vendredi 30 mars 2012 - par credohumanisme

Dette française : la spéculation est bientôt ouverte

On connaissait l’ouverture de la chasse, l’ouverture de la pêche, voici l’ouverture de la spéculation. L’information est passée inaperçue mais, le 16 avril, en pleine campagne électorale sera lancé un outil de spéculation sur les OAT (Obligations Assimilables au Trésor). Exprimé plus simplement : sur la dette française.

Pourquoi la société Eurex a-t-elle choisit de lancer ce produit alors que la guerre fait rage entre les candidats et que la question budgétaire reste au cœur du débat ?
 
Rappelons que, jusqu’à présent, seuls les institutionnels pouvaient spéculer ainsi. Le principe est simple ; il s’agit de celui d’une option. Le montant nominal de chaque contrat est de 100.000 € mais, pour une très faible fraction de ce montant seulement, tout un chacun peut spéculer sur la hausse ou la baisse des taux auxquels l’Etat Français se finance.
 
Jusqu’alors seuls étaient disponibles des produits sur la dette allemande (« Euro-bund future » par exemple) et, plus récemment, lancés en 2009 et en 2011 des produits sur la dette italienne.
 
Eurex proposait déjà des contrats à terme pour l'Allemagne et depuis 2009 pour l'Italie.
"Avec le lancement de ce nouveau contrat, nous répondons à un grand intérêt montré parmi les opérateurs de marché pour des solutions de couverture plus adaptées  » explique le responsable du développement des produits chez Eurex.
 
La coïncidence avec les élections françaises est cependant troublante.
Il ne s’agit pas d’un motif politicien : ce lancement est annoncé sans tambour ni trompette, et, à ma connaissance du moins, aucun candidat ne l’a évoqué.
 
Il s’agit donc d’un motif purement commercial de la part de l’émetteur. Il espère, par les commissions associées au produit, augmenter ses bénéfices. Eurex est une société privée, issue des bourses allemandes et suisses, la chose est tout à fait légitime. (Dans une société capitaliste les acteurs cherchent à maximiser leurs profits).
 
Elle espère tout donc simplement vendre beaucoup de ces contrats. A titre indicatif, sur les contrats allemands et italiens, il s’échange environ 6.000.000 de contrat par jour pour un nominal de 600 milliards. Source : http://www.eurexchange.com/about/press/press_783_en.html.
 
C’est l’équivalent de la dette française tous les trois jours ! L’ampleur des chiffres montre, au passage, tout l’intérêt d’une véritable taxe sur les transactions financières que j’avais évoqué ici : http://www.credohumanisme.com/post/2012/03/20/Taxe-Tobin-%3A-Une-utopie-r%C3%A9aliste.
 
A la veille des présidentielles, cela ne peut être perçu que comme un signe inquiétant. Le parallèle avec les tensions vécues par l’Italie ne peut être évité. Très clairement Eurex anticipe une demande importante sur ces contrats pour la France. La cause fondamentale en est connue. Il s’agit de la hausse des spreads entre la France et l’Allemagne (ci-dessous leur évolution sur période longue pour plusieurs pays européens versus Allemagne et sur une période plus courte pour la France seule versus Allemagne). Rappelons que le spread mesure ici l’écart des taux auxquels se financent les Etats.
 
 
 
Or ce taux dépend lui-même de la confiance qu’ont les acheteurs d’obligations dans la capacité de remboursement du pays. Plus l’économie est saine et pérenne plus le taux est bas. Plus les difficultés sont grandes et l’avenir incertain plus le taux monte.
 
La période actuelle est favorable aux incertitudes politiques (les élections) et économiques (la période qui suivra).
La volatilité est en général favorable à la spéculation et à la hausse du volume des transactions, Eurex et ceux qui feront les bons choix gagneront beaucoup.
 
Les plus riches, les mieux informés, les mieux conseillés, auront ainsi la possibilité de couvrir leur patrimoine contre un risque éventuel de crise majeure en France ou de gagner encore plus.
 
Soyons clair ce produit en lui-même ne modifie pas, sauf par effet moutonnier éventuel, les émissions d’obligations en France, il n’en sera que l’un des thermomètres. Cependant sa seule existence est, sans doute (nul n’est devin en la matière), le signe avant-coureur que les marchés anticipent des fluctuations importantes.
 
Malheureusement, dans les mois qui viennent, la France risque d’être un terreau fertile pour les spéculateurs. Même les candidats qui souhaitent interdire ces produits financiers ne pourront pas le faire. Il s’agit d’un produit commercialisé en Allemagne, hors d’atteinte des législations françaises, et protégé par les règles européennes.


24 réactions


  • Robert GIL ROBERT GIL 30 mars 2012 08:44

     La dette est d’environ 1600 milliards, ce qui représente approximativement 20 000 euros par habitants. Ces chiffres sont impressionnants, mais si vous même êtes propriétaire, vous avez un crédit, donc vous êtes endetté … mais vous n’êtes pas en faillite, vous possédez un capital immobilier...........
    Voir :
    http://2ccr.unblog.fr/2010/10/16/la-dette-de-la-france/


    • credohumanisme credohumanisme 30 mars 2012 09:27

      Bonjour Robert Gil,

       

      Vos chiffres sont exacts mais je ne vois pas le rapport avec le thème de l’article qui concerne le financement de la dette et non l’usage que l’on peut en faire (si tant est que l’on puisse faire usage d’une dette).

       

      Pour, cependant, répondre sur votre argument :
      Je n’ai jamais évoqué une faillite (ni d’ailleurs un défaut qui serait un terme plus approprié).

       

      La comparaison de l’Etat avec une entreprise ou un ménage est souvent inappropriée.

      La nature des actifs d’un état fait que beaucoup d’entre eux ne sont pas cessibles (infrastructures, participations stratégiques, services publics …). La Grèce ne peut pas vendre le Parthénon ni la France l’Arc de Triomphe pour diminuer leurs dettes.

       

      Il faut que la dette soit vertueuse c’est à dire qu’elle serve pour des projets rentables, pas en termes financiers, mais en terme de développement, de progrès. La dette, par nature devrait financer des investissements (au sens large du terme) et non des dépenses courantes de fonctionnement qui devraient être, elles, couvertes directement par le flux des recettes.


      Par ailleurs on peut tout à fait faire faillite même avec des actifs supérieurs à son passif. Il suffit que ceux-ci soient trop peu liquides. Beaucoup d’entreprises qui ont une structure bilancielle raisonnablement saine peuvent faire faillite uniquement pour des problèmes de trésorerie.

       

      Enfin vous dites sur votre blog (dont les conclusions me semblent pour le moins hâtives) que les français possèderaient un actif potentiel de plusieurs centaines de milliers d’euros chacun (la répartition per capita du patrimoine de la France) pouvez-vous me donner la source correspondante ? Merci.

       

       


    • Robert GIL ROBERT GIL 30 mars 2012 10:12

      Bonjour,
      si vous lisez l’article en entier voici entre autre un extrait qui parlent du financement :

      "L’État dispose d’un moyen dont les particuliers sont dépourvus : il fixe lui-même ses recettes par l’impôt, alors que ce n’est pas nous qui décidons de nos salaires ! Et quand on limite soi-même ses propres recettes, il faut bien trouver d’autres sources de financement : c’est l’emprunt. Et à qui emprunte-t-on sous forme d’obligations du Trésor ? "

      voici egalement un autre article qui je pense peut vous interresser :
      http://2ccr.unblog.fr/2012/02/29/qui-detient-la-dette-de-la-france/

      ensuite, perso, je trouve que la dette est une formidable escroquerie et que tout parti disant voiloir rompre avec ce systeme d’exploitation de la finance devrait la declarer illegitime...

      je vous souhaite une bonne journée.


    • bigglop bigglop 30 mars 2012 19:44

      Bonsoir à tous,

      Merci @Credohumanisme pour cet excellent article sur les OAT.

      Mais par ce nouveau produit dérivé, la spéculation sur la dette française est mise à la portée de tous, ce qui n’est vraiment pas rassurant.

      Eurex a mis en place, avec l’accord explicite ou implicite des politiques, de l’UE, de la BCE, une nouvelle arme fatale contre le dette française comme le démontrent Marc Fiorentino et Olivier Berruyer.

      Et on nous gave de l’affaire Mehra, les interpellations des responsables de Forsane Alizza, la viande hallal ou casher, etc, etc....

      Mais ces OAT vont provoquer la création de CDS (credit default swaps) et la boucle sera bouclée, car quelque soit le président élu, il ne pourra rien faire car ces nouveaux produits sont créés en Allemagne.

      Personne ne parle de cette arnaque financière sur le LIBOR

      L’été sera chaud, mais pas dans le sens commun.

      L’Espagne tombe et ne pourra pas être sauvée même avec le MES et de nouveaux plans d’austérité

      Le plan de restruction de la dette grecque (PSI) n’a rien résolu, on a gagné du temps et transféré de la dette des banques, assurances grecques à l’état

      Il n’y a pas de crise de l’euro, mais une crise systémique des banques et des institutions financières

      Nos ancêtres les Gaulois avaient peur que le ciel ne leur tombe sur la tête, mais nous, nous allons le vivre





  • devphil30 devphil30 30 mars 2012 09:13

    Votez Melenchon pour mettre la finance au pas.


    Philippe

  • frugeky 30 mars 2012 09:21

    Encore un jeu d’argent sur la dette dégueulasse et plus on s’endette plus certains (à 100 000 euros la part, je vous laisse deviner qui peut investir) s’enrichissent. On comprend mieux la volonté de Sarkosï de Nagy Bocsa de multiplier la dette encore et encore.


    • credohumanisme credohumanisme 30 mars 2012 09:34

      Toute la subtilité et le risque du principe des options est sur l’effet de levier qu’elles permettent. En l’espèce il n’est pas besoin de débourser 100.000 euros, quelques dizaines, quelques centaines d’euros suffisent pour « parier » sur un nominal de 100.000.

      Avec plusieurs risques :
      celui, individuel, de perdre beaucoup (en général le boursicoteur naïf) ou de gagner beaucoup (le trader donc la banque)
      celui d’être un trader naïf (cf Kerviel)
      celui d’alimenter un cercle spéculatif les options baissent, on en déduit que le risque augmente donc on vend encore plus, donc le coût de la dette augmente (version simplifiée) ... cf Grèce, ce qui amplifie des problèmes structurels existants (sans pour autant les créer : il y avait de vrais motifs de risques sur la dette grecque antérieurement à la spéculation).


    • devphil30 devphil30 30 mars 2012 14:05

      Et si Melenchon arrive à la présidence et qu’il déclare une report du paiement de la dette avec refus de payer les intérêts........


      Je suis pour une démarche active de remboursement de la dette mais pas pour payer tous les ans des intérêts à outrance sachant que ces intérêts grévent le budget et nous obligent à encore emprunter ...

      En tant que particulier vous pensez pouvoir vous endetter à hauteur de 80 % de vos revenus et de financer vos achats par encore plus de crédit , même si la comparaison est simpliste , c’est une évidence que nous sommes sur une pente dangereuse avec un mur en bas et les marchés financiers nous poussent pour prendre plus de vitesse.

      Les marchés mais qui sont ces bêtes immondes qui ruinent les pays ?? ce sont tout simplement les actionnaires , les fonds de pensions ( les pauvres retraités qui saignent leur enfants ) pour avoir toujours plus de dividendes à mettre sur un compte , comme Picsou qui ne pensait qu’ a accumuler alors que ces neveux n’arrivaient pas à finir le mois.
      Tous cela pour augmenter les disparités et la misère du plus grand nombre au profit des nantis.

      Philippe 



    • HELIOS HELIOS 30 mars 2012 19:15

      Moi, c’est tres simple, compte tenu de la « privatisation » que Sarkozy souhaite dans les faits, et compte tenu des mecanismes de concession de ce qui ne peut pas etre vendu au privé (privatisation donc), toujours des actes qui plaisent a Sarkozy....

      Je propose donc qu’on etablisse une regle bien simple de transition avant de revenir a une situation saine :

      on fait un arrete des des comptes et on calcule le montant des contrats (les dettes) en capital aupres des organismes preteurs.... (style remboursement anticipé)

       La BCE « concessionne » a ces organismes la dette — quelles possedent — et les obligent a reviser le taux et a accepter un taux legal (taux de la BCE + 0,5 par exemple ce qui leur permet de bien gagner sachant que les etats remboursent toujours, malgres les c... ries des agences de notations)

      Cela revient a un remboursement global de toutes les dettes du pays avec un nouvel emprunt equivalent, mais a un taux tres avantageux, mais surtout cela met un point final a la dette illegitime cumulee qui se trouve de fait soldée (il ne s’agit pas de credit immobilier, avec penalités).

      Grosso modo, une operation de ce style supprimerai 35 a 40% ou peut etre plus des 1600 milliards que la France traine (reste encore 1000 milliards) mais surtout permettrait a l’economie de « converger » avec un taux de croissance faible qui est et le restera toujours — sauf en cas de grande catastrophe comme une guerre — sans pour autant leser les banques de leurs capitaux.

      Pour que la suite se passe bien, il faut naturellement un panel de mesures de « bon sens » pour ne pas se retrouver dans la mëme situation 10 ans apres :
      - pas de speculations sur la dette concesionnée
      - regulation des dumping fiscaux et sociaux (cela veut dire droit de douanes d’un coté et droit des societes de l’autre)
      - reindustrialisation pour que le pays atteigne un equilibre d’autofinancement
      - regulation des flux de capitaux
      - revision globale du mecanisme fiscal interieur
      - revision totale de la "presence sociale des citoyens dans le systeme economique (emploi, assistance, sante, retraite etc)
      ... etc, il y a de nombreux autres points...


  • musashi 30 mars 2012 10:06

    Ca me rappelle l’attaque de Soros sur le Franc, nostalgie ? smiley


  • Acid World Acid World 30 mars 2012 12:37

    Notre pays n’est pas du gibier !


    • franc tireur 30 mars 2012 17:46

      l fallait meux gérer

      Ces spéculations sur notre dette suivies de probables dégradations doivent etre vues comme une chance,celle de prendre enfin les mesures structurelles que l’ont a toujours reportées par couardise


  • Pelletier Jean Pelletier Jean 30 mars 2012 13:39

    @l’auteur,



    Merci pour cet article, cela nous change un peu de la bouillie de chat que la campagne nous impose.
    Technique, certes mais cela campe bien les enjeux à venir.

  • Claude Courty Claudec 30 mars 2012 19:06

    Les spéculateurs ne sont pas les seuls à comprendre qu’au lendemain d’une élection présidentielle perdue par la droite il y aura la queue aux guichets des banques. Et les riches ne seront pas les seuls à la faire. Nombreux seront ceux qui ayant économisé durant toute une vie de travail craindront à juste titre de voir sombrer leur épargne, aussi modeste soit-elle (cf. la Grèce et certains autres pays)


  • nightwings nightwings 30 mars 2012 22:57

    effectivement l’après élection va nous promettre un sacré choc ! Surtout devant le peu de préparation dont nous sommes victimes, « ayez confiance, dormez en paix tout va bien » un site très bon parle de ces thématiques.

    http://www.les-crises.fr/speculation-financiere-encore/


  • politzer politzer 1er avril 2012 07:19

    bonjour


    Et un grand merci à l’auteur de cet article clair logique instruit et bien documenté. Il ne sert à rien de s’époumoner à crier ici et là pour un candidat quel qu’il soit de Sarkozy à Mélenchon , le président devra passer sous les fourches caudines de l’UE comme le conclut si bien l’article. Il n y a pas 36 solutions mais une : sortir de l’UE ( article 50 du traité), revenir à l’euro , sortir de l’otan par la même occasion , annuler purement et simplement la dette après audit, revenir au pouvoir régalien de la BF, nationaliser les banques de dépôt, rétablir le plan , renationaliser tout ce qui a été privatisé ces 30 dernières années, faire cesser l’immigration de peuplement c est à dire le dumping social , etc, etc. En bref entreprendre une rupture radicale avec le capitalisme financier , pas en paroles mais en actes. Aucun des candidats n est sur cette ligne . Pourtant elle aurait l’agrément de M.Allais prix Nobel d’économie, Stiglitz prix Nobel d’économie et ancien directeur de la BM, conseiller de Clinton qui a déclaré récemment que les pays qui sortiront les premiers de l’euro seront ceux qui s en tireront le mieux. Sinon gare à nos ...économies , nos salaires, nos pensions et nos emplois - notamment pour les jeunes. 

  • eau-du-robinet eau-du-robinet 18 avril 2012 15:01

    C’est chose faite .... ce lundi, le 16 avril 2012, Eurex à lancée un contrât sur la dette française ....

    Je vous invite à découvrir la suite : http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/eurex-lance-une-opa-sur-la-dette-114857


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