mardi 10 décembre 2019 - par Pepito Gavroche

Contre la réforme Delevoye, ça chauffe en AG !

Seine-Saint-Denis (93), lundi 9 décembre 2019

Ce matin, cinq jours après le début de la grève, et à la veille d’un temps fort de la mobilisation, on a fait le tour des Assemblées Générales d’une ville de la banlieue parisienne pour prendre la température. Agents de la RATP, communaux, profs, lycéens… Ils sont plutôt bouillants.

 

9H – Local des employés de la RATP

L’ambiance est survoltée dans le local des employés de la RATP. Près de soixante-dix personnes se serrent autour d’une grande table, sur laquelle trônent un quarte-quart, une tarte aux pommes et une cafetière.

« Ça me rappelle 95, tu te souviens, Pierrot* ?
– Ah ouais, c’est clair.
– J’étais même pas née, moi ! »

Quelques profs, un étudiant et un lycéen sont présents dans l’assemblée. On se rend compte que la lutte risque d’être longue, et qu’il ne faudra pas tomber dans le corporatisme. L’heure est à la convergence.

« Là, on va rentrer dans une guerre psychologique. Ce soir, à la télé, on va se faire défoncer, vous inquiétez pas. Laissez tomber les 60 % d’opinions positives, on va retomber à 25 %. Mais on s’en fout ! »

Ici, on est déterminé à aller jusqu’au bout.

« Il faut qu’on soit clairs. Là, ils vont commencer à essayer de nous diviser. Ils vont faire courir le bruit que telle ou telle organisation syndicale est prête à céder, que les négociations avancent, etc. Non, nous, ce qu’on veut, c’est le retrait complet. Il y a pas de négociations possibles avec le gouvernement. Et si il y en a qui commencent à douter, il faut se parler, se téléphoner, se soutenir moralement. C’est aussi pour ça que c’est important de venir en AG. Pour ne pas céder à leur propagande. »

Tout le monde applaudit l’intervention. La grève est reconduite jusqu’à mercredi, à l’unanimité.

9H45 – Bourse du travail

A la bourse du travail, les visages sont moins enjoués. Seulement une petite dizaine de personnes sont venues à l’AG des agents communaux. Un échec, pour Georges :

« La on est représentatifs de rien, on peut pas se permettre de voter quoi que ce soit… Il y a un truc qu’on a foiré, sur la communication.
– On a fait comme on a pu. Les autres syndicats disent qu’ils soutiennent, qu’ils veulent une inter-syndicale, mais après, c’est toujours pareil, on nous laisse faire tout le boulot. Et nous, on s’épuise, rétorque une représentante syndicale, un peu amère. »

La division syndicale, cet énorme piège qui se referme souvent quand la lutte devient difficile, pointerait déjà le bout de son nez ? Non, l’optimisme reprend très vite le dessus.

« Il faut pas être catastrophistes non plus. Les communaux sont pas mobilisés, c’est un fait. Mais on fait avec ce qu’on a. Jeudi dernier, à l’imprimerie, on avait 95 % de grévistes. Et le vendredi seulement 5 %. C’est à nous de continuer à mobiliser, d’aller voir les collègues, les salariés, et de pas se retrouver qu’entre militants. En 95, ça a mis un peu de temps à démarrer, il faut pas lâcher. »

L’écriture d’un tract inter-syndical, la diffusion sur tous les lieux de travail, voilà qui est acté. Et la demande d’un petit coup de pouce de la part des collègues d’autres professions. « On a besoin de bras ! »

10H30 – Mairie

A la Mairie, il y a une bonne centaine de personnes, un peu moins de monde que vendredi dernier, pour l’AG éducation. Mais il ne faut pas se méprendre : La mobilisation ne faiblit pas. Certaines écoles ont décidé de ne pas reconduire la grève ce lundi, pour éviter de se faire comptabiliser le week-end comme jours de grève. Dès mardi, la mobilisation devrait reprendre de plus belle.

Dans l’assemblée, on est en majorité pour le durcissement de la lutte :

« Il faut faire comprendre aux collègues que d’entrecouper la grève de jours travaillés, ça va pas. C’est la grève illimitée et reconductible qu’il faut déclarer ! On doit bien se rendre compte que le noyau dur de la grève, c’est la SNCF, la RATP, et l’éducation nationale. On a une responsabilité pour aller mobiliser les autres. On peut pas se permettre de faire une grève intermittente. »

11H – Mairie

L’Assemblée Générale inter-pro commence. Instits, profs, conducteurs de métro, agents communaux, étudiants, lycéens, gilets jaunes, se réunissent pour élaborer la lutte ensemble.

« On a besoin de petites mains pour nous aider », vient annoncer une agent communale. Pas de problème, des petites mains, il y en aura.

« Il faut aussi aller voir les collègues du privé, leur dire qu’eux aussi on droit de faire grève, dans le cadre d’un appel national à la grève. Il faut qu’on monte des caisses de grève, pour permettre aux employés qui ont un petit salaire de se mobiliser ! »

Dans la ville, déjà une dizaine de commerçants ont mis en place des caisses de grèves au sein de leurs boutiques. Et on espère en compter de plus en plus.

« Et surtout, il faut expliquer pourquoi on se mobilise. Le gouvernement essaye de faire croire qu’il s’agit d’abolir les régimes spéciaux, alors qu’en fait, il attaque tout le monde, tous les travailleurs avec cette réforme ! »

Des commissions se mettent en place, pour structurer la lutte en inter-professionnel. Pour décider de modes d’action, de communication, pour faire vivre et élargir la lutte.

L’idée d’une manifestation locale, dans la ville, émerge. Pas besoin d’aller tout le temps à Paris, il faut déjà montrer aux gens de la ville que le mouvement existe, ce qu’il revendique, expliquer pourquoi il faut le rejoindre.

« On n’oublie pas ! On ne veut pas d’arrangements ! C’est le retrait de la réforme qu’on exige, rappelle Thomas, professeur de collège.
– Oui, et puis après, le retrait de la réforme Blanquer ! Et puis le retour sur le massacre du code du travail. Et puis… Bref, pourquoi s’arrêter là, maintenant que le mouvement est lancé ? Ce qu’on veut, c’est la fin du monde injuste que représente Macron, non ? » s’emballe Anne, la soixantaine, gilet jaune sur le dos.

Et pourquoi pas ?

A Martine, on laisse le mot de la fin : « Nous on a fait 95, les grosses grèves, on connaît ! On lâche rien ! »

 

* tous les prénoms ont été modifiés

Photo : AG du vendredi 6 décembre, à la Mairie de Montreuil



9 réactions


  • Francis, agnotologue JL 10 décembre 2019 10:46

    C’est bien de rappeler 95.

     

    Cela se passait dans l’hiver 1995-1996, Alain Juppé était aux « manettes ». Serge Halimi raconte :

    "Cette lobotomie avait duré près de quinze ans : les élites françaises et leurs relais médiatiques pouvaient estimer qu’ils touchaient au but. Ils avaient chanté ’Vive la crise’, célébré l’Europe et la modernité, conjugué des alternances sans changement, embastillé la justice sociale dans le cercle de la raison capitaliste. Et puis, M. Juppé parla. Le fond de sa ’réforme’ importe peu : il s’agissait une fois encore de mener ’la seule politique possible’, c’est-à-dire de faire payer les salariés. Sans trop se soucier de cohérence - les médias assureraient la mise en musique idéologique -, M. Juppé prétexta simultanément de son désir d’assurer la défense de la protection sociale et d’éviter la défiance des marchés financiers."

    ......

    "Raymond Barre avait annoncé : ’Au prix d’épreuves et de sacrifices, les êtres humains s’adapteront’. Cette fois, l’’incontournable’ fut contourné : les cheminots et les agents de la RATP triomphèrent des affidés de M. Barre. Il paraît que c’est sans importance : ’On se souviendra aussi peu de ça que de la grève SNCF de 1986’, a déjà expliqué l’un de nos plus brillants commentateurs...)"

    A lire, La Grande Révolte française contre l’Europe libérale : les médias et les gueux de Serge Halimi (1).

    C’était il y a tout juste onze ans. Aujourd’hui, hiver 2007, l’équité est le cheval de bataille pour justifier la réforme des régimes spéciaux des retraites. Mais qu’est-ce que l’équité ?

    "Au nom de l’équité, le salaire du président de la République a été plus que doublé. Cette ahurissante augmentation a été légitimement rapprochée du dramatique problème de pouvoir d’achat en France car les principes justificateurs allégués par les auteurs mêmes de cette ’grande avancée sociale’ n’ont pas hésité à faire référence à l’équité. Pourtant cette référence à l’équité évoque davantage la réforme des régimes spéciaux, ... par la parfaite symétrie, mais évidemment à fronts renversés, des diverses façons de réaliser l’équité."

    A lire absolument, dans l’excellent article de Frédéric Lordon, chercheur au CNRS : Les Géométries variables de l’équité (2).

    Comme l’on voit, l’équité est une notion très subjective. Remarquons que la référence sans laquelle l’équité n’est qu’une notion à la dérive c’est l’égalité. Autour de ce point d’ancrage, il y a d’un côté toutes les nuances de l’équité, de l’autre toutes celles l’iniquité. Etant juge et partie dans ce domaine, le gouvernement n’a pas le droit de parler au nom de l’équité.

    Comme l’on voit, l’équité est une notion on ne peut plus subjective. Remarquons que la référence sans laquelle l’équité n’est qu’une notion à la dérive c’est l’égalité. Autour de ce point d’ancrage, il y a d’un côté toutes les nuances de l’équité, de l’autre toutes celles l’iniquité. Pratiquer comme le fait le gouvernement l’équité à fronts renversés, vers le haut pour l’un, vers le bas pour les autres c’est évidemment faire deux poids et deux mesures, c’est imposer l’équité positive pour les nantis et l’équité négative pour les salariés. Cette équité négative usurpe son nom et n’est qu’un égalitarisme pour les autres, inique.

    De fait, mettre tout le monde au même niveau c’est évidemment pratiquer l’égalité, il faut appeler un chat un chat. Et quand ce niveau est le moins favorable, c’est niveler par le bas. Décréter équitable ce qui accroît les inégalités entre les différences classes sociales est une imposture insoutenable.

    Et donnons ici le mot de la fin à Frédéric Lordon : "La réforme des retraites ne cesse de revendiquer la ’justice’ et n’est pas loin de se donner pour ’sociale’... Il est peut-être temps de remettre à l’endroit ce parfait sens dessus dessous. C’est pourquoi la lutte contre la réforme des régimes spéciaux offre une occasion de ne surtout pas manquer de récupérer ’l’égalité’ et d’en réaffirmer le sens originel, qui n’a jamais été celui de la convergence pour le pire".

     

     https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/plus-ca-change-plus-c-est-pareil-31562


    • Captain Marlo Fifi Brind_acier 10 décembre 2019 20:03

      @JL
      C’est normal qu’il y ait des attaques sans cesse, depuis 1945, le patronat ne rêve que de voir disparaître le modèle social français...
      .
      « Adieu 1945, raccrochons notre pays au Monde ! ». Les Traités européens lui donne un sacré coup de main...Et les européistes de Gauche aussi, puisqu’ils ne veulent pas sortir de l’UE, tout comme les syndicats.
      .

      "Denis Kessler  : Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie.

      Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme…

      A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là . Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !...


  • titi titi 10 décembre 2019 12:56

    Les AGs ?

    Du folklore.


    • Captain Marlo Fifi Brind_acier 10 décembre 2019 20:28

      @ titi,

      C’est du folklore tant que les dirigeants syndicaux ne sont pas débordés par la base... Car tout le monde a compris maintenant ce qu’était la retraite à points :

      « Le système de la retraite par points, cela permet une chose qu’aucun homme politique n’avoue. Cela permet de diminuer chaque année la valeur des points et donc de diminuer les pensions. »

      Et plus personne n’écoute Édouard Philippe.


  • touriste 10 décembre 2019 17:46

    Les AG sont essentielles !

    Les caisses de grèves aussi.

    Et aussi faire de la « publicité » pour la réforme Delevoye !

    A ce sujet il faudrait revenir aux bonnes vieilles méthodes de l’ancien monde : distribuer sur les marchés, faire le tour des cages d’escaliers dans les immeubles, faire les sorties d’usines et de bureaux ... 


  • Ruut Ruut 10 décembre 2019 18:06

    N’oubliez pas non plus de couper la TV pour éviter de subir la propagande :)


    • Captain Marlo Fifi Brind_acier 10 décembre 2019 20:18

      @Ruut

      Les médias sont infestés « d’experts », dont la plus virulente s’appelle Agnès Verdier-Molinié. Elle squatte les écrans pour parler d’économie, auréolée d’une réputation de chercheuse à l’Ifrap, un lobby ultralibéral.
      .
      " Une prouesse extraordinaire pour une fondation ultra-libérale très éloignée de toute rigueur scientifique, experte du lobbying au Parlement, arrosée par de mystérieux mécènes et noyautée par des chefs d’entreprise...



  • Florian Mazé Florian Mazé 10 décembre 2019 19:13

    Les AG sont une bonne chose. La nôtre s’est déroulée en parfaite convivialité. Dans mon établissement, les sensibilités politiques vont de la droite de la droite à la gauche de la gauche, et les gens étaient tous unis contre la réforme. L’AG, bien entendu, a été suivie d’une grosse manifestation locale puis d’une manifestation départementale.


  • BA 10 décembre 2019 21:22

    Le scandale Delevoye continue. Delevoye était payé par les assurances privées. Les sociétés d’assurances privées avaient placé leur pion au plus haut sommet de l’Etat. L’objectif de Delevoye, de Macron et d’Edouard Philippe : permettre aux assureurs privés de mettre la main sur le système de retraite français.


    Delevoye était administrateur de l’Institut de Formation de la Profession de l’Assurance (IFPASS), il était conseiller du délégué général d’IGS : à ce titre, il gagnait 25 000 euros en 2016, puis 40 000 euros en 2017. Delevoye était président de Parallaxe au sein du groupe IGS : il gagnait 64 420 euros en 2018, et 64 420 euros en 2019.


    Delevoye est complètement discrédité pour conduire la réforme des retraites. Delevoye, démission !


    https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/12/10/sous-pression-jean-paul-delevoye-quitte-aussi-ses-fonctions-au-sein-du-groupe-igs_6022378_823448.html


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