président du Centre national des jeunes agriculteurs de 1992 à 1994. Repéré au RPR, il fut élu député européen de juin 1994 à juin 1997, sur la liste UDF-RPR de Dominique Baudis. Puis, il fut élu député de Seine-et-Marne et constamment réélu depuis juin 1997. Élu maire de Provins de mars 2001 à juin 2017(sauf quand il était ministre), successeur ainsi de l’ancien ministre académicien Alain Peyrefitte (dont il n’a pas beaucoup le profil), il est très implanté dans le seul département rural de la région parisienne.

Surtout, Christian Jacob ne doit rien à Nicolas Sarkozy qu’il a soutenu à la primaire LR de novembre 2016. Il est chiraquien et fut nommé ministre pendant toute la durée du second mandat présidentiel de Jacques Chirac, du 17 juin 2002 au 15 mai 2007, d’abord à la Famille, puis, le 31 mars 2004 aux PME, enfin le 2 juin 2005, à la Fonction publique.

Il a noué des relations de rivalité et de complicité avec Jean-François Copé, lui aussi chiraquien et pas sarkozyste. En Seine-et-Marne, les deux ont été en concurrence pour le leadership politique du département (qui devait être le patron de l’UMP77 ?). Mais de rivaux, ils sont devenus alliés lorsque le 17 juillet 2010, Jean-François Copé s’est vu confier par Nicolas Sarkozy les clefs de l’UMP en devenant secrétaire général, laissant la présidence du groupe UMP à l’Assemblée Nationale à Christian Jacob.

En fait, obtenir cette présidence du groupe UMP (puis du groupe LR) n’était pas forcément une formalité. Le 23 novembre 2010, Christian Jacob a été élu au second tour par 182 voix contre 109 voix à Jean Leonetti. Le 20 juin 2012, il fut réélu au premier tour par 117 voix contre 63 voix à Xavier Bertrand et 17 voix à Hervé Gaymard (en pleine rivalité Copé vs Fillon, François Fillon avait refusé de soutenir Xavier Bertrand). Enfin, le 21 juin 2017, il fut réélu par 62 voix contre 32 voix à Damien Abad (ancien NC et ancien proche de Bruno Le Maire).

Christian Jacob

Christian Jacob a de nombreuses qualités, qui sont en particulier la loyauté, la fidélité, le bon sens (paysan) et le talent de négociateur (qu’il avait déjà comme syndicaliste agricole). Il n’a certainement pas la capacité à innover, à trouver des solutions nouvelles et originales, et ses premières positions politiques de président de LR (sur le voile par exemple) non seulement montrent un grand conformisme mais ne sortent pas de l’esprit démagogique sécuritaire insufflé dans ce parti depuis juillet 2010 par Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé et Laurent Wauquiez.


Le gros handicap de LR depuis 2017, c’est la disparition de ses leaders, soit parce qu’ils ont définitivement quitté la scène politique (Nicolas Sarkozy, François Fillon, Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin, Dominique de Villepin), soit parce qu’ils sont en réserve, à l’intérieur du parti (François Baroin, Gérard Larcher, Bruno Retailleau), ou à l’extérieur (Xavier Bertrand, Valérie Pécresse), sans compter ceux qui se sont brûlé les ailes (Jean-François Copé, Laurent Wauquiez).

Au soir des élections européennes du 26 mai 2019, beaucoup ont prédit la disparition de LR. Je n’en crois rien. La disparition du PS est prévisible, car les socialistes n’ont plus d’argent (ils ont vendu leur siège rue Solferino) et ils sont profondément et durablement divisés avec des forces centrifuges vers FI et LREM. Les Républicains, en revanche, ont encore beaucoup de parlementaires, ils sont la seule véritable force d’opposition à l’Assemblée Nationale et ils ont la majorité au Sénat, ce qui est loin d’être anodin. De plus, ils sont très implantés localement, sur les "territoires" et les élections municipales de mars 2020 ne doivent pas être analysées avec les performances électorales des élections européennes de 2019, ces deux scrutins n’ont rien à voir.

L’échec de LR aux élections européennes est réel (moins de 10%), et laisse augurer un paysage national dominé par le clivage entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Cependant, c’est trompeur.

D’une part, il n’y a jamais eu de conséquence politique des résultats des élections européennes dans l’histoire des quarante dernières années : la grande victoire de Simone Veil de 1979 n’a pas empêché la défaite de Valéry Giscard d’Estaing en 1981. L’irruption de Bernard Tapie en 1994 n’a pas été suivie, ni celle des écologistes menés par Daniel Cohn-Bendit en 2009, qui faisaient jeu égal avec le PS, et qui ont eu un score ridiculement bas avec Eva Joly en 2012. La liste menée par Charles Pasqua en 1999 n’a pas eu non plus de suite dans la vie nationale et la recomposition du paysage politique. Bref, les surprises des européennes n’ont jamais été confirmées dans d’autres scrutins (aux écologistes de démentir ce constat !).

D’autre part, ce clivage entre LREM et RN est assez artificiel. Il existe en raison des véritables carences de LR et du PS, mais pas grâce à LREM et au RN. En d’autres termes, ce clivage est par défaut et sera remplacé dès que de nouvelles solutions alternatives viendront sur le marché électoral. Après tout, François Fillon, malgré son "affaire", a quand même rassemblé 20% des voix en 2017. En 2019, le problème a surtout été que la plupart des électeurs LR ont voté pour LREM.

Et c’est aussi là qu’il faut casser une idée reçue : il est évidemment faux de dire qu’il n’y a plus d’espace politique entre LREM et le RN, à moins de vouloir réduire à sa plus simple expression, c’est-à-dire à un manichéisme simplificateur, le débat public. C’est d’ailleurs l’une des raisons d’être aujourd’hui de LR : en cas d’effondrement de LREM, qui serait lié exclusivement à Emmanuel Macron, il faudrait nécessairement un réceptacle, et cela ne pourrait être qu’un parti centriste (UDI, Mouvement radical, Les Centristes, Agir) ou LR. Les électeurs ont horreur du vide.

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Cela dit, Les Républicains ont deux gros problèmes, et Christian Jacob devra trouver des solutions pour répondre à ces deux enjeux.

Le premier, c’est ce que j’appelais la fuite des cerveaux. Là encore, il est faux de dire qu’ils fuient vers LREM et vers le RN. Ils ne fuient que vers LREM. Ceux qui ont franchi le pas vers le RN sont ultraminoritaires, comme l’ancien ministre sarkozyste Thierry Mariani dont les motivations étaient aussi pour avoir un mandat parlementaire. Le "cordon sanitaire" entre RN et LR mis en place par Jacques Chirac dès septembre 1983 reste toujours très solide, trente-six ans plus tard. La plupart des fuites se font vers LREM ou des structures proches de LREM : Édouard Philippe (juppéiste), Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu, Jean-Baptiste Lemoyne, Franck Riester, Thierry Solère, sans compter la sympathie macro-compatible de Jean-Pierre Raffarin et Alain Juppé.

Mais il y a aussi des fuites vers l’intérieur même de LR. J’en veux pour preuve Bruno Retailleau, proche de François Fillon et très influent président du groupe LR au Sénat, qui a repris la présidence de l’association filloniste Force républicaine, toujours en service (une nouvelle convention consacrée à la souveraine numérique a été planifiée le 6 novembre 2019). Ou encore Xavier Bertrand (dont les attaques contre Emmanuel Macron dans le "Journal du dimanche" du 13 octobre 2019 sur la lutte contre le terrorisme n’a rien à envier à la ligne Wauquiez) et Valérie Pécresse (elle aussi qui se place résolument dans l’opposition) sont à côté de LR sans en être vraiment très éloignés.

Et c’est là le second défi de Christian Jacob. Rassembler toutes ces chapelles de LR pour reformer un parti uni n’a aucun sens sans une finalité présidentielle. L’histoire a rendu très contestable le principe de la primaire ouverte (Christian Jacob a redit son opposition à ce principe qui divise au lieu d’unifier). Comment choisir un unique présidentiable pour dans deux ans ? La mission est quasiment impossible. On peut croire qu’il y a un trop plein, mais en fait, il y a plutôt un trop vide. Les têtes d’affiche sont déjà du passé et l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée a rendu beaucoup de présidentiables hors-sol.

La manière dont Emmanuel Macron a réussi à se rétablir auprès de "l’opinion publique" après la crise des gilets jaunes montre que, contrairement à Nicolas Sarkozy et à François Hollande, une nouvelle candidature présidentielle et une nouvelle victoire présidentielle sont possibles et même probables (sinon souhaitables pour la France). Pour LR, un succès présidentiel dès 2022 est donc peu probable. Il s’agirait alors plutôt de faire bonne figure, un peu à l’instar du PS à l’élection présidentielle en 1995.

Après la défaite historique du PS aux élections législatives de mars 1993, Lionel Jospin avait réussi à étonner tout le monde en se retrouvant en tête du premier tour de l’élection présidentielle de 1995. Il n’a évidemment pas gagné, mais deux années après, il se retrouvait Premier Ministre de cohabitation, au pouvoir pendant cinq ans. Le contexte est différent avec le quinquennat, mais les retours électoraux, pour ne pas dire revers électoraux, sont possibles et même prévisibles. Si Lionel Jospin a pu en bénéficier, c’était parce qu’il avait tout fait pour être en capacité de saisir l’improbable chance… À Christian Jacob de saisir aussi l’improbable main du destin !…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 octobre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Christian Jacob.
Européennes 2019 : les six surprises françaises du scrutin du 26 mai 2019.
François-Xavier Bellamy.
Guillaume Larrivé.
Jacques Chirac.
Nicolas Sarkozy.
Édouard Philippe.

Alain Juppé.
Jean-Louis Debré.
Dominique de Villepin.
Patrick Balkany.
Christian Estrosi.
La fondation de Les Républicains le 1er juin 2015.
Les Républicains en ordre de marche ?
Laurent Wauquiez.
Résultats détaillés de l’élection du président de LR le 10 décembre 2017.
L’élection du président de l’UMP le 29 novembre 2014.
Le retour aux listes nationales pour les européennes.
Mathématiques militantes.
Rapport de refondation de la droite du 7 novembre 2017 (à télécharger).
Les Républicains en pleine introspection.
Les Républicains, parti des expulsions.
La primaire LR de novembre 2016.
François Fillon.
Gérard Larcher.
Jean-Pierre Raffarin.
Xavier Bertrand.
Valérie Pécresse.
Jean-François Copé.
Nathalie Kosciusko-Morizet.
Bruno Le Maire.
Les élections sénatoriales de 2017.
La XVe législature de la Ve République.
Les Langoliers.
Forza Francia.
Michel Barnier.
Bernard Debré.
Dominique Dord.
Virginie Calmels.
Michèle Alliot-Marie.
Patrick Ollier.
Charles Pasqua.
Édouard Balladur.
Cinquième République.

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2 réactions


  • confiture 16 octobre 2019 15:13

    quel tarin !


  • Le421... Refuznik !! Le421 16 octobre 2019 18:33

    Faudra un jour qu’on m’explique la différence entre LR et LREM, sinon que l’on a ajouté Emmanuel Macron à l’intitulé.

    Parce que pour ce qui est du programme, c’est la droite ou la droite.

    On file du fric aux riches et on laisse crever les plus pauvres qui, de toute façon, n’espèrent plus rien et ne vont même plus voter...


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