Comment les socialistes ont fourvoyé la démocratie
Malheur à qui cuisine la loi électorale ! En 2001, le Premier ministre Lionel Jospin inversait le calendrier des échéances afin que l’élection présidentielle se déroule avant les législatives. On voit le résultat : une défaite sans précédent en 2002 et un système de « monarchie républicaine » qui n’a jamais été aussi omnipotent à tous les étages de la République.
En 2001, Lionel Jospin n’a pas seulement péché par manœuvre, mais aussi par orgueil. L’élection présidentielle reposant principalement sur des principes de leadership, il pensait qu’en la situant avant les élections législatives, les Français accorderaient plus volontiers leurs suffrages à son humble candidature qu’à celle d’un président « vieilli et fatigué » pour reprendre ses mots. Et se réuniraient plus volontiers sur sa personne que sur une tripotée de candidats de gauche à la députation. Mal lui en prit : non seulement, Jospin fut derrière Le Pen, la gauche fut ensuite laminée, et, quinquennat aidant, c’est l’ensemble de notre République qui repose désormais sur l’unique élection présidentielle au suffrage universel, les élections législatives n’étant plus qu’une queue de comète lui succédant, envoyant naturellement des godillots à la solde du président fraîchement élu.
Au secours, Jaurès revient !
Souvenons-nous que, pour parvenir à ses fins, le Parti socialiste d’alors a obtenu le soutien des députés du centre de François Bayrou, l’UMP et le Parti communiste s’étant opposé. Ce faisant, les socialistes, conduit par le Premier ministre, ont tourné le dos à près de quatre-vingts ans de conviction socialistes. Jean Jaurès et Rosa Luxembourg, Léon Blum et François Mitterrand réunis… Excusez du peu ! Après avoir été révolutionnaire et donné la priorité à la rue, Jean Jaurès avait converti les socialistes au parlementarisme à la veille de son assassinat. Rosa Luxembourg l’a suivi, opérant un savant mélange entre le parlementarisme et l’expression révolutionnaire. Plus tard, le Front populaire obtenait la victoire et s’installait au pouvoir, pour une courte durée, il est vrai. François Mitterrand, ensuite, incarna avec brio, parfois aussi avec machiavélisme, l’utilisation du parlementarisme. Devenu le plus fervent opposant à de Gaulle, il construisit sa réputation par la contestation de la Ve République, du processus d’accès au pouvoir du général et du fameux « pouvoir personnel ». Certes, chacun put constater ensuite que F. Mitterrand s’accommoda furieusement bien des institutions qu’il avait lui-même critiquées. Mais qu’il s’agisse des premières lois de décentralisation, de sa façon de gouverner (« Il faut laisser faire les ministres, aimait-il à dire ») ou de son souhait, maintes fois affirmé, d’instiller la proportionnelle dans l’élection des députés, il fut probablement jusqu’à aujourd’hui le plus « parlementariste » des présidents de la Ve. D’ailleurs, répondait-il à la question souvent posée de son avis sur la Constitution : « Les institutions ont été dangereuses avant moi et le redeviendront après moi ».
Et que vive la monarchie…
Avec Lionel Jospin et le renversement du calendrier, les socialistes ont oublié cet héritage, celui qui donne la priorité aux députés, élus du peuple, alors que, pourtant, ils furent élus, par surprise, à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale de 1997. Après l’adoption du quinquennat et celle de l’élection présidentielle avant les élections législatives, c’est tout l’édifice de la Ve République qui s’est transformé. Ou, plus exactement, qui a accentué le pouvoir du Président de la République. Nos députés, qui à l’inverse des autres démocraties européennes, avaient déjà peu de pouvoir, deviennent de facto les supplétifs du président, puisqu’ils ne doivent leur fauteuil qu’à l’influence du suffrage présidentiel sur l’électeur.
Ceux que F. Mitterrand appela « la monarchie républicaine » peut se donner alors libre cours. Fidèle à l’esprit du règne de Louis XIV, il n’y a plus guère de pouvoir susceptible de s’opposer au monarque moderne. Le pouvoir par l’argent complète le dispositif. Même mieux : l’avènement de la presse dite « people » et les caractéristiques « bling-bling » du comportement de Sarkozy apportent même la touche d’alcôve qui manquait. Ce n’est plus au lever du roi ou au passage du carrosse auxquels courtisans et bon peuple sont priés d’assister. C’est aux frasques et aux paillettes du pouvoir.
Jusqu’au plus petit village
Certains pensent peut-être que cette dérive de la monarchie républicaine s’observe exclusivement au sommet. C’est une lourde erreur. Pour avoir côtoyé de près bon nombre d’élus locaux de toutes tendances ainsi que des hauts fonctionnaires nommés en conseil des ministres, je puis assurer que ce triste état d’esprit monarchique a envahi toutes les sphères de notre République, y compris nos hobereaux de campagne, alors qu’ils sont élus par scrutin de liste. Il n’y a pas très longtemps, avant les dernières élections municipales, je faisais remarquer au secrétaire particulier d’un maire d’une sous-préfecture que le comportement de son élu (concernant une question précise) n’était pas conforme à la loi et que, de ce fait, il risquait de se voir assigné au tribunal administratif. Là-dessus, je me vis entendre cette réponse sans appel de son collaborateur, par ailleurs titulaire d’une maîtrise d’histoire : « Jusqu’aux élections, le maire est souverain ! » Il faut croire qu’en faculté d’histoire on n’apprend pas qu’un maire ou un président de la République ne détient plus la pleine souveraineté depuis…1789 ! En réalité, son propos, même maladroit, illustre avec clarté davantage une façon de gouverner et de se croire intouchable qu’un point juridique ou historique… Entre autres responsabilités, j’ai eu également à travailler sous l’égide d’un haut fonctionnaire directement nommé en conseil des ministres. Lui n’était pas élu, mais disposait d’une sorte d’adoubement quasi sacré, dont tous ses collaborateurs souffraient ainsi d’ailleurs que lui-même.
Un congrès pour Ubu
Ces comportements, d’élus de droite comme de gauche, tous ces passe-droits dont souffre l’ensemble de notre société, ces ministres qui se permettent de contourner les règles qu’ils ont eux-mêmes instaurées, à commencer par le simple Code de la route, cette propension de l’Etat et de toutes les collectivités territoriales à ne pas appliquer pour eux-mêmes, quand ils sont employeurs, les règles du Code du travail qu’ils exigent pour des entreprises… Bref, toutes ces dérives nombreuses sont encore renforcées par le fait que l’élection présidentielle est devenue « reine » et le règne de notre président actuel plus monarchique que jamais. Sans doute, l’austère Jospin et ses camarades socialistes n’avaient probablement pas imaginé toutes les conséquences néfastes de leur volonté de placer l’élection présidentielle au premier plan de l’année électorale 2002. Ils étaient également loin d’imaginer que ce serait Le Pen qui sortirait de cette sombre tambouille institutionnelle… Il n’empêche : ils auraient pu revenir, sous leur législature, à un rôle du Parlement plus affirmé, ainsi que souhaiterait l’appliquer désormais – mais timidement – Nicolas Sarkozy. Ils auraient pu aussi s’attaquer à une réforme du Sénat puisqu’ils n’ont de cesse d’expliquer sa non-représentativité dans la France d’aujourd’hui. Ils auraient pu, également, réformer notre carte administrative qui, avec ses régions trop petites, ses départements obsolètes et ses communes trop nombreuses, est devenue anachronique et le symbole de notre impuissance hexagonale dans l’Union européenne.
Avec les préparatifs du prochain congrès du Parti socialiste, il n’est peut-être pas trop tard pour mettre tous ces projets en chantier, dans la perspective du futur débat de 2012 ? Las ! Ce dont les socialistes nous offrent le spectacle, c’est une pâle querelle de leadership. Et ce qui fait le sel de ce charivari rose, ce ne sont pas les idées… Que non ! C’est l’unique souci de se construire le profil d’un nouveau monarque, capable de remporter la prochaine élection présidentielle… Laquelle, pensent toujours les socialistes à l’unisson, doit rester la première. Pour le malheur de notre démocratie.