Élysée 2022 (40) : Jean Lassalle, le rassemblement des abstentionnistes et des joyeux mécontents
« Je propose simplement d’élever Nicolas Hulot au rang de père de la nation, et même, profitant des bonnes relations qu’entretient le Président de la République avec le pape, de le canoniser. Il serait en effet prudent de le mettre à l’abri de la justice, qui risque de lui demander un jour des comptes : car c’est bien l’argent des grands spéculateurs les plus pollueurs qu’il blanchit, ou verdit, dans sa fondation ! » (Jean Lassalle, le 9 octobre 2008 à l’Assemblée Nationale).
Cette envolée caustique du député était adressée aux ministres Jean-Louis Borloo et Nathalie Kosciusko-Morizet qui présentaient le Pacte écologique du futur ministre Nicolas Hulot, bien avant que ce dernier fût impliqué dans une affaire d’agression sexuelle. Elle donne une idée du député, de sa verve, de son caractère, de son envie de provoquer, de parler et parfois, de dire n’importe quoi.
La candidature de Jean Lassalle (67 ans dans un mois), député des Pyrénées-Atlantiques depuis juin 2002 et maire de son village natal Lourdios-Ichère de 1977 (il avait 21 ans) à 2017 (à cause de la loi sur le cumul des mandats), a de quoi surprendre, d’autant plus que c’est la seconde fois qu’il se présente. Personne ne semble comprendre les motivations profondes qui l’ont poussé à se présenter sinon cette envie insatiable de se projeter médiatiquement.
Avec un accent et une voix rocailleuse, il est parfois difficile de le comprendre (sa langue maternellle est l'occitan du Béarn, il n'a appris le français qu'à 6 ans), mais son sourire, sa bonne humeur, semblent effacer ces premières difficultés. Dans les discours, il parle de rassemblement, de conseil national de la Résistance (il a fondé un parti en octobre 2016 qui s’appelle Résistons !), de rebâtir l’État, etc.
Paradoxalement, non seulement il a eu sans difficulté ses 500 parrainages (comme en 2017), mais aujourd’hui, la majorité des sondages le place en intentions de vote au-dessus de la candidate du parti socialiste Anne Hidalgo qui, elle, jouit d’un parti de professionnels très expérimentés ! Il y a un mois, certains sondages le plaçaient même à 3% d’intentions de vote, la plupart autour de 2%, ce qui n’est pas rien. Le 23 avril 2017, il avait obtenu 435 365 voix, soit 1,2% suffrages exprimés, au premier tour de l’élection présidentielle.
Comment a-t-il réussi, en 2017 et en 2022, à obtenir ses parrainages ? Parce que le positionnement de Jean Lassalle est indéterminé (j’y reviens plus loin), en particulier, pas aux extrêmes, et donc, parrainer Jean Lassalle au mieux suscite des haussements d’épaules mais certainement pas une indignation plus ou moins sincère. Son incarnation est celle d’un maire rural, et ses parrains sont principalement des maires ruraux de toute la France.
Mais la raison principale de ses parrainages, c’est sa marche de 5 000 kilomètres, à pieds donc, du 10 avril 2013 au 11 décembre 2013, à parcourir la France et rencontrer les Français. Il a ainsi pu recueillir des milliers de témoignages de personnes peu écoutées, oubliées, laissées pour compte, bref, il s’est senti la mission de représenter les sans-voix. Il a ainsi pu se constituer tout un réseau d’élus locaux sur tout le territoire. Son initiative était très intéressante, très anticipatrice, et fait penser au grand débat organisé par Emmanuel Macron en 2019. Jean Lassalle, c’est le candidat de la proximité.
En 2014, il a récidivé, mais cette fois-ci, il a fait le Tour d’Europe, en visitant ses concitoyens européens, et il y a rencontré notamment Angela Merkel. Il en est revenu avec beaucoup de colère contre la bureaucratie européenne, la complexité technico-juridique des institutions européennes, le manque de démocratie que vaut en fait cette opacité des sources de pouvoirs et d’influences, et aussi, le manque d’identité européenne. Alors qu’il a milité pendant des dizaines d’années dans le parti le plus ouvertement pro-européen, Jean Lassalle a tourné par la suite vers l’euroscepticisme et a dénoncé la "dictature européenne" lors de sa campagne présidentielle de 2017.
À l’origine, Jean Lassalle était un professionnel de la politique, un élu rural et montagnard, bercé au bon air des Pyrénées, tombé dès la fin de l’adolescence dans les mandats électifs aussi prenants que passionnants. Il a été suppléant du député RPR Michel Inchauspé pendant de longues années, de 1988 à 2002, avant de lui succéder. Il a été président du comité départemental du tourisme. Il a été président du parc national des Pyrénées de 1989 à 1999. Maire pendant quarante ans, député depuis vingt ans, il a été élu aussi conseiller général de son département pendant trente-trois ans de 1982 à 2015, dont dix ans, entre 1991 et 2001 comme vice-président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques sous la présidence de François Bayrou.
Ah, justement, François Bayrou a beaucoup compté pour lui, et si j’ai évoqué un positionnement "neutre", c’est parce qu’au départ, il était UDF, du même parti que François Bayrou dont il a soutenu la candidature à l’élection présidentielle. En particulier, en juin 2007, il fut le seul, avec François Bayrou lui-même, a avoir été réélu (ou élu) député du MoDem, le nouveau parti issu de la candidature de 2007, les autres députés UDF sortants ayant soutenu Nicolas Sarkozy au second tour et se revendiquant de sa majorité au sein du Nouveau centre. Sa réélection en juin 2007 n’était pas "évidente" puisqu’il a gagné lors d’une triangulaire au second tour contre un candidat UMP et un candidat PS. De mars 2010 à août 2016, il était même vice-président du MoDem, très proche de François Bayrou tant localement que politiquement.
Toutefois, en décrivant sa trajectoire politique, j’ai oublié l’essentiel. Car celle-ci, ainsi décrite, est ordinaire et commune à la grande majorité des parlementaires de l’ancien monde (le nouveau monde est confronté à la limitation des mandats, donc, impossible de faire des décennies de double ou triple mandat). J’ai oublié d’insister sur la personnalité particulièrement singulière de Jean Lassalle. C’est un entêté, c’est un original, c’est un chaleureux. Je n’aurais bien sûr pas la prétention de décrire son tempérament, et cette description n’en serait de toute façon qu’une perception de l’homme public, bien sûr, mais on peut dire que c’est quelqu’un d’authentique, qui dit les choses franchement, crûment parfois.
Pour donner un exemple, son clip de campagne officielle, qui passe en ce moment à la télévision publique, commence avec lui sur fond de belle vallée pyrénéenne. Très belle, comme en vacances, au point que je me suis dit : oui, c’est tout lui, on a envie d’aller chez lui… mais c’était trop lui, beaucoup trop lui, et beaucoup trop conformiste ! Quelques secondes plus tard, il enlève ce décor artificiel, et montre un horrible fond blanc et vert pomme, avec en arrière-plan un porte-manteau et son (célèbre) manteau (j’écris célèbre car ce manteau fait l’homme, on sent un diplomate, quasi-brejnévien, en tout cas, cela le présidentialise, un chef d’État avec son écharpe rouge, à la Mitterrand, à la ride malicieuse). Cette simplicité affiche en fait une communication politique très étudiée et éprouvée.
C’est cet anticonformisme qui est son principal atout et probablement l’origine de sa notoriété nationale. Car comme député, il n’a pas chômé, mais pas forcément en travail parlementaire. Plutôt, en soutien au peuple, en tout cas, de son point de vue. J’avais évoqué son tour de France puis son tour d’Europe (pendant ce temps, il n’a pas beaucoup participé à l’élaboration des lois ni au contrôle du gouvernement), mais il a pris beaucoup d’autres initiatives.
Par exemple, du 7 mars au 14 avril 2006, Jean Lassalle a fait une grève de la faim pour s’opposer à la fermeture de l’usine Toyal de la vallée d’Aspe, une filiale d’un groupe japonais d’aluminium qui employait 150 personnes, pour se réimplanter à 70 kilomètres de là. Le 14 avril 2006, il a été hospitalisé dans un état critique et les pouvoirs publics (Jacques Chirac, Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy) sont parvenus à convaincre les dirigeants industriels d’abandonner le projet de transfert.
Le 3 juin 2003, il a chanté une chanson béarnaise en pleine séance des questions au gouvernement dans l’hémicycle quand Nicolas Sarkozy, Ministre de l’Intérieur, prenait la parole, pour s’opposer au projet de fermeture d’une gendarmerie au tunnel du Somport. Défenseur des services publics dans les zones rurales, Jean Lassalle a ainsi utilisé son mandat de député pour des causes très identifiables et populaires.
Dans le même genre de coup médiatique, le 21 novembre 2018, au début du mouvement des gilets jaunes, encore à une séance de questions au gouvernement où Christophe Castaner, Ministre de l’Intérieur, prenait la parole, Jean Lassalle a porté un gilet jaune et a refusé obstinément de le retirer malgré l’ordre du Président de l’Assemblée Nationale Richard Ferrand, ce qui lui a valu une sanction financière de 1 500 euros.
En politique étrangère, Jean Lassalle a également bousculé la diplomatie française en se rendant deux fois en Syrie, en novembre 2015 et en janvier 2017. À la dernière visite, accompagné de deux autres députés, Thierry Mariani (passé au RN) et Nicolas Dhuicq, Jean Lassalle a échappé de peu à des tirs d’obus. Le 8 janvier 2017, il en a profité pour rencontrer le Président syrien Bachar El-Assad. Une initiative qui l’a rendu sympathique auprès de la Russie et de Vladimir Poutine.
L’une des explications du score non négligeable dans les sondages de Jean Lassalle, c’est peut-être le ralliement de sa collègue ex-LREM Martine Wonner à sa candidature. En effet, Jean Lassalle a fustigé la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement, critiquant le passe sanitaire et mettant même en cause le vaccin Johnson & Johnson qui lui aurait provoqué une fragilité cardiaque, selon certains cardiologues. Sur France 2 le 31 mars 2022, il a même déclaré qu’il hésitait encore à déposer une plainte sur le sujet après la campagne présidentielle. Mais sa critique du gouvernement n’a pas beaucoup convaincu, car lorsqu’il parlait de lits supprimés en pleine crise covid, il oubliait que dans les chambres doubles, lorsque l’un des deux patients est contaminé, il est mis à l’isolement et donc, le second lit de la chambre est inopérant. Et lorsqu’il proposait en solution de créer 100 000 emplois d’infirmiers et d’aides-soignants, là encore, au-delà des moyens budgétaires, il oubliait qu’il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton, il faut les former et on manque de candidats à ces professions. Le sursaut dans les sondages pourrait donc s’expliquer par sa position très hostile et un tantinet populiste envers la politique sanitaire du gouvernement pourtant largement plébiscitée par les Français.
Portons maintenant attention à son programme (qu’on peut télécharger ici) : 24 pages assez creuses et floues, avec ce sentiment diffus qu’il réinvente tout, la politique, l’administration, la science, etc. Par exemple, la reconnaissance du vote blanc est déjà faite depuis 2013, qui est distingué du vote nul au moment du dépouillement, et dans son idée, si le vote blanc est majoritaire, il faut revoter, mais jamais dans un scrutin le vote blanc n’a été majoritaire. Il veut aussi le référendum d’initiative citoyenne (RIC), avec un seuil de 700 000 pétitionnaires, l’accepterait pour interdire la chasse le week-end, mais le refuserait pour rétablir la peine de mort.
Jean Lassalle propose, en outre, une réforme du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) « en lui donnant un rôle d’incubateur, un lieu de réflexion dans lequel infuseraient des idées issues de la recherche et des aspirations citoyennes » alors que c’est justement ce qu’a déjà fait le Président Emmanuel Macron en chargeant le CESE de mener à bien la Convention citoyenne sur le climat en 2020.
Plus généralement, Jean Lassalle a construit son programme pour "rebâtir l’État" autour de sept axes : « refonder et revivifier la démocratie ; développer la recherche, fondamentale et appliquée ; améliorer la transmission du savoir ; rétablir le service national universel, militaire ou civil ; simplifier et articuler au mieux les collectivités territoriales ; résorber les écarts entre les territoires ; replacer les oubliés au cœur du lien social ». On note que la transition écologique est la grande oubliée de son programme.
Jean Lassalle souhaite être le candidat du terrain, de la France d’en bas, des quartiers et des campagnes. Et finalement, il décrit la Cinquième République avec une certaine mesure : « Observez la dimension irrationnelle et affective du pouvoir. Un lien quasi-mimétique unit un peuple à son dirigeant. Bonne vivante sous Chirac, nerveuse sous Sarkozy, la France est placide sous Hollande, acerbe sous Macron. Cette identification aliène ou motive les initiatives économiques et artistiques. Dans le même temps, il s’agit pour un élu de savoir lire dans le cœur du peuple pour incarner ses manières de voir et d’espérer. Et s’en faire aimer. Réhabilitons notre devise ; finissons-en avec les rapines et les normes pour revenir à une vision plus noble. ».
Que viennent faire ici les "rapines" et les "normes" et à quoi font-elles référence ? Mystère. Ces quelques phrases traduisent toute l’ambiguïté de la candidature de Jean Lassalle : à la fois authentique et sincère, charnel presque, il use parfois de démagogie sans lien avec ce qui précède. Qu’importe, c’est le terroir qui l’emporte. Son discours n’est pas très structuré, on ne voit ni les grands principes qui l’inspirent ni où il veut en venir, beaucoup de journalistes restent d’ailleurs perplexes et dans l’incompréhension, mais l’essentiel, comme on dit, c’est de participer !
Invité de Jean-Pierre Elkabbach le 12 mars 2022 sur Europe 1, Jean Lassalle s'est senti considéré comme « un candidat de merde et inutile », « comme s'il pouvait y avoir en France des candidats réels et de candidats de merde dont on n'a pas besoin », car la chaîne TF1, le 11 mars 2022, avait annoncé que seulement huit des douze candidats participeraient à l'émission sur la guerre en Ukraine programmée le 14 mars 2022, évacuant ainsi les "petits candidats" : « Il y a un profond mépris dans cette décision, un mépris de classe. », ajoutant : « Je ne regarderai plus jamais de ma vie TF1. ». Toujours ce tempérament fougueux, indigné par les injustices et un peu caliméro sur les bords !
Mais c'est probablement dans son interview de la matinale le 1er avri l2022 sur BFM-TV que Jean Lassalle a livré sa réelle motivation de candidat : « Je suis candidat car sinon, je n'aurais pas su pour qui voter. ». C'est une réflexion saine et de bon sens : si on considère qu'aucune offre électorale ne correspond à ses propres convictions, alors, il faut se présenter. C'est une bonne leçon aux abstentionnistes qui s'abstiennent pour de mauvaises raisons. Pas étonnant que le candidat béarnais souhaite rassembler les abstentionnistes...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (02 avril 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jean Lassalle.
Programme 2022 du candidat Jean Lassalle.
Petits candidats et grands candidats.
L'abstention, c'est grave, docteur ?
Élysée 2022 (34) : la liste officielle des 12 candidats.
Élysée 2022 (33) : Emmanuel Macron à 30% ?
Sondage Ipsos publié le 5 mars 2022 à télécharger.
François Bayrou, le parrain de Marine Le Pen.
Situation des parrainages pour les candidats de la présidentielle de 2022 (arrêtée au 7 mars 2022).
Le serpent de mer des parrainages pour la présidentielle.